Dans le même style que l'interview précédente, il y avait eu celle d'un membre du CPP :
Citation
L'Express du 08/05/2003
Témoignage
Moi, Fred, hooligan du PSG
propos recueillis par Boris Thiolay
Je suis un fan de foot depuis toujours. J'ai commencé à jouer à 8 ans dans un club de la banlieue parisienne. Jusqu'à 11 ans, j'ai vécu en HLM, puis dans un autre immeuble, en zone pavillonnaire. Je viens d'une famille d'ouvriers. Mon grand-père était communiste et mes parents ont toujours voté à gauche. Ils n'ont pas eu une vie facile. Mon père travaillait tard et je le voyais rentrer du boulot épuisé. Jeune, j'étais déjà nerveux. Avec mon cousin, quand on était gamins, on s'est toujours embrouillés avec des Maghrébins. J'avais des copains arabes, mais aussi beaucoup de soucis avec eux. Il y avait tout le temps des problèmes, des mecs qui se faisaient dépouiller.
«Le lendemain, j'étais tout fier de raconter que j'avais tapé un Anglais...»
J'ai découvert le PSG et le Parc des Princes avec mon oncle, en 1981. J'avais 11 ans. A 15-16 ans, j'ai commencé à aller régulièrement au Parc, seul ou avec un copain, sans le dire à mes parents. Sur le trajet, tu finis par rencontrer des gens qui vont au stade: un mec m'a amené dans la tribune Boulogne. Moi, j'y allais pour voir le match. Mais là, j'ai tout de suite rencontré des skins. A Boulogne, il n'y avait quasiment que des nationalistes [militants de l'extrême droite radicale]. A cette époque, je suis devenu raciste et nationaliste à cause de ce que j'avais vécu en banlieue. J'avais la haine. Au Parc, il y avait beaucoup de mecs comme moi, venus de banlieue. En 1988, à 18 ans, pour la présidentielle, j'ai voté Le Pen, direct. Jusqu'en 1995, j'ai voté FN. C'était un truc protestataire. Cela fait des années que je ne vote plus, ça ne m'intéresse pas. Je suis toujours plutôt nationaliste, mais je ne suis pas raciste. Avec pleins de mecs, même des amis, je ne peux pas parler politique. Certains sont néonazis. Moi, je voyage beaucoup et j'aime découvrir d'autres pays, d'autres cultures. Mais je n'aime pas qu'on crache sur la France.
La première fois que j'ai tapé un mec, c'était dans le métro, avant France-Angleterre en 1984 [le premier gros débordement lié au hooliganisme en France]. Des mecs se battaient, un Anglais est tombé par terre, il était déjà esquinté. J'en ai profité, je lui ai tapé dessus. J'ai eu peur. C'est con, mais le lendemain, j'étais tout fier de raconter que j'avais tapé un Anglais... Au départ, j'étais un suiveur.
«Je tapais comme un malade»
Mon premier déplacement avec les supporters du PSG, c'était à Nancy, en 1986. Que tu sois skin ou simple supporter, se faire insulter en province parce que t'es parisien, ça crée des liens. On formait un bloc quand on allait à l'extérieur. A partir de 1986, j'ai suivi tous les matchs au Parc et je faisais quelques déplacements. J'étais parmi les premiers mecs à attaquer les bus des équipes ou des supporters adverses. On lançait des pierres, mais on n'avait aucune culture hooligan.
Ma première grosse bagarre, c'était à Lens, la même année. On était deux cars de supporters. On est sortis dix minutes après le match: c'est pas comme maintenant où les flics te font attendre une heure avant de te raccompagner au bus. Là, les Lensois nous attendaient sur le parking. Une vingtaine de skins et des suiveurs: 200 mecs en tout. Nous, on était 80. On a eu peur, mais on a chargé. Je me suis lâché. Je me souviens avoir éclaté un skin sur une bagnole: je tapais comme un malade.
Au milieu des années 1980, on a créé le Commando Pirate, un groupe d'une trentaine de mecs et 120 autres qui suivaient. Dans les années 1990, le PSG jouait partout en Europe. Je faisais au moins un déplacement par mois. On a fait tous les grands matchs. J'ai participé à plusieurs dizaines de bagarres, dont une bonne douzaine de grosses. Contre la Juve [la Juventus de Turin] en 1989 et en 1993, Anderlecht, Arsenal, Liverpool, le Celtic de Glasgow, Galatasaray [il énumère les rencontres comme des campagnes napoléoniennes]... C'étaient des bagarres valables. J'ai fait une dizaine de gardes à vue, de Monaco à Glasgow.
Il y a eu aussi PSG-Caen [en 1993, 10 policiers blessés, dont 1 grièvement]. Je n'y étais pas. Heureusement. Tous mes potes sont allés en prison, pour plusieurs mois. Cela a créé des histoires, parce que certains ont cru qu'il y avait eu des balances. Aujourd'hui, notre groupe, c'est une dizaine de mecs de l'époque toujours actifs et une cinquantaine de types arrivés à des moments différents. Avec les anciens, on a de vrais rapports d'amitié. Je sais que mes amis ne me lâcheront pas et que je ne les lâcherai pas. Si je tombe par terre pendant une bagarre, ils resteront avec moi, quitte à en prendre plein la gueule. Pour l'honneur, pour l'amitié. Dans le groupe, je suis un des seuls à avoir toutes mes dents. Beaucoup ont la gueule abîmée: il faut dire qu'ils ont donné!
Cette année, le PSG est vraiment nul en championnat: on ne fait pas beaucoup de déplacements. J'espère que Paris va jouer la Ligue des champions, la saison prochaine, et qu'on aura un bon tirage au sort. Franchement, je n'irais pas à Rosenborg [Norvège]: c'est pas un gros match. Par contre, quand tu tombes dans un groupe avec Manchester ou la Juve, là, t'as un gros match et il y a des hools en face. Tu sais que ça va donner... En championnat, au Parc, c'est presque impossible de se battre: trop de surveillance, trop de caméras, trop de flics. PSG-Marseille, on ne peut pas bouger. Sauf si, de l'autre côté, il y a vraiment un groupe super-motivé. Certains Marseillais, avant le match au Parc, se donnent rendez-vous au Stade de France. Des gars de chez nous y vont et ils se cartonnent là-bas. Mais personne en France ne va venir provoquer 400 hools au kop Boulogne. Les mecs ne sont pas fous.
Le hooliganisme, c'est bizarre. C'est de la délinquance, mais je le ressens comme du plaisir. Le culte du hooliganisme, c'est d'être capable de constituer un groupe avec un peu d'organisation et de défier un autre groupe. Mon truc, c'est de me battre avec les poings. Nous, ce qui nous intéresse, c'est de taper sur des mecs comme nous. On appelle ça aller au contact... Moi, je n'ai pas de haine contre le supporter de Bordeaux ou de Lens, sauf le temps du contact. Tous les deux, on est du même monde. On joue à un petit jeu: le jeu du hooliganisme. C'est un vice. La violence, c'est attirant. Mais ça ne nous viendrait pas à l'esprit de taper sur un père de famille. Pour nous, frapper quelqu'un qui n'a rien à voir, c'est une bavure. On a un certain respect, une morale.
«L'idée, c'est d'être dans le Top Ten»
Avec les potes, on repère les bons matchs à l'extérieur. On fait le déplacement avant tout pour se marrer. Parfois, on voyage en avion. On va dans les bars, au resto, en boîte... On s'éclate. Mais l'essentiel, c'est de voir le match. S'il y a une bonne victoire et une petite bagarre, là c'est parfait. Quand le match est moins intéressant, j'ai tendance à regarder dans les tribunes et à chercher un contact.
Paris, c'est la seule ville française où il y a une culture hooligan. Parce que le PSG a rencontré tous les grands clubs européens et qu'on est mal-aimés. Mais la vraie culture hooligan, c'est l'Angleterre, l'Italie, la Belgique et les Pays-Bas. A chaque fois que je vais voir un match en Angleterre, je suis impressionné. Mon rêve, c'est d'avoir un jour en face de nous les mecs de Leeds ou de Chelsea [les hooligans réputés les plus violents d'Angleterre]! En 1996, on s'est battus dans un pub avec des jeunes hools de Leeds. On leur a fait mal. Mais les plus anciens, tatoués de partout, ceux qui n'ont même pas bougé parce qu'ils avaient tous fait de la prison et que c'était trop risqué pour eux de se battre en plein jour, ils étaient vraiment impressionnants. Le jour où il y aura PSG-Leeds, on rentrera dans la légende! L'idée, c'est d'être dans le Top Ten en Europe. Après le match PSG-Galatasaray [46 blessés en 2001], les Headhunters [les Chasseurs de têtes, groupe hooligan de Chelsea] avaient écrit sur leur site Internet qu'on était entrés dans le Top Ten. C'est le genre de réputation qui se défend durement et qu'on peut payer cher...
A côté de ça, il y a les fantômes du hooliganisme: ceux qui ne font que suivre, qui vont taper sur un mec seulement quand il est à terre, se barrer en cas de coup dur. En plus, dans la jeune génération, t'as des vrais dégueulasses. Ils sont prêts à planter quelqu'un [à coups de couteau]. Il y a aussi de plus en plus de gars qui donnent rendez-vous par portable à ceux d'en face pour se battre, n'importe où. Moi, je n'aime pas ça: on va directement devant le stade.
Avant le contact, on boit quelques bières. Le but, c'est d'être chaud, mais pas trop, parce que si t'es bourré, tu te fais éclater! Certains prennent de la coke. Généralement, on est en basket-chemise-jeans, voire pantalon à pinces. Il y a longtemps qu'on a remisé le look bombers et crâne rasé. Comme ça, on passe inaperçus. Les hools anglais sont habillés avec des fringues de marque: la moindre chemise Long Island, ça vaut 500 balles! Plus il y a de monde, plus on se faufile. Quand on se fait contrôler, on ne fait pas d'embrouilles. Le but, c'est de contourner les barrages de flics, d'arriver jusqu'au stade pour retrouver les mecs d'en face.
Le contact, faut le vivre pour le comprendre: t'es dans la rue, en bande. Tu vois les autres arriver en bande. Tu as peur, tu sais qu'ils ont peur. Mais tu te dis que t'as pas le droit de reculer, qu'il faut les mettre par terre. Arrivé à quelques mètres, t'as la pression qui monte. Mais l'envie est plus forte. Alors, tu rabats ton bonnet ou tu remontes ta cagoule, t'y vas et tu te défoules. Le challenge, c'est de se faire une bonne bagarre, de "mettre la misère" aux mecs d'en face et de rester debout. De leur prouver que t'es le meilleur. De montrer ta réputation. A Paris, on est les meilleurs: tout le monde le sait. Quand on arrive dans une ville, Paris c'est nous!
Nice-PSG, on y est allés parce qu'on savait qu'il y aurait des mecs en face... Ça se sait dans le milieu. Sur Internet, les Niçois racontaient qu'ils allaient nous massacrer. Ils commençaient à se montrer un peu trop. On avait la ferme intention de les taper. On était 70 à se déplacer en individuels [en dehors des clubs de supporters], dont 10 anciens. On a pris l'avion, d'autres sont venus en train ou en voiture. On s'est donné rendez-vous dans un bar du centre-ville, en s'envoyant des Texto ou en se laissant des messages sur les portables. Quand je suis arrivé, il y avait déjà 40 à 50 mecs. On a attendu en buvant des bières. Pendant ce temps-là, les flics arrêtaient les mecs les plus voyants à la gare. On a décidé d'aller au stade par groupes de 10. Le premier groupe est parti à pied, les flics les ont suivis. Nous, on y est allés en bus. Sur place, on a trouvé une petite rue pour contourner les barrages. On est arrivés à 50, directement devant la tribune des ultras niçois. J'ai dit aux gars: "Il est hors de question de reculer!" On a commencé à chauffer les Niçois en criant: "Hooligans, Paris!" pour les faire venir. Au départ, les mecs nous jetaient des trucs du haut de la tribune, mais ils n'osaient pas venir au contact. Les premiers à s'approcher en ont pris plein la gueule. A un moment, un Niçois a sorti un couteau, genre couteau de boucher. Il a voulu planter un mec. Un jeune de Paris l'a ceinturé. C'est lui qui a pris le coup de couteau. Le type au couteau, on l'a fracassé contre un mur. Des mecs qui tenaient un camion de frites sont arrivés avec une batte de base-ball et une crosse de hockey. Ils ont été désarmés et ont pris des coups. Un Niçois arrivait avec une pelle: il a été fracassé. Les flics se sont mis avec les Niçois. On a reculé, mais les mecs qui nous suivaient continuaient d'en prendre plein la gueule. On avait amené des fusées pour disperser tout le monde en cas de danger, mais on n'a même pas eu besoin de s'en servir. La bagarre a duré quatre ou cinq minutes. Même si un mec de chez nous a pris un coup de couteau, on leur a mis la misère à 50 contre 200. Après, on a assisté au match. A dix minutes de la fin, on a arraché des dizaines de sièges pour les lancer sur les ultras niçois. Après le match, on a attaqué le café où ils étaient regroupés. On en voyait à l'intérieur qui avaient des pansements. C'était un déplacement assez anodin. C'est le seul truc qu'on ait eu à se mettre sous la dent cette saison.
«On s'est demandé si on ne l'avait pas tué»
Tuer quelqu'un? Se faire tuer? On n'y pense pas. Bon, quand tu te réveilles le lendemain matin avec la gueule amochée, tu te repasses le film et tu ne te sens pas très malin. De toute façon, je ne suis pas armé. Mais c'est vrai que, le soir de PSG-Anderlecht (1992), on avait éclaté un mec sur une voiture. On s'est demandé après si on ne l'avait pas tué. Pour PSG-Juve, les Italiens nous avaient donné rendez-vous dès le match aller avec une banderole déployée dans leur stade, à Turin. A 18 heures, on est allés au pont de Sèvres, où les hools de la Juve se rassemblaient. Ils ont été canalisés par les flics, mais on en a retrouvé d'autres au Trocadéro. Là, un de mes potes a fracassé un mec de 100 kilos avec un coup-de-poing américain. Le mec était par terre, il n'avait déjà plus de dents, et l'autre continuait à frapper. Je l'ai arrêté. Après, mon pote pensait qu'il avait peut-être tué le gars... Mon cousin qui était skin, il a arrêté en 1992. Il avait peur de tuer quelqu'un. Il était parti dans des trucs de fou.
Pour arrêter le hooliganisme, il faut interdire le football. Comment tu veux arrêter des types qui ont pris le vice du combat de rue? On n'arrête pas de nous dire: Il y a moins de hooligans. C'est faux. Il y en a déjà plusieurs générations. En plus, il y a plein d'anciens hools parisiens qui se sont rangés, mais qui reviendront si un gros match de Coupe d'Europe arrive. De toute façon, même les mecs interdits de stade arrivent à rentrer, par exemple à la mi-temps. Les stewards du PSG nous connaissent, il y a d'anciens hools chez eux. Et, en déplacement, ce sont eux qui nous encadrent au stade. Heureusement, parce que s'ils nous mettaient les stewards de l'autre club, ce serait même pas la peine! Et puis les hooligans, ils font des petits. Depuis cinq ou six années, ça s'étend, avec les Stéphanois et les Bordelais. A Bordeaux, il y a 30 ou 40 types super-motivés. Quand on va à Saint-Etienne, on est 300 parce qu'on sait qu'on aura du monde en face. A Nice, il y avait un jeune mec qui était fasciné. Lui, il va faire partie de la nouvelle génération. Il va se créer une petite bande, il voudra prouver qu'il est là. Les jeunes qui arrivent, ils sont encore plus chauds. Eux, ils ont grandi dans une société où il n'y a pas de cadeaux.
Mes parents savent ce que je fais, ils m'ont déjà vu à la télé. Mon père ne comprend pas. Quand Paris joue en Coupe d'Europe, ma mère m'appelle pour me demander de ne pas y aller. Quand j'ai connu ma femme, elle savait que j'étais hools. En 1997, elle m'a dit: Tu t'es bien éclaté. Tu devrais calmer le jeu. J'ai pensé: Il faut que j'arrête. J'y retourne quand même. Je n'arrive pas à me l'expliquer...
Avec ma femme, on s'aime, mais je ne peux pas quitter mes potes comme ça. Peut-être plus tard. Quand je pars, elle a peur. Elle sait que je fais gaffe. Mais quand t'es dans le truc, tu ne maîtrises pas tout. Et encore, moi, je suis assez sensé. Je suis du genre papa-poule: je passe tous mes mercredis avec mes enfants. Un jour, je leur raconterai ma jeunesse, la banlieue, le stade. Mais je me suis toujours dit: Mes gamins n'habiteront jamais en banlieue et je ne les amènerai jamais au match. Je ferai tout pour qu'ils n'y aillent pas. Moi, j'ai des choses à perdre. Je prends de moins en moins de risques. Mais, dans les stades, il y a beaucoup de gens qui n'ont absolument rien à perdre.