Citation
L’arbitre de foot broyé par les images
Tony Chapron arbitre de football internationalet Jacques Blociszewski chercheur sur les nouvelles technologies.
En France, le lynchage médiatique des arbitres de football est un sport national. Souffre-douleur de générations de spectateurs des stades, l’arbitre est devenu un bouc émissaire permanent pour des médias affamés de polémiques. Et c’est via les images de télévision que le rite sacrificiel s’opère… Chaînes de télé, radios et grande presse sportive font leurs choux gras de ces critiques démagogiques.
Les arbitres en sortent broyés, laminés par un examen absurde de ralentis passés en boucle. Souvent les images ne disent rien, ou se contredisent : quatre caméras montrant autant d’angles d’une même action peuvent fournir jusqu’à quatre vérités différentes. Nombre de commentateurs affrontent alors bravement le ridicule pour disséquer à l’infini ces ralentis, nageant en pleine incertitude, voire affirmant sans vergogne le contraire de ce qui apparaît à l’écran… Triste spectacle.
Pendant ce temps, sur le terrain, l’arbitre, lui, doit décider 180 fois par match, en une fraction de seconde, sous l’intense pression non seulement des joueurs, du public, des entraîneurs, du stade tout entier mais aussi des caméras de télévision, des commentateurs et consultants, et de millions de téléspectateurs. Il s’agit là d’une expérience et d’une performance peu communes, que l’on devrait faire vivre - ne serait-ce que dix minutes - à tous les procureurs en chambre et en studio. Ils en sortiraient hagards, et peut-être plus indulgents envers les arbitres. En attendant, les talk-shows futiles, accusateurs, voire haineux se succèdent à cadence industrielle. Et tout ce bavardage médiatique trouve dans les attaques contre les arbitres une source inépuisable de polémique.
Il est commode, dès lors, d’invoquer à tort et à travers le si mal nommé «arbitrage» vidéo. Comme si c’était le rôle de la télé d’arbitrer (ce qu’elle est bien incapable de faire), comme si la vérité de l’image était plus vraie que celle du stade, comme si examiner un ralenti ne demandait pas du temps, alors que la décision de l’arbitre, elle, se doit d’être immédiate !
Sur ces bases si floues, commentateurs et chroniqueurs se livrent à des discussions littéralement à perte de vue. Leurs hésitations et désaccords illustrent ce que serait l’application d’une assistance vidéo qui irait au-delà de la vérification du franchissement de la ligne de but par le ballon (elle-même fort complexe à mettre en œuvre…). La vidéo pendant le match serait un désastre, le football se noyant dans les ralentis et les palabres. Seul un appel raisonné aux images après le match peut être utile, par exemple pour disculper un joueur d’une faute qu’il n’a pas commise, ou sanctionner l’auteur d’une simulation, ce fléau. Les instances du football ont en effet la possibilité de prendre en compte ainsi, a posteriori, certains actes qui ont échappé aux arbitres. Encore faudrait-il qu’elles se décident à réellement utiliser cet outil… Or, au cours des deux dernières saisons, en France, cette démarche n’a été faite que trois fois.
Les remèdes ne viendront pas du recours à une «vérité de l’image» aléatoire et problématique, mais de la responsabilisation de tous ceux qui vivent du football, de tous ceux qui l’aiment, de ceux qui le filment et le commentent. Sans arbitres, il n’y a plus de football. Et les attaques systématiques et de mauvaise foi contre les «hommes en noir» - mettant en cause de plus en plus couramment leur honnêteté - contribuent à détruire ce sport. Elles permettent à certains de se défausser à trop bon compte de leurs échecs et freinent la recherche de solutions pour faire progresser l’arbitrage (ce qui est toujours souhaitable).
Ces derniers mois, la situation s’est encore durcie, comme s’il n’y avait plus de régulation possible dans un système devenu fou, où l’on peut dire presque n’importe quoi du moment que la cible, c’est l’arbitre. La crise de la règle et de l’autorité a atteint, sur les terrains de foot, une dimension très inquiétante, et les errements des professionnels se répercutent sur les amateurs et les équipes de jeunes, où les comportements antisportifs et violents sont courants. C’est ici notre relation au réel et au sport qui est en cause. Les réalisateurs lancent de trente à quarante ralentis de fautes par retransmission télévisée, c’est-à-dire autant de sujets possibles de polémiques. Mais est-ce encore du foot ? Et qu’est-ce qui nous intéresse, le talent des joueurs ou les éventuelles erreurs d’arbitrage ? Avec la transformation de la rencontre par la télévision, l’esprit du jeu est mis à rude épreuve, surtout par ce «révélateur de hors-jeu» si approximatif et si destructeur pour les arbitres et leurs assistants.
Les écrans géants dans les stades impriment encore davantage la marque de la télé sur le match, avec les risques provoqués par la coexistence, mal pensée et mal régulée, de l’événement et de son image télévisée.
Il est plus que temps que s’ouvre un authentique débat sur ce qu’est devenu le plus grand sport du monde. Il est plus que temps que le goût du respect revienne. Mais pas de ce respect aussi souvent affiché qu’il est violé, de cet alibi quasi publicitaire qui n’est ni vécu ni ressenti. Non, sauver le football, c’est abandonner la haine et la manipulation, sortir des enjeux de pouvoir stériles, des tics et des abus des médias, de l’emprise démesurée de l’argent, qui font perdre toute lucidité et toute distanciation par rapport au jeu. Nous devons absolument retrouver, enfin, la véritable saveur et le plaisir d’un match de football.
Tony Chapron est coauteur de le Sport et ses valeurs (éd. la Dispute) et Jacques Blociszewski est auteur du Match de football télévisé (éd. Apogée).
Tony Chapron arbitre de football internationalet Jacques Blociszewski chercheur sur les nouvelles technologies.
En France, le lynchage médiatique des arbitres de football est un sport national. Souffre-douleur de générations de spectateurs des stades, l’arbitre est devenu un bouc émissaire permanent pour des médias affamés de polémiques. Et c’est via les images de télévision que le rite sacrificiel s’opère… Chaînes de télé, radios et grande presse sportive font leurs choux gras de ces critiques démagogiques.
Les arbitres en sortent broyés, laminés par un examen absurde de ralentis passés en boucle. Souvent les images ne disent rien, ou se contredisent : quatre caméras montrant autant d’angles d’une même action peuvent fournir jusqu’à quatre vérités différentes. Nombre de commentateurs affrontent alors bravement le ridicule pour disséquer à l’infini ces ralentis, nageant en pleine incertitude, voire affirmant sans vergogne le contraire de ce qui apparaît à l’écran… Triste spectacle.
Pendant ce temps, sur le terrain, l’arbitre, lui, doit décider 180 fois par match, en une fraction de seconde, sous l’intense pression non seulement des joueurs, du public, des entraîneurs, du stade tout entier mais aussi des caméras de télévision, des commentateurs et consultants, et de millions de téléspectateurs. Il s’agit là d’une expérience et d’une performance peu communes, que l’on devrait faire vivre - ne serait-ce que dix minutes - à tous les procureurs en chambre et en studio. Ils en sortiraient hagards, et peut-être plus indulgents envers les arbitres. En attendant, les talk-shows futiles, accusateurs, voire haineux se succèdent à cadence industrielle. Et tout ce bavardage médiatique trouve dans les attaques contre les arbitres une source inépuisable de polémique.
Il est commode, dès lors, d’invoquer à tort et à travers le si mal nommé «arbitrage» vidéo. Comme si c’était le rôle de la télé d’arbitrer (ce qu’elle est bien incapable de faire), comme si la vérité de l’image était plus vraie que celle du stade, comme si examiner un ralenti ne demandait pas du temps, alors que la décision de l’arbitre, elle, se doit d’être immédiate !
Sur ces bases si floues, commentateurs et chroniqueurs se livrent à des discussions littéralement à perte de vue. Leurs hésitations et désaccords illustrent ce que serait l’application d’une assistance vidéo qui irait au-delà de la vérification du franchissement de la ligne de but par le ballon (elle-même fort complexe à mettre en œuvre…). La vidéo pendant le match serait un désastre, le football se noyant dans les ralentis et les palabres. Seul un appel raisonné aux images après le match peut être utile, par exemple pour disculper un joueur d’une faute qu’il n’a pas commise, ou sanctionner l’auteur d’une simulation, ce fléau. Les instances du football ont en effet la possibilité de prendre en compte ainsi, a posteriori, certains actes qui ont échappé aux arbitres. Encore faudrait-il qu’elles se décident à réellement utiliser cet outil… Or, au cours des deux dernières saisons, en France, cette démarche n’a été faite que trois fois.
Les remèdes ne viendront pas du recours à une «vérité de l’image» aléatoire et problématique, mais de la responsabilisation de tous ceux qui vivent du football, de tous ceux qui l’aiment, de ceux qui le filment et le commentent. Sans arbitres, il n’y a plus de football. Et les attaques systématiques et de mauvaise foi contre les «hommes en noir» - mettant en cause de plus en plus couramment leur honnêteté - contribuent à détruire ce sport. Elles permettent à certains de se défausser à trop bon compte de leurs échecs et freinent la recherche de solutions pour faire progresser l’arbitrage (ce qui est toujours souhaitable).
Ces derniers mois, la situation s’est encore durcie, comme s’il n’y avait plus de régulation possible dans un système devenu fou, où l’on peut dire presque n’importe quoi du moment que la cible, c’est l’arbitre. La crise de la règle et de l’autorité a atteint, sur les terrains de foot, une dimension très inquiétante, et les errements des professionnels se répercutent sur les amateurs et les équipes de jeunes, où les comportements antisportifs et violents sont courants. C’est ici notre relation au réel et au sport qui est en cause. Les réalisateurs lancent de trente à quarante ralentis de fautes par retransmission télévisée, c’est-à-dire autant de sujets possibles de polémiques. Mais est-ce encore du foot ? Et qu’est-ce qui nous intéresse, le talent des joueurs ou les éventuelles erreurs d’arbitrage ? Avec la transformation de la rencontre par la télévision, l’esprit du jeu est mis à rude épreuve, surtout par ce «révélateur de hors-jeu» si approximatif et si destructeur pour les arbitres et leurs assistants.
Les écrans géants dans les stades impriment encore davantage la marque de la télé sur le match, avec les risques provoqués par la coexistence, mal pensée et mal régulée, de l’événement et de son image télévisée.
Il est plus que temps que s’ouvre un authentique débat sur ce qu’est devenu le plus grand sport du monde. Il est plus que temps que le goût du respect revienne. Mais pas de ce respect aussi souvent affiché qu’il est violé, de cet alibi quasi publicitaire qui n’est ni vécu ni ressenti. Non, sauver le football, c’est abandonner la haine et la manipulation, sortir des enjeux de pouvoir stériles, des tics et des abus des médias, de l’emprise démesurée de l’argent, qui font perdre toute lucidité et toute distanciation par rapport au jeu. Nous devons absolument retrouver, enfin, la véritable saveur et le plaisir d’un match de football.
Tony Chapron est coauteur de le Sport et ses valeurs (éd. la Dispute) et Jacques Blociszewski est auteur du Match de football télévisé (éd. Apogée).