Ils l’ont fait ! Pour la première fois de l’histoire, la Coupe du monde de football est yougoslave. Après une finale épique contre l’invincible armada espagnole, les hommes d’Ivica Osim, portés par un Vidić exceptionnel, sont finalement venus à bout de la bande à Casillas. Comme il y a 20 ans lorsque Dragan Stojković et ses coéquipiers l’avaient battue 2-1 après prolongations en huitièmes, la Furia Roja subit une nouvelle fois la loi des Yougoslaves. Pour l’Histoire.

Cette fiction est un article extrait du Cahier Sports que le Courrier des Balkans va publier le 20 juin.
Cet ouvrage contient de nombreux articles inédits ainsi qu’un portfolio central (dont plusieurs images rares) retraçant la grande histoire des sports balkaniques.
Car dans les Balkans, le sport n’est pas une question de vie ou de mort, c’est bien plus que cela !

Par Loïc Trégourès

Edin Džeko, meilleur buteur du Mondial 2010 avec 9 réalisations

Favoris naturels de cette finale, les Espagnols n’auront donc pas su déjouer le coup de bluff tactique d’Ivica Osim, qui a repositionné pour la finale son équipe d’un 4-3-3 très offensif à un 4-3-2-1 défensif afin de contrer les deux milieux Xavi et Iniesta.

À l’image de l’Étoile Rouge de Belgrade en 1991 face à l’OM, c’est en reniant son propre jeu que la Yougoslavie a atteint le sommet. À ses qualités d’attaque exceptionnelles aperçues tout au long du tournoi, la Yougoslavie a montré aujourd’hui qu’elle était capable de faire appel à des vertus de solidarité et de solidité défensive pour empêcher Torres et Villa de tromper Samir Handanović.

La Yougoslavie n’aura en effet que rarement dépassé le milieu du terrain, finissant le match avec 38% de possession de balle, mais il aura suffit d’une tête de Džeko sur un corner de Jovetić pour tromper Casillas et envoyer les Yougoslaves au paradis. Le (très probable) futur buteur du Milan AC remporte par la même occasion le titre de meilleur buteur de la compétition avec 9 réalisations.

De son côté, Ivica Osim pourra se vanter d’avoir réalisé le tournoi parfait avec son groupe qui sera monté en puissance au cours de la compétition. On se souvient en effet des difficultés avec lesquelles les Yougoslaves sont venus à bout du Ghana avec un but à l’ultime minute de Mirko Vučinić pour une laborieuse victoire 2-1, puis cette défaite 1-0 contre l’Allemagne qui les plaçait en difficulté avant le dernier match contre l’Australie. Les cadres de l’équipe, Vidić, Stanković, Modrić ont alors eu une discussion avec le reste du groupe. Une prise de conscience salutaire et un passage en 4-3-3 plus tard, l’Australie explose 7-0, avec un coup du poker [1] de Džeko.

En huitièmes de finale contre l’Angleterre de Capello, les bookmakers plaçaient la Yougoslavie à 19 contre 1 face à l’un des favoris de la compétition. La légende Dragan Džajić annonçait pour sa part une victoire facile. Face à la science tactique de Capello, les Yougoslaves ont tout simplement opposé leur talent, à l’image de Jovetić ou Krasić, un brin de réussite avec ce but sur coup-franc dévié de Stanković, mais surtout une rigueur de tous les instants de la part de la charnière défensive estampillée Chelsea-Manchester United Ivanović-Vidić, qui a remporté son duel face à son alter ego britannique Ferdinand-Terry. Après l’expulsion d’Ashley Cole pour un mauvais geste sur Dario Srna, les choses sont devenues plus faciles, et comble de l’ironie, le second but yougoslave est une contre-attaque 100% britannique avec le débordement de Ćorluka [2] pour la reprise d’Eduardo [3].

Des Bleus humiliés par une Yougoslavie imprenable

Quand les Français ont appris le nom de leur futur adversaire en quarts de finale, ils ont eu du mal à cacher leur soulagement. Il est vrai que les médias comme les joueurs commençaient déjà à faire passer l’idée qu’un quart de finale était déjà une bonne performance compte tenu de toutes les ondes négatives qui avaient accompagné les hommes de Domenech. Alors, l’obstacle anglais levé, l’optimisme a fait son retour. Gignac, Diarra, Sagna et même Henry, l’ancien canonnier, ont affiché leur satisfaction de ne pas rencontrer les Three Lions.

C’est peu dire que Ivica Osim a modérément goûté cette attitude pour le moins suffisante des Français. D’après plusieurs joueurs, il a affiché leurs déclarations dans le vestiaire, inscrivant sur le tableau noir une seule phrase : « Nous serons leur Waterloo ! ».

Avec Modrić, Jovetić, Krasić, Pandev et Džeko présents au coup d’envoi, les Yougoslaves étaient armés pour poser des problèmes à une défense française affaiblie par la blessure de Gallas et le positionnement d’Abidal au centre. Derrière, Vidić, Subotić, Ivanović et Ćorluka n’avaient aucun mal à contrôler les tentatives isolées et désordonnées de Ribéry ou Henry. Persistant dans ses idées, Domenech avait laissé sur le banc Anelka, Malouda et Cissé pour faire jouer Henry sur le côté gauche et Gignac en pointe. Pris par Stanković, Gourcuff ne touchait pour sa part aucun ballon.

Jamais l’idée de déchéance n’avait été aussi bien personnifiée que par cette équipe de France, complètement dépassée de la première à la dernière minute, par la vitesse, la technique, les automatismes, mais aussi la rigueur et la discipline des Yougoslaves. Le contraste était saisissant entre une équipe de Yougoslavie fluide, presque trop facile, et des Tricolores sans imagination, sans lien entre les lignes, sans sursaut d’orgueil. Au final, les Français ne doivent qu’à Hugo Lloris de n’avoir pris que trois buts. Avec quinze occasions franches dont huit pour le seul Džeko (2 buts, et 1 but de Pandev), le navire français a bel et bien coulé, Thierry Henry a piteusement annoncé la fin de sa carrière internationale, et Raymond Domenech rendu publique la date de son mariage avant d’indiquer qu’il demandait l’exil sportif au Luxembourg.

La Yougoslavie impose sa technique à un Brésil sans imagination en demi

Grosse côte du dernier carré, la Yougoslavie, ceux que l’on appelle des Brésiliens de l’Europe, allaient finalement rencontrer les vrais Brésiliens, tombeurs aux tirs au but des Pays-Bas, Julio Cesar repoussant la tentative de Sneijder, son coéquipier de l’Inter. Mais le Brésil de Dunga est loin d’être un Brésil samba. S’appuyant sur une défense rugueuse et un milieu de terrain puissant et travailleur, c’est peu dire qu’on s’est ennuyé ferme devant ce Brésil dont les seuls éclairs de génie sont trop peu souvent sortis des pieds de Robinho alors que Kakà traînait sa peine et sa pubalgie.

Pourtant, au moment de rencontrer la Yougoslavie, tout le peuple brésilien priait déjà pour une finale contre l’ennemi argentin, opposé à l’Espagne dans l’autre demi-finale. Pandev et Krasić étaient chargés d’empêcher les montées de Bastos et Maicon, Modrić jouait à hauteur de Stanković en privilégiant le jeu long tandis que Jovetić se positionnait haut pour épauler Džeko. C’est d’ailleurs sur un long ballon de Modrić dans le dos de Bastos que Krasić pouvait déborder et centrer pour Jovetić dont la reprise manquée trouvait le bout du pied de Džeko pour l’ouverture du score. Même l’égalisation à l’heure de jeu de Luis Fabiano n’allait pas changer le cours d’un match techniquement dominé par les Yougoslaves. Džeko, puis Misimović, rentré à la place de Jovetić buttaient sur Julio Cesar. Il fallait une fois de plus s’en remettre au talent de Krasić qui déposait Bastos et se faisait découper dans la surface par Juan. Un penalty indiscutable à quelques minutes de la fin mais peu de joueurs pour prendre la responsabilité de le tirer. C’est finalement Ivan Rakitić, qui avait remplacé Modrić quelques minutes plus tôt, qui, du haut de ses 20 ans, ne laissait aucune chance à Julio Cesar et donnait un avantage définitif aux Yougoslaves malgré les derniers assauts brésiliens que Handanović se fit fort d’annihiler.

Perclus de crampes pour la plupart, les joueurs trouvaient pourtant la force d’exulter au milieu de la pelouse. Pour la première fois de son histoire, la Yougoslavie allait jouer une finale de Coupe du Monde. La presse brésilienne n’avait pour sa part pas de mot assez dur pour qualifier ce Brésil insipide et amorphe alors qu’il s’agissait d’abord de relever un défi technique, à tel point que O Globo, un des principaux quotidiens du pays, a titré « les Yougoslaves sont les vrais Brésiliens » au lendemain du match. Moins de 24 heures après cette déroute, Ronaldinho accueillait avec soulagement la démission de Dunga, et les Yougoslaves pouvaient se concentrer sur le match de leur vie.

Avec cette victoire contre l’Espagne, la Yougoslavie a rencontré l’Histoire et touché le toit du monde.