Citation
Ribéry Ballon d'Or : un rêve plus qu'une tendance
C'est la saison qui veut ça. A chaque fois qu'un top player inscrit un triplé ou même un simple but destiné à faire le tour du monde, une aile de pigeon par exemple, on pense tous la même chose : "C'est bon pour le Ballon d'Or, ça, il marque des points" (à lire ici : pourquoi Zlatan peut y croire). Ce petit jeu va se terminer au plus mauvais moment. La date de clôture des votes (15 novembre, jour des barrages aller pour la Coupe du monde) va nous empêcher de faire et refaire les tendances suite aux fulgurances de Cristiano, aux doublés de Zlatan et aux triplés de Ribéry lors des matches qui seront, pourtant, parmi les plus importants de leur saison.
Le département Ballon d'Or de la FIFA aurait pu prévenir le département Coupe du monde qu'une date de clôture au 20 novembre aurait débouché sur davantage de cohérence. C'est d'ailleurs pour les mêmes raisons qu'un but inscrit en novembre 2012, celui de Zlatan contre l'Angleterre, va probablement être désigné plus beau but de l'année 2013 en janvier 2014. En même temps, cela nous évitera peut-être que la même scène se répète autour de Franck Ribéry à Kiev, puis à Saint-Denis, puis partout. Celle de journalistes sollicitant son excitation à quelques semaines de la remise du trophée. Celle d'un Ribéry, bonne pâte, dissertant à voix haute sur sa désignation possible comme meilleur joueur du monde.
Nous avons beaucoup vu ce dialogue récemment. Trop peut-être. Trop, sûrement. Trop, je le crains.
Ribéry Ballon d'Or, quinze ans après Zidane, vingt-deux ans après Papin, trente ans après Platini, voilà qui ferait un bien fou à un football français dont le bilan de santé est pour le moins contrasté. Mais, tout en souhaitant être démenti par les faits, je suis étonné par l'ampleur que prend le courant "Ribéry Ballon d'Or" dans nos contrées. Ribéry a parfaitement raison de dire que son rêve va peut-être se matérialiser. Il y croit, il joue pour ça, il le dit et cette aspiration remonte à loin. Il est dans son rôle.
Zlatan, Neymar, Messi, Cristiano Ronaldo...
En revanche nous, journalistes, faisons probablement une erreur en laissant imaginer à l'intéressé, et à nos lecteurs, que l'ailier gauche français est, de près ou de loin, l'un des favoris dans la course au trophée individuel le plus recherché, sinon LE favori. A ce stade, Ribéry me semble avoir autant de chances de gagner le Ballon d'Or que ne pas être dans le feu Top 3, une hypothèse à laquelle personne ne semble accorder de crédit, mais qui me semble très envisageable au nom de trois arguments :
- Deux places sont très vraisemblablement réservées à Lionel Messi et Cristiano Ronaldo. Messi ne sera peut-être pas le king cette année, mais j'imagine qu'il n'y aura pas une majorité de votants capables de placer trois joueurs au-dessus de lui dans leur bulletin. Cristiano, lui, est en forme au meilleur moment. Il sera numéro un ou deux.
- Parce que la concurrence "externe" à Ribéry est phénoménale, qu'il s'agisse de Zlatan Ibrahimovic ou de Neymar. Le premier n'a pas le palmarès de Ribéry en 2013 mais il possède une aura, bien utile avec ce nouveau règlement, supérieure à celle du Français. On peut s'en plaindre ou s'en féliciter, mais c'est comme ça : Zlatan est une superstar dont la planète est proche de celles de Messi et CR7. Ribéry est encore un ton en-dessous. Neymar a certainement moins d'arguments que ses deux concurrents, mais il faut rappeler une chose à ceux qui tiennent les titres de Ribéry comme ses meilleurs atouts dans cette course au métal précieux : Neymar a été l'incontestable leader du Brésil vainqueur de la Coupe des confédérations et auteur de l'exécution en règle de l'Espagne en finale. Et Neymar est une star mondiale, déjà, lui.
- Parce que la concurrence "interne" au Bayern est très forte. Ribéry est le leader offensif du Bayern Munich, c'est un fait. Le Bayern est l'équipe référence de l'année 2013, c'est entendu. Mais Ribéry n'est pas le Bayern, il ne l'incarne pas, et il est évident que parmi les votants les plus sensibles à la cause du club qui domine la Bundesliga, certains ventileront leurs voix vers Robben, Muller, Schweinsteiger, Neuer ou Lahm. On peut ne pas être d'accord avec le jugement de Gérard Houllier qui a valu quelques remontrances à l'ancien sélectionneur, quand il soulignait la différence de niveau fondamentale entre Ribéry et le duo Messi-CR7, mais on ne peut pas ne pas admettre que le débat existe. Si le débat existe, c'est qu'il y a un doute. Ce doute ne bénéficiera pas à Ribéry.
Meilleur joueur UEFA de l'année, l'impossible parallèle
Comme je le craignais, le titre de meilleur joueur UEFA de l'année, conquis par Ribéry à la sortie de l'été, a biaisé la compréhension. Il a entretenu l'illusion qu'il s'agissait d'un pré-Ballon d'Or alors que l'analyse du palmarès devrait enseigner le contraire. Ribéry n'a pas beaucoup plus de chances d'être Ballon d'Or que Diego Milito en 2010 ou Andres Iniesta en 2012. Le règlement de l'UEFA survalorise les trophées collectifs autant que le nouveau trophée FIFA les neutralise, sous la notion de "performance sur le terrain et (...) comportement d'ensemble" au cours de l'année. Ribéry aurait été un formidable Ballon d'Or époque France Football. Un Ballon d'or à la Weah (1995), Sammer (1996), Owen (2001), Cannavaro (2006), Kaka (2007), Cristiano (2008)... Un Ballon d'Or donné au joueur le plus visible du collectif le plus titré de la saison.
La nouvelle formule a trois ans, et c'est visiblement trop jeune pour que chacun ait bien compris de quoi il s'agit désormais. Personne ne se souvient qu'avoir gagné la Coupe du monde, y compris en inscrivant le but vainqueur, comme Iniesta en 2010, est désormais insuffisant pour s'imposer devant les stars du jeu mondialisées. Avoir gagné la Ligue des champions, sans marquer en finale, comme l'a fait Ribéry, cela reste une carte de visite exceptionnelle pour la vie. Mais pas une garantie dans la quête du Ballon d'Or.
L'Europe représente un quart seulement des votants
Que les Français soient hyper sensibles à la réussite de Ribéry au Bayern et projettent cette performance sur le Ballon d'Or, c'est normal. Que les électeurs européens aient envie de récompenser un joueur issu des rangs du grand vainqueur de la Ligue des champions, c'est naturel Cela ne suffit déjà pas à faire émerger Franck Ribéry, comme nous l'avons constaté auprès de nos collègues européens d'Eurosport. Une chose toute simple pour prendre du recul : les Suédois pensent de Zlatan ce que les Français pensent de Riébry. Mais c'est encore pire hors d'Europe, où je doute très sincèrement que la saison de Ribéry ait suffisamment ébloui les foules pour éclipser tous les favoris "de droit divin".
L'extérieur de l'Europe, cela représente grosso modo les trois quarts des votants. Sur les 209 membres de la FIFA, habilités à émettre un vote (sélectionneur, capitaine, journaliste), 54 seulement sont issues d'Europe. Il suffit d'écouter Pelé, citer quatre noms mais pas celui de Ribéry, il suffit de prendre un de recul par rapport à "l'Europeo-centrisme" de notre perception du football pour relever que Ribéry a peu de chances d'émerger parmi les votants d'Asie, d'Océanie, d'Afrique, des Amériques, où les images de la Bundesliga arrivent moins vite que celles du Clasico. Ribéry sera là dans le Top 5 ou 10, parmi d'autres. Mais certainement moins en vue que les superstars mondialisées du jeu qui ont trusté l'affiche ces cinq dernières saisons et que chaque coach ou joueur aimeraient fondamentalement avoir dans son équipe.
Ribéry Ballon d'Or en janvier 2014. Chacun a le droit d'y croire. Il est plus raisonnable d'en rêver.
Cédric ROUQUETTE
Twitter : @CedricRouquette