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River Plate, chronique d’une chute annoncée
River Plate est au bord du précipice. S’il ne veut pas connaître les affres d’une descente pour la première fois de sa longue histoire (110 ans), le club le plus titré d’Argentine devra battre, dimanche, Cordoba pas plus de deux buts d’écart. Comment ce club prestigieux en est-il arrivé là ?
Le club navigue à vue depuis bien trop longtemps. River est un paquebot sans capitaine, promis, depuis quelques années, à percuter un iceberg avant d’échouer et de toucher le fond. En Argentine, beaucoup de sympathisants du club avaient prévu l’inimaginable. Car ce géant d’Amérique du Sud est mal géré depuis trop bien longtemps. Aujourd’hui, ce club historique est en pleine déliquescence et pas seulement sur le terrain.
Le pathétique match aller de barrage contre le très modeste Club Atletico Belgrano de Cordoba est assez symbolique de la situation que traverse River Plate. En 90 minutes, tous les maux d’un club à la dérive ont été étalés au grand jour. Commençons par la classe dirigeante. Le président, Daniel Passarella, n’avait pas fait le voyage jusqu’à Cordoba. Pathétique. Le Kaiser Argentin, véritable idole du club, en poste depuis 2009, connu lorsqu’il était joueur et entraîneur pour ses qualités d’harangueur hors norme, a brillé par son absence. Trop stressé ? Peur du vide ? Il a préféré regarder son club couler à la télévision.
Les joueurs ensuite, ils ont été en-dessous de tout, tout au long de la saison. Et ce n’est pas un Matias Almeyda, sorti de sa retraite il y a un an, pour jouer les pompiers de service qui a réussi à inverser la tendance. La dernière petite perle du club, Erik Lamela, promis à un brillant avenir, s’est seulement fait remarquer mercredi soir, pour avoir balancé un coup de poing dans le ventre de son chien de garde. Tous les joueurs étaient comme paralysés par l’enjeu. Il faut dire que la pression sur leurs épaules est énorme et elle ne vient pas seulement des médias et de leurs dirigeants.
Les joueurs argentins, c’est un secret de polichinelle, sont soumis à une forte pression de leurs supporters. Alors, mercredi, ce qui devait arriver arriva. En seconde période, quelques énergumènes se sont invités sur la pelouse. Ils sont allés dire ce qu’ils pensaient directement aux joueurs. Scène surréaliste. Car après vingt minutes d’arrêts de jeu, le match a repris, comme si de rien n’était. Dimanche, si le cauchemar devient réalité, les supporters pourraient bien s’énerver pour de bon et là, tout sera possible.
Aguilar a vendu son club et son âme
Depuis la présidence de José Maria Aguilar, entre 2001 et 2009, tout part à vau-l'eau chez les “millionarios”. Aguilar a créé un système mafieux dans lequel les barras bravas (les ultras) se sont engouffrés. Ils ont aujourd’hui un pouvoir insoupçonnable. Certains, les “capos” (chefs) sont même directement salariés par le club. Ils sont grassement payés pour ne rien faire. Sous Aguilar, ils ont réussi à avoir leur pourcentage dans la billetterie et même dans les transferts de joueurs. Il y a, par exemple, de fortes probabilités que certains aient touché de l’argent lors du transfert d’Higuain (malgré lui) au Real Madrid.
Aguilar a vendu son club et son âme au business noir du football. A son arrivée à la tête de cette institution, l’une de ses premières décisions, très polémique, a été de virer le plus grand formateur de l’histoire du club : le Brésilien Delem. C’est lui qui avait formé les Ortega, Crespo, Gallardo, Aimar, Saviola et plus récemment Gonzalo Higuain et Radamel Falcao. Depuis son départ, la formation riverplatense bat de l’aile. Officieusement, Delem n’acceptait pas que les agents et le club vendent au plus vite et au plus offrant ses petites pépites.
Sous Aguilar en effet, vendre des joueurs du centre de formation est devenu monnaie courante. Pour éponger une dette qui se creusait à vitesse grand V, Aguilar a passé son temps à dealer avec des hommes d’affaires (souvent les mêmes) un pourcentage des droits de ses joueurs les plus prometteurs. En clair, River Plate n’était plus propriétaire de ses propres footballeurs. Si le club touchait immédiatement une partie des droits du joueur, il en perdait énormément à sa vente, puisqu’il ne récupérait au final que 30, 40 ou 50% de la somme et de la valeur des joueurs. Lors de ces fameux transferts, de nombreux intermédiaires touchaient leur commission, à tel point que, par exemple, les 6,5 millions d’euros qu’on rapporté Belluschi (lors de sa vente à l’Olympiakos avant qu’il ne rejoigne Porto) ont totalement disparu de la circulation.
Pendant plusieurs années, beaucoup d’argent a été détourné. C’est donc en toute logique que la justice court après José Maria Aguilar. Lorsque Daniel Passarella est arrivé à River Plate, le club était endetté jusqu’au cou. Depuis, le panorama n’a pas vraiment changé. Il n’y a plus d’argent dans les caisses et le centre de formation n’est plus aussi rentable qu’avant. Depuis que River est menacé sportivement, Passarella ne cesse donc de clamer qu’il n’y est pour pas grand chose et que les coupables d’un tel fiasco, il faut aller les chercher ailleurs. N’empêche, depuis son accession à la présidence après des élections contestées (il n’a gagné que par 6 voix d’écart), les entraîneurs se sont succédés (cinq en deux ans) et le club n’a été que l’ombre de lui-même sur le terrain.
Finalement, au regard de l’état de ce club mythique, tant sur que en dehors des terrains, faire un petit tour par la case deuxième division pourrait lui faire du bien. A condition de ne pas y rester trop longtemps. Le transfert d’Erik Lamela voir de Rogelio Funes Mori et de Manuel Lanzini sur le Vieux Continent vont permettre au club de récupérer quelques millions d’euros. De quoi reconstruire un édifice qui s’effondre, d’injecter de l’argent frais dans la formation et de permettre à ce paquebot historique de se maintenir à flot…
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