Et si avec ses dissonances et son avant-gardisme intimidants, le groupe new-yorkais était en réalité une fumisterie dénuée de chansons ?

Les Sonic Youth sont nés de la cuisse du punk américain. Ils aimaient les Ramones mais, étant arrivés plus tard, se sont inscrits dans l'affreuse scène pseudo no wave. Soit plein de gens qui ne savaient pas bien jouer - en tout cas beaucoup moins bien que Television - qui ne savaient pas écrire la moindre chanson et qui, pour mieux se justifier, ont brandi les grands étendards avant-gardistes : free-jazz, musique sérielle, minimalisme, même la folle Brigitte Fontaine ! Tout était bon pour revendiquer le droit de faire n'importe quoi. Enfin, ces jeunesses soniques ont trouver l'idée ultime pour masquer leurs évidentes déficiences : l'open-tuning. Sésame magique ouvrant les portes du conceptuel. John Fahey, Richard Thompson et mille autres guitaristes venus du folk ou du blues en avaient eu l'idée avant eux, mais c'était toujours au service de la chanson.

Chez Thurston Moore et sa clique, le principe n'est que l'occasion de verser dans une auto-indulgence finalement très peu différente de celle qui avait rendu, bien avant, les disques d'Emerson Lake & Palmer aussi atroces. Sonic Youth, c'est du rock progressif né du punk. Du punk progressif, en fait. On voit bien où ils veulent en venir : sortir la guitare des sentiers blues convenus, éviter tous les clichés ventripotents du rock and roll. L'idée n'est pas sotte. Tom Verlaine a eu la même, Keith Levene aussi chez PiL comme John McGeoch chez Magazine ou les Banshees. Sauf que les Sonic Youth n'ont pas un dixième du talent de ces gens-là. Les voici qui nous abreuvent depuis des lustres d'albums truffés de petites dissonances qu'ils exhibent, très fiers, comme autant de faits d'armes, tandis que leurs fans n'en croient pas leurs oreilles, y voient la preuve évidente d'un génie inaltérable. Qu'ils aillent donc écouter Roland Kirk, Sun Ra ou Stravinsky s'ils veulent s'offrir le grand frisson... Le nouvel album du groupe offre la même ritournelle. Des petites voix blanches de vieux adultes jouant les adolescents en colère saupoudrent des morceaux informes reposant entièrement sur quelques maigrelettes guitares très heureuses de leur fausse inventivité.

Bien. Où va-t-on avec ça ? Pas bien loin justement. C'est l'éternel problème des rockeurs complexés face au jazz ou au classique, fût-il contemporain. Ils se sont trompés de métier. On leur demande de faire du rock, mais l'exercice semble leur faire honte. Il leur faut du crédit, des honneurs, de la distinction. Thurston Moore a beau clamer sur tous les toits son admiration pour Joey, Dee Dee et Johnny, on sait bien que rien ne l'ennuierait plus que de passer pour un rocker clownesque bas du front alignant trois barrés sur un Marshall. C'est pourtant lorsqu'il tente de faire du rock conventionnel (" Antenna " sur le nouvel album) que le groupe n'est, non pas bon - ce serait trop beau - mais le moins mauvais. Hélas, il faut alors qu'il s'embarque dans un anti-solo qui reste, contre toute attente, un solo tout de même, aussi chiant que n'importe quelle daube de Steve Howe chez Yes. C'est bien là le problème : remplacer la technique des dinosaures virtuoses par des open-tunings et toutes sortes d'imbécilités (jouer de la guitare avec des baguettes de batterie, par exemple), c'est quand même remplacer une technique par une autre... Et personne n'est vraiment sûr que le rock and roll ait quoi que ce soit à faire avec la technique. Là où elle est essentielle dans le be-bop, puisqu'elle est l'instrument permettant au musicien d'exprimer ses idées le plus fidèlement possible, il n'est pas du tout prouvé qu'elle soit fondamentale dans un morceau de rock and roll.

Tu veux te la péter mon pote Thurston ? Va apprendre à jouer comme Coltrane sur " Giant Steps ". Pour le reste contente-toi d'écrire des chansons, parce que le rock and roll c'est ça. Même " Low " est avant tout un disque de grande chanson. Même " Metal Box ". Même " Neu 2 ". Même " White Light White Heat ". Même " Another Green World "... Sur " The Eternal ", qu'entend-on ? La même soupe aux grumeaux servie depuis vingt ans par des gens trop vieux pour pratiquer ce genre de faux punk indé fatigué, médiocre et tellement convenu dans son désir d'avant-gardisme... La jeunesse sonique ? Sonique ta mère, oui...