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Citation
Il arrive parfois que des demandeurs Albanais ou Kosovars se disent victimes de la loi du Kanun pour obtenir l’asile en France. Qu’est ce que le Kanun ? Quelles sont ses règles ? Comment se traduit-il dans l’Albanie ou le Kosovo d’aujourd’hui ? Comment est-il pris en compte par les autorités de l’asile en France ?
En 2011, la presse se faisait l’écho d’une histoire qui se déroulait au sud de Pristina, la capitale du Kosovo. Dans trois habitations protégées par un mur, 45 personnes se cachaient terrifiées. Le chef de clan, Haki Naziri, expliquait que les hommes de la famille ne pouvaient pas sortir depuis 17 mois.
Les femmes ne sortaient que pour faire les courses. Sinon, la famille entière restait cloîtrée entre quatre murs derrière les fenêtres closes. Les hommes ne pouvaient travailler dans les champs. Les enfants mâles de plus de sept ans ne pouvaient aller à l’école. Tous les hommes étaient menacés par les membres d’une autre famille, les Veseli.Tous ces hommes étaient pourtant de petites gens, pas des bandits. Il savait que les Veseli étaient pourtant dans leur bon droit et qu’à tout moment ils pouvaient frapper l’un des leurs, sauf à l’intérieur de la maison conformément à la coutume. Cette coutume n’a cependant rien à voir avec les lois de la jeune nation kosovare. Elle est issue d’un mystérieux code de conduite albanais : le Kanun.
Si les Veseli en voulaient autant aux Neziri, c’est qu’en février 2010, l’un des leurs avait été assassiné par quatre des frères Neziri. Ces hommes étaient jugés par la justice, mais la famille endeuillée n’en avait que faire. Pour elle, le conflit devait se résoudre par la vengeance et dans le sang. Un Neziri devait donc mourir. Au Kosovo et en Albanie, on appelle cela la « reprise de sang ». On peut multiplier cet exemple à l'infini.
Le Kanun, une coutume ancestrale
Le Kanun est un mot grec, traduit en albanais par le turc. Il s’agit d’un code coutumier remontant au XVème siècle. Il ne se réduit pas à la gjakmarrja, littéralement « reprise du sang », mais d’un corpus de règles en douze « Livres » régissant tous les aspects de la vie quotidienne, de l’organisation de l’économie à l’hospitalité en passant par la famille, la place de l’homme et de la femme dans la société, le mariage, la gestion des bien communs… et surtout l’honneur personnel, pierre angulaire de ce système sophistiqué. Le « Livre huit » lui est en effet consacré. Il s’agit probablement d’une loi séculaire illyrienne datant de l’antiquité que ni le christianisme, ni l’islam, ni le communisme n’ont effacée.
Les règles du Kanun
Il existe plusieurs variantes du Kanun, le plus connu étant celui de Dukagjin qui est surtout appliqué dans les montagnes du nord de Lezhé et de Shkodër et même au Kosovo dans les régions de Pejë, Gjakovë. Initialement, le but du Kanun, codifié par le prince Leek Dukagjin était de mettre un terme aux querelles intestines entre clans et familles, en introduisant des règles qui encadrent les règlements de compte à défaut de pouvoir les supprimer. Le Kanun régit donc les modalités de la vendetta en précisant, entre autres, que l’homme ne peut être tué devant sa femme, que l’assassin doit être présent à l’enterrement de sa victime, etc. Chaque vie humaine se rachète par une autre, choisie dans la famille de l’agresseur. D’où les nombreuses familles qui, en Albanie ou au Kosovo, recluses dans leur maison en attendant l’inévitable car le Kanun veut que la vengeance ne puisse se produire à l'intérieur de la maison du meurtrier. Une attente d’autant plus terrible que l’homme qui paiera la dette de sang n’est pas nommément désigné ; tout homme de la famille de l’agresseur ayant l’âge de manier une arme est, en effet, susceptible de subir la vengeance de la famille de l’agressé, et ce pendant sept années. Il n’a plus qu’à se cacher ou s’il « manque d’honneur », à fuir à l’étranger où il est parfois traqué et assassiné. Celui de la famille lésée, qui a été désigné pour l’abattre reste inconnu et a tout son temps, des mois, des années pour exercer la « reprise de sang ». Evidemment selon les lois modernes, il est un criminel, mais pour ceux qui croient en la Kanun, il ne fait que sauver l’honneur de sa famille.
Seule une autre règle du Kanun peut aider la famille de celui qui a tué. On la nomme la besa. Cette parole d’honneur protège certains membres de la famille visée par la vendetta ou permet à la famille de la victime d’offrir une trêve plus ou moins longue à la famille du meurtrier. Mais la famille de la victime ne l’accorde que rarement.
La résurgence du Kanun
Ce n’est qu’avec l’évènement du régime communiste en 1946 que l’Etat albanais a voulu imposer son autorité sur l’ensemble du territoire et éradiquer cette loi coutumière. La chute de ce régime en 1991 s’est accompagnée d’une résurgence de la gjakmarrja qui avait pourtant quasiment disparu. Cette résurgence reflète à la fois l’enracinement profond du Kanun et l’effondrement de l’Etat albanais. La gjakmarrja a ainsi ressurgi de façon nettement plus violente au point que même les enfants mâles de moins de quatorze ans en sont parfois la cible, ce qui est contraire au code d’honneur du Kanun qui protège également les femmes. Les « médiateurs », en particulier les membres du Comité National de Réconciliation, peinent à ramener la paix entre les familles en conflit et éviter les effusions de sang, en se fondant sur le Kanun qui détaille et encadre aussi le rite et les procédures de réconciliation entre familles ennemies.
Le phénomène du Kanun aujourd’hui
Si aucun chiffre officiel ne permet de quantifier l’ampleur du phénomène, des observateurs affirment que le nombre de crimes d’honneur sont en augmentation et que l’on compte chaque année bien plus qu’une centaine de meurtres en Albanie et au Kosovo. Les autorités albanaises et kosovares, notamment la police locale, se montrent pourtant impuissantes face à la tradition du Kanun. Il est cependant vrai que des menaces de mort sont difficiles à prouver tant qu'elles ne se sont pas réalisées.
Aucun chiffre ne permet non plus de quantifier les demandes de ressortissants albanais et kosovars qui, en France, se basent sur des vengeances fondées sur le Kanun, même si l’Ofpra relève dans ses rapports d’activité pour les années 2011 et 2012 que les demandeurs albanais invoquent souvent des vendettas qui peuvent cependant être aussi d’origine mafieuse. Ces demandeurs relèvent uniquement de la protection subsidiaire.
La demande basée sur une vengeance fondée sur le Kanun ne peut aboutir que si le récit parait vraisemblable aux autorités de l'asile et que les faits sont relatés avec beaucoup de précision, particulièrement l'origine et les circonstances ayant présidé à l'ouverture de la vendetta. L’examen de cette vraisemblance reposera d’abord sur les déclarations du demandeur, mais également sur les informations recueillies par l’instructeur sur l’actualité du phénomène du Kanun dans la région d’origine et sur le vécu des personnes qui se sont trouvées dans des situations similaires dans ce pays tout autant que sur la production de preuves (certificat de décès, articles de presse, témoignages susceptibles de rendre crédibles les menaces alléguées, etc.).