Mon meilleur souvenir, j'avais 14 ans, j'avais dû aller en plein ramadan en Algérie pour un enterrement, mes parents en apprenant la nouvelle ont tout de suite pris les billets d'avion à l'arrache pour le lendemain mais comme c'était en plein ramadan donc pas de place pour rentrer tôt, ils avaient pris genre une dizaine de jours.
Donc je me suis retrouvé dans mon village à rien faire, l'enterrement étant passé, je me faisais chier.

Vient la finale de la Coupe de la CAF (équivalent de l'UEFA en Afrique) entre la JS Kabylie et l'ES Sahel (Tunisie), l'aller avait déjà eu lieu en Tunisie avec une victoire des Tunisiens 2-1, le retour se jouait à Alger.

Faut savoir juste un truc sur le contexte de l'époque, y'avait eu une grosse révolte de toute la Kabylie contre l'Etat. Y'avait tout un tas de revendications derrière (démocratie, langue berbère, éducation, etc... enfin en gros toutes sortes de revendications qui finalement n'ont jamais été écoutées), et ça s'est fait à base d'affrontements avec les gendarmes et CRS réprimés durement avec à la fin 123 morts chez les émeutiers.

Donc sachant que la JSK c'est LE symbole de la région c'était un peu comme une sorte de revanche, et une façon aussi de montrer que la Kabylie était toujours debout.

Je me rappelle que le match était à 20h, mes cousins me réveillent à 8h. L'un d'eux étant transporteur en fourgon, ce jour là il l'a réquisitionné pour le match. On a commencé à décorer le fourgon aux couleurs de la JSK avec toutes sortes de conneries, l'essentiel c'était qu'il porte ses couleurs (jaune et vert).
A 10h, départ en cortège avec je ne sais combien de fourgons et voitures du village, un nombre absolument IMPRESSIONNANT.
Donc on fait tout le chemin (en descente) qui mène jusqu'à Tizi Ouzou (préfécture de la région qui est en bas, en plaine), à notre passage dans chaque village on entend les "youyous" des femmes, on voit les locaux qui eux aussi se préparent à partir eux aussi ou qui se joignent à nous.
Dans le fourgon une ambiance de malade avec derboukas, chants, musique, et les mecs qui se mettaient déjà à tizer le matin et en plein ramadan (pas mal de kabyles pratiquent pas la religionn et si tu rajoutes leur goût encore plus prononcé que les bretons pour l'alcool ), tu voyais les mecs des différents fourgons se refiler des bouteilles et autres conneries.

On arrive à Tizi Ouzou à 11h, on s'arrête un peu, c'est là qu'on voit vraiment tout l'impact de ce match sur toute la région, des fourgons venus de vraiment PARTOUT, toute la Kabylie était représentée, un bordel immense, la fête dans toute la ville.

On redémarre vers midi en sachant qu'il n'y a que 100km d'autoroute vers Alger mais en sachant que les places seraient très chères.
Sur l'autoroute même ambiance que lors de la descente de la montagne, immense embouteillage, notamment à cause des barrages des militaires pour filtrer les terroristes, que des mecs venus pour le match sur la route, donc là encore un immense bordel, les militaires qui font du zèle pour bien faire chier le monde.
A certains moments ça n'avançait carrément plus donc les mecs sortaient des fourgons, mettaient de la musique et se mettaient à danser

Arrivée au stade du 5 juillet à 15h30, il est déjà aux 3/4 plein (sa capacité est de 80.000 places, il n'y a que des sièges dans le stade).
Les services de sécurité et billetterie sont complétement dépassés, les gens font rentrer n'importe quoi, fouille inexistante, et on va vite finir par s'en apercevoir.
Le placement est libre sauf en présidentielle mais on ne trouve aucune place en latérale, complètement blindé, donc on va dans le virage, déjà une ambiance extraordinaire, beaucoup de chants, beaucoup plus identitaires ou politiques que footballistiques, toujours de la musique, les mecs qui bouffent ou picolent toujours malgré le ramadan, les autres qui attendent l'heure pour manger et prient sur l'esplanade du stade etc

Le stade continue à se remplir, les flux de personnes arrivant sont de plus en plus gros jusqu'au moment où on finit par être tous serrés, du genre tous debout presque à 2 sur chaque siège. Les escaliers sont aussi pleins, l'esplanade aboutissant au stade (qui est une sorte de cuvette dans laquelle on descend directement à partir de l'esplanade qui est l'entrée unique pour domicile et visiteurs à la fois) est blindée également. Au coup d'envoi on voit encore à perte de vue l'autoroute menant au stade bouchée, on devait être un bon 110.000 dans le stade pour je ne sais combien de mecs bloqués à la sortie du stade.
Tous les villages de Kabylie sont représentés par une banderole ou une bâche, chacun en a ramené une, tout ça accroché à l'arrache en bas des gradins, entre les poteaux d'éclairage, les unes chevauchant les autres, un truc bordelique.

Bouteflika présent dans le stade se prend une bronca gigantesque à son arrivée, jamais j'ai entendu pire depuis.
Sur le terrain la JSK marque aux alentours de la 30ème, un but dégueulasse qui en temps normal n'aurait jamais dû être accepté vu la façon dont le mec fonce dans le gardien pour faire rentrer le ballon de la tête , mais l'arbitre malien savait qu'il ne serait jamais sorti vivant en cas de défaite ou de nul.
Une explosion dans le stade, des fumigènes partout, des explosions de pétards (un pète juste à côté de moi, pendant un bon moment j'entends plus rien ) , des feux d'artifice, les flics à côté (sûrement kabyles d'origine) qui font la fête eux aussi.
La JSK joue avec beaucoup d'engagement, ça tacle à tout va, ça court comme des boeufs à la Kuyt pour rattraper des ballons allant vers la touche et en face une équipe Tunisienne peut être plus talentueuse techniquement.
Vraiment beaucoup de tension même sur le terrain, je me rappelle de Drioueche le défenseur de la JSK qui prend d'abord un coup de coude de... Abdelkader Keita la salope de Lyon qui jouait à l'ESS à l'époque.
Il saigne du nez mais insiste pour continuer le jeu, puis juste quelques minutes après, Drioueche refuse de donner un ballon de touche à Keita, ce con pète un plomb et lui fout un coup de boule sous les yeux de l'arbitre, carton rouge direct, baston sur la main courante (qui se jour là était elle aussi pleine de mecs sortis de je ne sais où) quand Keita complètement fou refuse d'être raccompagné aux vestiaires par un flic, il se fait éclater par 4-5 autres flics.

Jusqu'au but une ambiance ENORME, jamais jusqu'à maintenant j'ai vu mieux, tout un stade corps et âme pour son équipe, jusqu'à la 60eme environ l'équipe est littéralement poussée par le stade puis une occaz Tunisienne fait taire tout le monde. Gros doute, beaucoup de nervosité, un silence assez flippant et ce jusqu'au coup de sifflet final, tout le monde était tendu, ils ratent des face à face, touchent même la barre je crois, seule quelques occaz de la JSK et l'expulsion du tocard Keita réveillent le public mais sinon le silence.
Puis au coup de sifflet final une explosion pire que sur le but, tout le monde se lâche des dernières 30mn, un bordel immense, les Tunisiens qui attaquent l'arbitre et les joueurs de la JSK qui font la fête avec nous, remise de la coupe et ça repart. On décide de sortir à minuit (2h après la fin du match), à l'intérieur ça faisait encore la fête, certains joueurs étaient encore sur le terrain.
Retour chaotique, embouteillages monstres, de la capitale jusqu'au village, la peur également de tomber sur des terroristes, on finit par arriver à 4h30, la fête au village, tous les gens qui revenaient également du déplacement + d'autres qui ont veillé étaient encore là à faire la fête, on s'est couchés à pas d'heure.

Vraiment un putain de souvenir, quand je vois ce qu'était la JSK de l'époque qu'on voyait évoluer avec 11 kabyles pas forcément talentueux mais avec d'énormes couilles et les imposaient sur tous les terrains d'Afrique, un putain de public qui venait de toute la Kabylie et s'identifiait à l'équipe et que je compare à maintenant et à la moitié de match que j'ai pu voir jeudi dernier..

Le match en question (ça commence par l'aller en Tunisie, à 3mn c'est le retour à Alger)
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Le geste de Keita (ça commence à 2,30mn)
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Je raconterai d'autres trucs plus tard.