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Bardet : « Je mesure l’ampleur de la tâche »
Par Alexandre Philippon
Jeudi 31 juillet 2014
Jean-Christophe Peraud et Thibaut Pinot sont montés sur le podium final, lui pas. Mais Romain Bardet, sixième à Paris, à deux secondes du top 5, aura réalisé un Tour de France plein de promesses. Il se livre pleinement à Velochrono pour raconter ses trois semaines et parler des perspectives. Entretien king size.
Romain, samedi, après le chrono et la perte de votre cinquième place pour deux secondes, vous déclariez : « Tous mes efforts sont réduits à néant par une crevaison ». Une phrase un peu excessive. Cinq jours plus tard, vous avez eu le temps de relativiser…
C’était un manque d’expérience… Je suis un brin fataliste à chaud. Il faut que je me contienne davantage. J’ai parfois des réactions un peu virulentes juste après l’effort. Le Tour, c’est beaucoup d’implication, un chrono encore davantage. J’ai affiché une déception qui n’était peut-être pas nécessaire. Mais je n’en ai pas fait une maladie… Car j’espère bien que ce ne sera pas la seule fois de ma carrière où je me retrouverai à jouer des trucs comme ça. Tout n’était pas réduit à néant, non. Que pourraient dire ceux qui ont quitté le Tour prématurément ? Mais je ne savais pas trop comment j’allais me situer sur ce contre-la-montre, je ne savais pas de quoi j’allais me montrer capable, et d’échouer pour si peu, ça a fait que dans le feu de l’action… Mais c’est largement compensé par le niveau que j’ai eu sur l’ensemble de ce Tour de France.
A vrai dire, il vaut mieux un coureur déçu de lâcher le top 5 pour deux secondes qu’un coureur qui se contente du minimum… C’est un signe d’ambition.
Si je m’en voulais, c’est parce que je suis perfectionniste. J’ai toujours envie que ça se passe bien, et quand on est frappé par une crevaison… Si je donne le max et que je perds pour deux secondes, c’est rageant mais c’est comme ça. Là, je crève. Les boules. Honnêtement, je n’aurais jamais osé avoir ce type de réaction après avoir été battu à la pédale, même pour si peu. Il faut respecter la loi du sport. Des gars étaient plus fort que moi sur ce Tour. (Il s’interrompt) J’enrage sur certaines réactions de mecs qui, on le voit dans leurs paroles, ne se rendent pas vraiment compte de leur niveau, disent qu’ils auraient pu faire ci, faire ça, par rapport à un adversaire manifestement plus fort qu’eux. Je ne veux pas faire pareil. Et je relativise ma malchance vu que ce qu’ont rencontré certains autres coureurs sur ce Tour. Cette déclaration, c’était avant tout un manque de distance vis-à-vis de l’évènement. Une erreur de com’ que j’ai pu analyser dès le soir venu…
Beaucoup de gens essayent d’imaginer comment aurait été ce Tour sans les abandons à répétition et notamment ceux de Froome et Contador… Est-ce agaçant ?
Non parce qu’il est vrai que la probabilité était assez forte que Froome et Contador, au top, finissent devant nous au général. Je me dis aussi qu’il y a une marge énorme entre faire des places et gagner de grosses courses. Mais quand ces gars-là ne sont pas au meilleur de leur condition, il est possible de les concurrencer. Dans certaines situations particulières. En Catalogne, au Dauphiné, on a vu qu’on pouvait les mettre en péril, en inventant quelque chose d’autre que ce que veut la loi d’une course de côte. Est-ce que sans leurs abandons, on aurait eu un à match à trois Froome-Contador-Nibali ? On ne peux pas savoir… On peut tout imaginer. Mais au top, ils auraient été devant nous, oui.
Avant chaque Tour de France, un favori se dégage et il parait impossible à déloger. Et pourtant, si on regarde le palmarès récent de cette course, il n’y a plus de tenants du titre qui arrivent à le conserver….
Pour de multiples raisons. Froome a eu ses mauvaises chutes… Les pronostics sont déjoués. C’est la vérité du Tour qui parle. Nibali, sur son niveau du Giro 2013, j’étais persuadé qu’il pouvait faire vaciller ses adversaires. Sur son niveau de la première partie de saison 2014, non. Il a été épatant. Maintenant, qu’est-ce qu’on s’en fiche des résultats de Nibali au printemps dernier ? Moi, avant le départ du Tour, je me disais que ma saison avait été, jusque là, accomplie, puis j’ai compris que ce n’était pas du tout à la hauteur d’un Tour de France réussi.
Vous qui aimez répéter que vous n’êtes pas qu’un coureur du Tour, que vous êtes un amoureux des classiques ? Alors, on se fait rattraper par la grandeur du Tour ?
Oui, c’est sûr… Quand on le vit de l’intérieur… On se dit que la grandeur du Tour existe, que l’on a beau être un amoureux de la culture cycliste, on s’imagine mal faire l’impasse sur cette course. Pour un coureur français ayant déjà brillé en juillet, se diriger vers un autre grand tour, c’est quelque chose de pas évident, de très courageux. Hormis pour ceux qui suivent le cyclisme toute l’année, le Tour est au dessus, c’est un engouement au dessus, à un échelon national. Des gens ne regardent pas le cyclisme le reste du temps mais suivent le Tour. Se détacher de cela, tenter Giro-Vuelta, ça demanderait une grosse maturité, et ce sera difficile pour un Français, de son propre chef en tout cas.
A quel moment l’équipe a-t-elle pris conscience, non pas de ce qu’elle pouvait, mais de ce qu’elle allait accomplir sur ce Tour ?
Je pense qu’à titre personnel, c’est la victoire de Blel (Kadri) qui m’a libéré. Psychologiquement. Très franchement, ça a été le déclencheur. C’est un mec que j’apprécie énormément. En début de Tour, on avait été un peu en dedans. Avec JC (Peraud), on ne savait pas trop où on allait se situer au général. Deux jours après le succès de Blel, il y a la Planche des Belles Filles. On confirme la dynamique. On ne sait jamais de quoi demain sera fait, mais à la première journée de repos, je sais que si je n’ai pas de pépin physique, je ne vais pas exploser par la suite.
Pourtant plein de coureurs ont explosé.
Je marche à la confiance. Si sur une course je sens que je marche, ça me débloque. Je savais que tout avait été orchestré de manière à ne pas arriver trop vite en forme. J’étais déjà bien au Dauphiné mais je n’ai pas eu de grosses charges d’entraînement ensuite. Je savais que je pouvais tenir. J’en étais intimement convaincu. On est jamais à l’abri du jour sans, mais quand les étapes de montagne s’enchaînaient, je savais que je pouvais maintenir mon niveau. Il y a eu une planification d’entraînement pour que ce soit le cas. Je m’étais débloqué dans la tête, j’avais vu dès le deuxième jour à Sheffield que ça allait bien. Le plus dur en fait, ce n’était pas physiquement, c’était d’accepter mentalement cette confrontation directe tous les jours. La tension dans le peloton qui ne diminue jamais. Même le dernier vendredi, à Bergerac, ça restait dangereux, tout le monde était sur les nerfs…
Vous dites que le déclic a été la victoire de Blel Kadri, or elle ne pouvait en rien laisser augurer vos bonnes performances par la suite… On parle donc de déclic émotionnel ?
Pour moi, ça débloque le physique. C’est mon avis. Le niveau que l’on a, il ne demande qu’à s’exprimer. On ne va pas se mentir, on est tendu sur le Tour… On sait que le soir, on n’est jamais sûr de revoir ses potes à l’hôtel, que l’on sera peut-être en train de passer des radios… J’ai assisté à cela, c’est toujours un crève-coeur. On se met à leur place. Quand ça rigole pour un coéquipier, c’est toujours une bonne chose. Et on a besoin de ce déclic pour tout ce que le Tour implique quand on joue le général. Ne jamais perdre de temps, ne jamais rester vers la 120e place… Sans arrêt remonter. Quand les gars t’ont protégé, se sont mis à plat ventre pour toi, tu dois continuer, tu dois aller frotter aux quatre kilomètres. A ce moment, tu te dis : « Est-ce vraiment raisonnable ? » Mais sinon tu te fais bouffer. Si tu lâches du lest une fois, tu en lâcheras encore plus le lendemain. Et c’est infernal…
Oui mais les coureurs qui ont abandonné sur chute, ils couraient devant. Thibaut Pinot, par exemple, est souvent critiqué pour sa manie de courir un peu trop derrière, or lui ne finit pas ce Tour de France à l’hôpital et perd, finalement, très peu de temps en première partie de Tour… Il y a un juste milieu à trouver.
Je suis d’accord oui. Pour Thibaut, l’addition n’est pas salée du tout, contrairement à ce que l’on a pu dire au terme de la première semaine. En Grande-Bretagne, il y a une cassure à 80 kilomètres de l’arrivée qui peut faire perdre dix minutes si ça roule devant… Courir comme cela comporte des risques et je n’arriverais pas à avoir ce détachement, mais Thibaut a sa manière de courir et ça marche. Aurait-il eu autant d’influx en montagne s’il avait craché tout son venin en début de Tour ? Donc c’est effectivement un juste milieu à trouver.
Vous avez souvent parlé de votre besoin de sortir de la bulle vélo, de ce que vous apportait vos études pour y parvenir… Là, sur ce Tour, impossible de sortir de la bulle, si ?
Non, c’est mort. On essaye quand même de progresser en arrivant à faire plus abstraction de la course quand on est le soir à l’hôtel. C’est facile à dire, pas facile à faire, mais il faut se relâcher quand on le peu. Être impliqué au max quand la course le demande mais pas à d’autres moments où l’on peut souffler. Ne pas s’attarder, par exemple, sur les réseaux sociaux… Aller puiser des ressources mentales, c’est essentiel. C’est l’expérience qui permet de se remettre en question à ce niveau-là.
Le soir des étapes, surtout les veilles d’étapes de montagne, est-ce que vous établissiez des plans avec Jean-Christophe Peraud, ou est-ce seulement le staff qui décidait de tout ça ?
S’il n’y avait pas eu Nibali au dessus des autres, cette supériorité numérique nous aurait servi. On aurait pu imaginer des attaques communes… Là, quand Nibali attaquait, c’était un peu sauve qui peut. On a réussi à sortir tous les deux gagnants. On tenait à exploiter notre position, qu’elle nous serve. La présence de JC était importante pour moi et je pense que la mienne l’était pour lui. Ca lui a permis de se décharger de la pression médiatique. Ce que je trouve formidable, c’est que malgré les enjeux autour de nous, il n’est pas arrivé une seule fois que l’on se marche sur les pieds. On a vraiment bien géré. On n’aurait pas pu imaginer une meilleur gestion. On peut parfois sentir des petites jalousies de coureurs de notre âge, avec JC c’est différent. Sur le Dauphiné, je lui suis supérieur et il n’a aucun souci à se mettre à la planche pour moi. Sur ce Tour, c’était l’indécision jusqu’au bout mais jamais une tension particulière n’a émané de ce co-leadership.
Et en cas de problème… Peraud avait chuté l’an dernier, être deux permet de pallier ce genre de péripétie…
C’est souvent le cas. Souvent. On a essuyé quelques chutes mais sans jamais avoir de gros gros pépin, mais ça aurait pu arriver. Il y en a un paquet, des outsiders qui passent à la trappe. Pas que Froome et Contador.
Même Van Garderen chute plusieurs fois.
Je l’ai félicité, parce qu’il a vraiment « reçu ». Il a passé son début de Tour à panser ses plaies, mais son équipe a toujours cru en lui, il s’est accroché et il finit cinquième du Tour. Quand on voit Matthias Frank qui se casse le fémur… L’étape de Nancy a été horrible. Tout le monde se dit : je peux faire quelque chose. Les sprinteurs se disent qu’ils peuvent passer les bosses, les puncheurs veulent que les sprinteurs sautent, les coureurs du général se doivent de suivre. C’est infernal. En troisième semaine, les grosses chutes se ressentent. Moi, je suis tombé en première semaine, pas gravement, à Reims, je l’ai quand même senti deux ou trois jours…
« Infernal », vous utilisez plusieurs fois ce mot…
Quand tu joues le général… (Il réfléchit) Je n’ai jamais couru le Tour en tant que chasseur d’étape, mais eux, ils ont des jours où ils peuvent se relâcher. Après, infernal, non… Il est vrai qu’il ne faut pas diaboliser et que ce ne sera pas toutes les années pareil. Mais c’est vrai qu’avec Jean-Baptiste Quiclet (l’entraîneur d’AG2R La Mondiale, ndlr), on a regardé les puissances, les vitesses… Il n’y a pas eu de transition et c’est pour ça que les écarts ont été si importants en troisième semaine. Ne jamais avoir d’étape facile pour se refaire, ça accentue les différences.
La nouveauté, aussi, c’est qu’il y a toujours une équipe pour rouler et hausser ce tempo, notamment Cannondale.
Chacun a ses intérêts. S’il y avait une trentaine d’étapes, il y aurait des journées tranquilles, mais 21 étapes, ça ne permet pas à toutes les équipes de gagner. Et chaque jour, tout le monde se demande comment il peut piéger son adversaire direct. Quand les Cannondale roulent, eux, ils se disent que le lendemain, ils feront gruppetto. Toi, tu ne peux pas tout mettre car le lendemain, il faut repartir de plus belle. Mais le pire, c’est vraiment quand tu fais l’erreur de croire que ça va être une journée tranquille et que ce n’est pas le cas. Si tu te dis : ça va être facile comparé à hier ou à demain… Tu te retrouves en prise, c’est dur pour la tête.
Vous n’avez jamais été dans un état second vous permettant d’oublier cette fatigue mentale ?
Un état second ? Peut-être la veille des jours de repos, le soir. On peut faire un peu fi de ce qu’il se passe. Mais c’est très rare. Quand j’ai eu la chance de faire des podiums protocolaires, j’étais déconcentré par des tas de choses. Je ne me plains évidemment pas d’avoir eu le maillot blanc, j’étais très heureux de ça, mais c’est spécial. Même dans ces moments là, on n’est pas dans un état second, dans l’euphorie. On se demande si on y sera encore le lendemain. On se dit que l’on devrait être en train de faire du home trainer. Que l’on ne va pas pouvoir manger tout de suite. C’est du temps que l’on ne rattrape jamais. Sur le Tour, si à 23h30 on est couché, c’est un exploit. On ne dîne jamais avant 22h. Tout est minuté et en troisième semaine, ça pèse. Du sommeil en moins, c’est des petites choses qui sont importantes puisque que le niveau est très homogène. Entre la 2e et la 8e-9e place, l’écart n’était pas immense.
Quand vous voyez Rafal Majka, à deux heures au général, gagner deux étapes de montagne, vous dites-vous que vous ne faites pas le même Tour ?
Ca, je m’en étais rendu compte l’an dernier sur la deuxième étape que gagne Rui Costa. J’étais dans l’échappée, je me retrouve avec des grimpeurs chasseurs d’étape. Quand toi, la veille, tu t’es fais la peau pour le général, il y a une différence de fraîcheur incroyable. Et le mental gouverne le physique… D’ailleurs, ça me plairait un jour de faire le Tour sans penser au général, mais il est difficile de l’envisager de manière autonome. C’est plus en réponse à certains évènements, une grosse perte de temps. Il faut la capacité de basculer sur un autre objectif mais à un moment, t’es obligé. Tu ne peux pas être transparent sur le Tour, il faut réagir.
Ces exigences du leadership au plus haut-niveau, vous vous sentez fait pour ça ? C’est l’enseignement premier de votre Tour de France ?
J’ai envie de ça. Je sais ce que ça implique, pendant et avant le Tour, mais j’ai vu le bonheur que ça pouvait apporter. Et les perspectives que ça peut m’ouvrir. Je veux me perfectionner dans le rôle de leader, la manière d’être, les rapports avec les coéquipiers, et bien sûr les qualités physiques. J’ai pris conscience de ce que ça implique. Mais c’est encore tout neuf.
Et combien de temps êtes-vous prêt à cela ?
Des fois, sur ce Tour, je disais : je ne vais pas faire ça dix ans… Surtout quand t’es très fatigué, bien sûr. Mais là, j’ai surtout l’envie de remettre ça, l’envie de me préparer à 100% comme cette année. Ca reste toutefois assez ingrat : quand on joue le général, on n’a pas la satisfaction avant Paris. Un vainqueur d’étape sait que c’est fait, que ça ne partira pas. Nous, ça ne repose sur rien, c’est temporaire. Je comprends mieux quand certains disent qu’ils ne veulent pas jouer le général sur toutes les courses de l’année. Ceux qui gardent leur influx pour un seul évènement. Là, je ne me verrais pas rejouer le général sur une Vuelta.
Du coup, vous comptez jouer le général sur moins de courses à l’avenir ?
Non car j’ai besoin de prendre conscience de mon niveau, j’ai besoin de jouer les généraux sur d’autres courses pour « prendre le truc ». Mais c’est coûteux en énergie, oui.
Quelle sera votre prochaine course par étapes ?
Le Tour de l’Ain. C’est un peu « ma » course. Je serai motivé. Je ne peux pas encore dire dans quel état physique et mental je serai quand je vais me présenter au départ, mais ce n’est qu’après le Tour de l’Ain que je ferai ma coupure. L’an dernier, ça avait pas trop mal fonctionné. J’espère que cette année, encore… Mais j’irai sans pression et j’aimerais bien aussi avoir l’opportunité de rendre la pareille à un mec qui a sacrifié ses ambitions pour moi. Cette course, c’est pas mal pour ça. Après, je n’ai pas forcément envie d’aller courir une épreuve comme le Tour de Pékin. L’an dernier, j’y étais pour montrer que j’étais capable d’assumer un leadership à 22 ans. Là, je vais surtout me concentrer sur la Lombardie. Vu la saison que j’ai fait, je n’ai pas besoin d’une session de rattrapage en octobre. J’ai déjà dépensé pas mal d’énergie. Je fais attention à ce que je fais et je me dis que si les grands leaders ne prolongent pas jusqu’en octobre, c’est qu’il y a une raison !
Aujourd’hui, avez-vous les éléments en main pour savoir ce qu’est pour vous un programme idéal, des objectifs idéaux ?
Ca se dessine. J’ai amassé beaucoup de données, sur l’entraînement, la compétition, la récupération. Je vais être amené à suivre sensiblement les mêmes programmes chaque année, j’aurai ainsi des repères. Je sais ce qui fonctionne. Par exemple dans la gestion de l’enchaînement Dauphiné-Tour. Dans des situations futures, aussi, de doutes, comme après un mauvais début de saison, j’aurai des références pour me remettre dans les clous.
Vous participez à la Clasica San Sebastian samedi, seulement six jours après le Tour. C’est votre état d’esprit, ça ?
J’avais besoin de faire autre chose. Les critériums, c’est encore le Tour. C’est bien d’être au contact du public quand l’on a fait un beau Tour de France : on prolonge la fête. Mais ce n’est qu’après San Sebastian que je ferai un critérium. La tournée, ça peut plomber la fin de saison. Et puis je suis content de faire San Sebastian. Ca me donne l’impression que le Tour est derrière moi.
A quoi pensez-vous quand vous êtes au volant pendant plusieurs heures, quelques jours seulement après ce Tour de France (Romain Bardet nous a répondu longuement pendant son trajet pour San Sebastian, équipé de son kit mains libres, ndlr) ?
Je prends conscience du truc. J’arrive plus vite que je ne le pensais au niveau où je voulais être. Je suis aux portes du top 10 du classement World Tour, quand même. Je mesure aussi l’ampleur de la tâche. Je dois confirmer ce niveau, y rester. Je sais désormais ce qui me convient dans l’organisation, l’entraînement, la récupération, les stages… J’espère avoir une marge de manœuvre, arriver à maturité physique dans quatre ou cinq ans, maîtriser tous les paramètres pour pouvoir viser plus haut. Gagner des grandes courses. Il ne faut pas se cacher derrière notre jeunesse, elle ne sera pas perpétuelle. Il faudra à un moment donné concrétiser. Cette année, je ne pensais pas forcément arriver à faire des top 5 sur des grandes courses par étapes, alors que l’an prochain, si je fais 8e du Tour de Catalogne, ce sera considéré comme un résultat moyen. Il faut que je prenne conscience des attentes qui vont grandir autour de moi et être capable d’y répondre. Mais je suis serein : à mes yeux, je n’ai pas fait de performance extraordinaire. Si avec des circonstances particulières, j’avais fait podium du Tour, confirmer derrière aurait été très dur. Là, il ne me semble pas que ma sixième place ait quelque chose d’exorbitant. Mais oui, je vais avoir un statut à défendre. Je ne vais pas pouvoir me cacher, il faudra performer.
Va-t-il y avoir un nouveau statut du « coureur français », de manière générale ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas certain. Ce Tour a quand même été particulier. On aurait pu être 4e, 5e, 8e. Ca aurait tout de même été un Tour réussi, mais il ne faut pas oublier les circonstances et ne pas se laisser griser comme ont pu le faire les générations précédentes. L’important c’est de confirmer.
Et vos équipes doivent-elles s’adapter pour cela ?
Les gars m’ont sauvé plus d’une fois. En me remontant dans le peloton, en me remontant le moral le soir…
Je pense, oui. Ces résultats ont initié une marche en avant. Tout se passe bien pour AG2R LA Mondiale, le message passe très bien, et l’équipe est deuxième du classement mondial à la fin juillet. Pour se maintenir à ce niveau, il va falloir faire des efforts. On mesure l’ampleur de la tâche. Mais on a une belle densité : on fait un super Tour tout en laissant quasiment toute l’équipe du Giro à la maison… C’est rassurant. Abandondance de biens ne nuit pas et le fait d’avoir beaucoup de coureurs capables de peser, ainsi que d’excellents équipiers, c’est la bonne formule. Si j’avais été esseulé sur ce Tour, si JC avait été esseulé, on n’aurait jamais pu avoir cette constance. Les gars m’ont sauvé plus d’une fois. En me remontant dans le peloton, en me remontant le moral le soir…
Peut-on dire que ce ne sont pas les neuf meilleurs coureurs d’AG2R La Mondiale qui ont été alignés sur le Tour, mais le meilleur neuf ?
Ca, l’équipe l’a compris depuis un moment. Mais en France, tout le monde n’a pas compris. Il arrive encore que certains mettent sur le Tour les meilleurs de l’équipe du Dauphiné. Ce n’est pas ça l’idée. Il y a des exemples criants qui montrent que ça ne fonctionne pas ainsi. Pour qu’un groupe marche, je pense qu’il faut une hiérarchie, que les coureurs sachent ce qu’ils doivent faire… et pas de concurrence interne.
Aujourd’hui, les attentes ont grandi autour de vous, la pression aussi. Le vélo français a besoin que vous, que Thibaut Pinot, assumiez ces responsabilités pour profiter de l’opportunité de redonner à ce sport la place qu’il mérite dans le paysage sportif français.
Notre chance, c’est que cette pression repose sur plusieurs épaules. Ca créé vraiment une émulation entre nous. Et d’autres vont vouloir leur part du gâteau, voudront accéder à ce niveau. C’est un tout. Il est vrai qu’il ne va pas falloir se défiler. Il va falloir faire avec. A mon échelle, ça me fait plaisir de voir que dans l’école de vélo d’où je viens, il y a énormément de demandes d’adhésion depuis deux ans. Au collège, quand tu fais du vélo, tu passes pour un ringard. Ou un dopé. C’est un long processus qui fera que l’engouement reviendra.