Article de France Football sur le football à Alger assez intéressant. Peut-être que POA ou d'autres pourraient filer leur avis, pour voir s'ils sont d'accord avec l'analyse de FF.
Citation
Alger, La footeuse
Huit équipes de L1 et L2 se partagent les faveurs des Algérois. Visite guidée d'une cité tiraillée entre ses si pittoresques clubs.
La carte postale a été déchirée en deux. Marseille d'un côté, Alger de l'autre. Deux sœurs jumelles séparées par une mer d'azur, que même le courant de l'histoire n'a jamais éloigné. Même promontoire spirituel (Notre-Dame de la Garde et Notre-Dame d'Afrique), même anarchie structurelle, même géomorphologie, même bouillonnement, même passion pour le sport roi. "Alger, c'est Marseille puissance dix, martèle François Bracci, l'ancien défenseur international de l'OM, aujourd'hui entraîneur du Mouloudia, officiel doyen des clubs algériens (89 ans). Ici, je vis tout dans l'excès. Il faut être constamment dans en éveil."
De Bab el-Oued à El-Harrach, en passant par les collines d'Hydra ou la forêt de Bouchaoui, Alger la Blanche étale ses multiples couleurs, celles de ses huit clubs de L1 et L2, mais affiche une seule vitrine : le football. Ce football qui, comme le dit Saïd Allik, président de l'USM Alger, "a joué un rôle majeur et donné de l'espoir à la jeunesse durant la décennie de terrorisme qu'a traversée le pays", à la fin du siècle dernier. Autant que par la guerre d'Indépendance, dont les vestiges (édifices, jardins) demeurent intacts, la capitale algérienne reste aujourd'hui imprégnée de ces années de peur. Les check-points succèdent aux contrôles, et les policiers, détecteurs de métaux à la main, sont sur le qui-vive. Alger est devenue la "ville au cent barrages", saturée par les automobiles, qui doivent se satisfaire de quatre feu rouges en état de marche sur l'ensemble de l'agglomération (7 millions d'habitants).
L'autre lutte des banlieues. A Alger, le foot est un cours magistral, à enseigner dans toutes les écoles. une leçon de vie, pour ne pas dire de survie, d'histoire et de géographie aussi. "Ici, on aime d'abord son quartier et l'équipe qui va avec", reprend Saïd Allik. "C'est un peu comme en Angleterre, et l'appartenance est très forte". En L1, Belouizdad (l'ancien Belcourt), Hussein-Dey et El-Harrach se disputent les faveurs des banlieues défavorisées, tandis que le Mouloudia et l'USMA (US Médina d'Alger) puisent leurs racines au coeur des mêmes quartiers populaires du centre de la capitale, La Casbah et Bab el-Oued. "Leurs supporters sont de la même famille, il n'y a pas de haine", confie Saïd Allik. "Le Mouloudia et l'USMA, c'est la ville d'Alger. El-Harrach, lui, englobe tous les quartiers pauvres de l'Est", observe Mohamed Laïb, président du club local, dont les derbys avec le club doyen sont autant de brasiers. Cette saison, les supporters de l'USMH ont même chassé de leur propre stade ceux du Mouloudia, lesquels ne s'aventurent jamais à La Vigerie, le fief belliqueux d'El-Harrach, le "Barbès algérois".
Dans le bureau aux murs lépreux qui sert de QG à sa société de construction, et d'où émerge une vieille photo en noir et blanc de l'USMH (avec Abdelaziz Ben Tifour, ancien international français dans les années 50 et un des créateurs de l'équipe du FLN), Mohamed Laïb évoque la mémoire collective, en rallumant sans cesse sont énorme cigare. Car, davantage que sur un quelconque palmarès, ce sont sur des bases historiques et économiques que les clubs algérois se sont créé leur propre identité sociologique. "Pendant l'époque coloniale, on était le 12ème et dernier arrondissement du Grand Alger, le plus excentré. L'Indépendance a crée un exode rural et la création de bidonvilles à Harach (ex Maison Carrée). C'est pour ça que nous sommes un club populaire. Notre public, c'est la force des pauvres". Lorsqu'en 1977, la réforme du football débouche sur le parraineg des clubs par des entreprise spubliques, Harrach se lie avec Sonarem (les mines) et délaisse ses couleurs originelles (celles du pays) pour adopter le jaune et le noir de la firme. "Du coup, on s'est rapproché du Borussia Dortmund, reprend M.Laïb. Comme eux, on a les mêmes couleurs, le même public. Toutes les chansons de nos fans font désormais référence à Dortmund, au point qu'on nous appelle le Borussia Harrach".
Cet enracinement populaire, on le rencontre aussi à Husseun-Dey et Belouizdad, où on polit le mythe du Grand Chabad. Club phare du pays dans les années 60 (quatre titres de champion en huit ans), le CRB et son emblème Ahcène Lalmas (le plus grand joueur algérien de l'histoire), ont embrasé l'Algérie indépendante. "Lucien Leduc, alors sélectionneur national (de 1966 à 1969), disait : 'Je n'ai pas besoin d'autres joueurs que ceux du CRB pour former mon équipe"", se souvient Mahfoud Kerbadje, actuel président du club et directeur général de l'Imprimerie nationale. Le CRB sera le premier club à dominer le football algérien. Le premier aussi à être détesté. "Ses joueurs étaient presque tous flics, comme Lalmas, qui occupait les fonctions de commissaires. Ils dominaient sur le terrain, mais aussi en dehors", note Halim Djender, rédacteur en chef adjoint du quotidien 100% foot Compétition.
Les Chinois du Mouloudia. L'histoire, partout l'histoire. "L'USMA a été créée en 1937 par des nationalistes", affirme Saïd Allik, dont le club, premier champion d'Algérie, en 1963, a dominé les années 1995 à 2004 (4 championnats, 5 coupes). Quant à Sid Ali Aouf, membre du bureau exécutif du Mouloudia et petit-fils du fondateur du club doyen, il assure : "Le MCA a un impact socio-politique. Au temps de la colonisation, porter ses couleurs (rouge pour le sang et vert pour l'espoir), c'était porter les couleurs de l'Algérie. Il y avait une volonté de se confronter. Le Mouloudia est le père fondateur algérien tel qu'il est aujourd'hui."
Géniteur et symbole de tous les martyrs, le Mouloudia a drainé le culte nationaliste comme un dieu la vénération. Sidi Ali-Aouf : "Mon grand-père avait dix-neuf ans quand il a fondé le Mouloudia, premier club musulman, alors qu'il n'en avait pas le droit. Il a falsifié des documents administratifs. Quand il a demandé qu'on fasse habiller les joueurs en vert et rouge, avec des bas blancs, il a eu peur des arrestations. Parce-que c'était afficher l'emblème national.". Lorsque la guerre d'indépendance débute, en 1954, le Mouloudia, ainsi nommé parce-qu'enfanté la veille de la fête du Mouloud, donnera le ton. Aujourd'hui, il n'est pas seulement le club de tous les Algérois, mais celui de tous les Algériens, au point que ses supporters sont surnommés les "Chinois", parce-que de plus en plus nombreux. "Le Mouloudia attire toutes les catégories socio-professionnelles, du chômeur au président de la République", conclut M.Aouf "C'est comme l'équipe nationale", confirme en écho Mohamed, le chauffeur de taxi qui nous conduit à la Villa, le siège du club, sur les hauteurs tumultueuses de Cheraga.
A Alger, l'histoire et le football restent donc étroitement unis, comme une aiguille et un fil, tissant passions comme on associe les destins. Aux victimes de la guerre d'indépendance, se sont adjointes celles du GIA dans les années 90 : Rachid Haraigue (ex président du CRB et de la Fédération algérienne); abattu devant son domicile ; Ali Tahanounti (patron du club de Borj-Menaiel) ou Omar Hamadi, dirigeant de l'USMA, qui a donné son nom au vieux stade de Bologhine; anciennement Saint-Eugène, au pied de la basilique Notre-Dame d'Afrique. "Aujourd'hui, on n'arrive plus à rattraper le temps perdu", se Noureddine Saadi, désormais entraineur de l'USM Alger après avoir été celui du CRB, d'El-Harrach et du Mouloudia. "Avant, les joueurs naissaient en jouant dans la rue. Pendant les "années terrorisme", les parents ont empêché leurs enfants de sortir. On a vécu sur ce qui existait, mais la génération 90 est une génération sacrifiée. C'est pour ça que 90% des titulaires de l'équipe nationale sont nés ou ont été formés en Europe."
Un seul stade édifié depuis 1962 ! La donne a, en effet, changé. "Avant, la plupart des joueurs des clubs d'Alger venaient de leurs quartiers. Aujourd'hui, c'est cosmopolite, poursuit Saïd, la formation a été freinée". Et le terrorisme n'est pas seul en cause. Saadi toujours : 'L'objectif des municipalités a été de créer des clubs pour augumenter budgets et subventions. Mais les infranstructures n'ont pas suivi. Résultat, Alger suffoque". Depuis l'indépendance, en 1962, un seul stade a été édifié ; celui du 5-Juillet. Le seul à disposer d'une pelouse naturelle. Le seul, aussi, à accueuillir tous les derbys algérois et la séléction. Les autres, dont la capacité n'excède pas les 10 000 places, ne sont pas aux normes.
"Pour redevenir le grand club qui a gagné la Ligue des champions africaine (en 1976), le Mouloudia doit disposer de ses propres bâtiments", constate Fodil Hadjadj, le milieu de terrain du Mouloudia et ancien Nantais. Un constat repris par tous les observateurs. "On est obligé de réduire les heures d'entraînement pour contenter tout le monde et d'accepter les petits clubs de la commune", note Saïd Allik. "A Bologhine, le stade est ouvert de 8h30 à 22h30 et sert tout le temps. Nous, on s'entraîne de 10h30 à 12 heures. On a les mêmes créneaux qu'un club de DH. Et je ne parle là que de l'équipe première. Imaginez pour les jeunes ! En 2002, la veille de notre demi-finale de Ligue des champions contre l'Espérance, on s'est entraîné sur un demi-terrain. Sur l'autre moitié, il y avait une équipe de sixième division :"
"Le terrain ne m'appartient pas et je n'ai aucun moyen de contrôle sur la recette, fulmine quant à lui Mahfoud Kerbadj, le charismatique président du CRB. Aux guichets, ce sont les agents de la commune qui encaissent l'argent de la vente des billets. Ils nous retournent ce qu'ils veulent. Difficile à gérer un club dans ces conditions. En plus, l'aide de la commune est fonction de sa richesse. Nous, on fait partie des plus déshérités. Ce qu'ils noys donnent ne couvre même pas un déplacement." Un particularisme algérois ? "En province, un préfet peut débloquer un budget spécial pour un club, conclut Kerbadj, pas à Alger."
Des salaires démentiels et trop gourmands. Dans cette capitale paroxysmique, la différence entre sport de masse et professionnalisme n'existe pas. "Ici, ce sont les joueurs qui sont pros, pas le reste", commente notre confrère de Compétition Hamouche Ben Slimane. "Il y a un président et le vide. Pas de cellule de recrtutement, pas d'organisation... Les clubs sont gérés comme une épicerie." Si l'on excepte le cas de Paradou, ceux-ci n'ont pas de politique de formation à long terme. A la pénurie des terrains s'ajoutent un un suivi médical inexistant et un déficit d'éducateurs. Car, même si le problème n'est pas feint, les infrastructures ont parfois bons dos. Les sponsors, qu'ils soient pétroliers ou opérateurs de téléphonie mobiles, se sont substitués aux entreprises d'Etat. L'argent existe. "Mais il est bouffé par les salaires démentiels de joueurs qui ne valent pas le coup, constate amer, Nouredine Saadi. Ici, il y a des équipes, mais pas de clubs."
Ne surnagent que quelques îlots en matière de conscription. Comme Belouizdad, dont les juniors ont, l'an passé fait le doublé Coupe-Championnat. Hussein-Dey, aussi, où perdure l'âme de Jean Snella, le technicien français qui façonna l'esprit de la formation du NAHD de 1976 à 1978, qui allait fournir quelques années plus tard l'ossature de l'équipe nationale de 1982, les Madjer, Fergani, Guendouz. El-Harrach enfin, qui se veut référence en matière de recrutement, autant par vocation que par obligation. "Je gère le club au dinar près et je n'ai pas le choix, confie le président Laïb. Le Mouloudia, c'est l'OM, avec 2M€ de budget. Nous, avec nos 70 000€, on est Lorient ou Auxerre. On se doit de sortir des joueurs, c'est ce qui nous permet de vivre. Ici, les jeunes qu'on va chercher dans les divisions inférieures savent qu'ils pourront s'exprimer. Il y a une stabilité et un entraîneur, Boualem Charef, qui valorise cette politique. Lui, c'est notre Guy Roux."
Quand Messi concurrence Ziani. Seulement, voilà, la disparition des terrains vagues, et avec eux des tournois de quartier qui permettaient aux clubs de prospecter, ainsi que l'addition des carences structurelles, humaine, économique (les abonnements et la pub n'existent pas) et technique, ont fini par déprécier la compétition et le spectacle. Le football local ne fabrique plus de stars. Paradoxalement, c'est la qualification de la sélection pour le Mondial qui a parachevé le désenchantement des Algérois vis-à-vis leurs clubs. "Depuis le début de saison, il y a comme une grève des supporters, constate Noureddine Saadi. Cette année, le derby Mouloudia-USMA a attiré 10 000 spectateurs, contre 60 000 auparavant. Les gens préfèrent l'équipe nationale ou les Championnats étrangers à la télé. Le peuple algérien est un consommateur de qualité, y compris dans le foot."
Comme beaucoup d'observateurs, Kheireddine Zetchi, le président de Paradou, n'hésite pas à affirmer : "Aujourd'hui, la vraie rivalité à Alger, c'est Real-Barça. Ici, il n'y a plus rien à proposer." Alors, on s'achète du rêve importé par satellite. A Bab-el-Oued, on se chambre sur le classico davantage que sur les derbys locaux. Les maillots de Messi fleurissent à Didouche Mourad, l'ex-rue Michelet, et ceux de Wolfsburg, l'équipe de Ziani, se vendent comme des makrouds sur les marchés de la capitale. L'eldorado continue d'être de l'autre côté de la Méditerranée ou de l'Atlantique. Encore. Toujours. Mais à Alger, on veut croire aux chimères parce-que l'espoir n'a pas de passeport. "Récemment, Alain Perrin est venu ici, raconte Noureddine Saadi. Je l'ai emmené au centre du terrain et je lui ai dit en rigolant : "Ici, le secret de la réussite, c'est ça" (il montre du doigt Notre-Dame d'Afrique). Et su s'était vrai?
Thierry Marchand