Canal Plus: décryptage d'une stratégie judiciaireEn annonçant qu'il contestait auprès de l'Autorité de la concurrence et du Tribunal de Grande Instance (TGI) l'appel d'offre lancé par la Ligue de football professionnel (LFP) pour l'attribution des droits TV des matchs de ligue 1 pour les saisons 2016-2020, le groupe Canal Plus a fait de nouveau preuve de sa stratégie de barrage systématique à sa mise en concurrence.
Il faut rappeler le contexte. Les différentes ligues sportives et leurs clubs supportent des coûts continuellement croissants du fait notamment de la concurrence internationale. L'environnement fiscal français reste quant à lui un handicap majeur. Dans ces conditions, la vente des droits de diffusion est vitale car elle représente une grande partie de leur financement. C'est en réalité toute la détermination de la stratégie des clubs sur le long terme qui dépend des ressources disponibles: investissements dans des locaux, achats de joueurs, formation, etc.
C'est une des raisons pour lesquelles la LFP, comme l'a expliqué son président Frédéric Thiriez, a souhaité anticiper l'appel d'offre: l'attribution des droits donnerait aux clubs une visibilité financière dont toute entreprise a grand besoin, a fortiori dans le secteur risqué du sport professionnel.
Face aux ligues sportives, les diffuseurs, et notamment Canal Plus veulent à la fois remporter l'exclusivité de programmes indispensables à l'attractivité de leur chaîne et payer le moins cher possible.
Pour assurer ses achats à moindre coût, Canal Plus s'est attelé depuis son apparition sur le marché de la télévision payante à détenir et verrouiller une position dominante. Par une stratégie d'intégration verticale systématique, Canal Plus est en effet parvenu depuis une dizaine d'années à avoir la haute main sur toute la chaine de valeur audiovisuelle: production audiovisuelle (avec le cinéma), distribution, agrégation et édition de chaines. La possession de la plupart des droits sportifs significatifs constitue un maillon important de sa domination car elle permet le contrôle exclusif de l'autre source de contenus premium qu'est le sport.
La position de force que crée Canal Plus a pour objet de lui permettre d'exercer une pression à la baisse sur le prix des droits de diffusion des sports majeurs.
Au grand dam du groupe présidé par Bertrand Méheut, malgré tous ces efforts, deux acteurs ont réussi coup sur coup à émerger: Orange, en 2008, qui a fini par disparaitre 4 ans plus tard. Et beIN Sports en 2012. Depuis 2008, les choses sont devenues nettement plus difficiles pour Canal Plus, qui a vu certains droits sportifs rachetés par l'un et l'autre de ces concurrents. Les ligues sportives ont retrouvé du coup un pouvoir de négociation.
Canal Plus s'emploie donc depuis plus de six ans à faire obstacle à la concurrence par d'autres moyens et en particulier deux d'entre eux: les campagnes de lobbying et les procédures judiciaires. Leurs cibles: tous les concurrents potentiels et tous les vendeurs de droits. On dénombre depuis plusieurs années pas moins d'une dizaine de contentieux contre l'exploitation des droits et les prix pratiqués par les concurrents de Canal Plus et contre les conditions de vente des droits audiovisuels par les ligues sportives.
Les derniers en date : une procédure judiciaire contre la Ligue de Rugby, deux plaintes contre la Ligue de Football, et une assignation contre beIN. Dans le même temps, rappelons que l'Autorité de la concurrence a eu l'occasion de sanctionner le groupe pour n'avoir pas respecté ses engagements dans la fusion avec son ancien concurrent TPS et que le Conseil d'Etat a annulé sa fusion avec D8.
La détermination avec laquelle Canal Plus cherche à intimider les vendeurs de droits ou les concurrents potentiels tout en ne perdant jamais une occasion de se plaindre de leur pouvoir de négociation ou de leur "puissance financière" est remarquable. Il n'est hélas pas certain que le téléspectateur ou le supporter gagnent à ce que, grâce à ces subterfuges, un acteur ultra dominant puisse subsister, tirant à la baisse les droits sportifs et gênant le développement d'une offre alternative et bon marché.
Source: http://www.huffingtonpost.fr/olivier-babea...l?utm_hp_ref=tw