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Simone Farina est un sans grade. Jeune, il est passé par le centre de formation de l’AS Roma et a vite fait partie de la liste des erreurs de recrutement de l’élite professionnelle. Aujourd’hui, à 29 ans, il gagne 90 000 euros par an, en suant sur les terrains de troisième, quatrième, ou, au mieux cette saison, en deuxième division du championnat italien. Ce défenseur promène sa blondeur juvénile et son bonheur simple de jouer, sa banalité - une femme et deux enfants - dans le centre-ville de Gubbio, non loin de Pérouse. Farina fait l’admiration des supporters de la petite ville pour son engagement physique et son manque de chance. Il est souvent blessé et disons-le, ce n’est pas une flèche. Mais comme il se donne à fond, les gens l’aiment bien.

Au début de la saison 2011-2012, il reçoit l’appel téléphonique d’un de ses anciens copains du centre de formation de Rome, lui aussi passé dans les dernières pages des albums Panini, Alessandro Zamperini. Ce dernier joue en quatrième division mais roule en Porsche. Zamperini appelle son pote justement parce qu’il est question de lui vendre une voiture. Farina n’en a que faire mais bon, l’autre insiste pour le rencontrer et, comme on ne refuse pas la visite d’un vieil ami, ils vont boire un cappuccino ensemble. La brioche que s’apprête à avaler Farina en discutant avec son ancien partenaire ne va pas passer. Zamperini lui propose 50 000 euros s’il parvient à soudoyer des adversaires. Cela intéresse des bookmakers indonésiens, moldaves, enfin, des gens, qui paient pour rendre plus sûrs et plus juteux les paris sur les matchs de football. Farina va dire non. La chose est hors de question. Il ne se voit pas même en rêve corrompre des camarades défenseurs, des gardiens, pour obtenir de faux pénaltys, programmer des erreurs grossières. Zamperini ne se démonte pas et lui demande le numéro de téléphone de son capitaine qui sera peut-être plus coopératif. Farina refuse une deuxième fois. Zamperini sourit devant tant de bêtise et laisse l’innocent à sa brioche en lui conseillant amicalement de mâcher en fermant la bouche.

Le jour même, Farina qui ne veut pas s’encombrer la tête avec cette visite incongrue décide d’aller en parler à son entraîneur, puis au président de son club, et enfin de témoigner devant la justice de son pays. Plus sûrement, il ne veut pas risquer d’être impliqué malgré lui dans les enquêtes en cascade qui dévoilent régulièrement la cupidité et l’absence de morale du milieu du football italien. Depuis, la police arrête des joueurs et en soupçonne plus d’une quarantaine d’autres à ce jour qui se livreraient à la corruption organisée pour empocher les dividendes de résultats de matchs truqués. Certains sont des récidivistes. Simone Farina est devenu un héro pour les uns, un pauvre type pour les autres. Lui décide de ne pas recevoir les journalistes. « Je n’ai pas fait cela pour devenir quelqu’un. »

Le jour de Noël, Cesare Prandelli, entraîneur de l’équipe nationale appelle Farina. Il lui souhaite la bonne année et lui ouvre les portes de Coverciano, où se tiennent les rassemblements de l’équipe d’Italie. Il va même un peu plus loin en le convoquant officiellement pour le stage préparatoire à l’Euro de la Squadra Azzurra qui rencontrera les Etats-Unis en février, « pour l’exemple ». Prandelli, lui aussi, est un homme d’une grande probité. L’ancien entraîneur de la Fiorentina avait refusé une offre alléchante de la Roma en 2007 pour rester auprès de sa femme malade. Après le décès de cette dernière, il n’envisageait plus aucun transfert tant la population florentine lui avait chaleureusement manifesté son affection. Seul le poste d’entraîneur national a pu lui faire délaisser un temps son club mais Coverciano se trouve à Florence.

En attendant, à Gubbio, le groupe politique Refondation communiste a proposé d’élever Farina au rang de citoyen d’honneur de la ville.

O.V.

Rappel : En France, personne n’a convoqué Jacques Glassmann en équipe nationale. Le joueur de Valenciennes avait dévoilé que l’O.M. de Bernard Tapie se livrait à des pratiques de corruption.

Toujours en France, les paris sportifs ont été autorisés par la loi du 6 avril 2010, promue d’abord par l’ex-secrétaire d’Etat aux Sports Bernard Laporte puis défendue par Eric Woerth, alors ministre du Budget.



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