Food Practice System : mâchez, c'est gagnéMâchouillez, c'est gagné : voilà, en trois mots, le concept hautement improbable de Food Practice System, de loin le jeu le plus loufoque du dernier Tokyo Games Show. Ce prototype développé par les étudiants de l'institut de technologie de Kanagawa était non seulement présenté, mais aussi jouable fin septembre lors de la grand-messe de l'industrie nippone. Après plusieurs mois d'hésitation, de réflexion, nous avons enfin décidé de publier notre compte-rendu de cette découverte essentielle pour l'avenir du jeu vidéo japonais. Mieux que le hands-on, place donc au teeth-on.Jeanne MâchePlutôt carotte, poivron ou tomate ? Votre esprit tombe dans des abysses de perplexité. Plutôt brune, rousse ou blonde, vous savez quoi répondre au barman. Plutôt OL, OM, ou PSG, vous avez appris quoi dire pour éviter les coups. Et plutôt PS, Cheminade ou UMP, vous avez même développé des techniques de ninjutsu pour disparaître des tablées familiales mal embarquées. Mais carotte,poivron, ou tomate ? Là, comme ça, dans trois verres en plastiques posés sur une table, au milieu d'un salon de jeu vidéo ? Problème. Et pourtant, pas d'échappatoire possible : votre jeune interlocuteur sautillant vous fixe d'un regard hilare et obsédé, et que vous le vouliez ou non, vous allez finir par piocher.
Votre voyage en Ouatezefeuquie ne fait malheureusement que débuter. En optant pour les croquettes de droite que le démonstrateur vous présente avec assurance comme des biscuits, vous commencez tout d'abord par alléger de quelques grammes le gobelet en plastique qui les contenait. Or celui-ci, comme les deux autres, était en fait posé sur de discrètes balances électroniques. Celles-ci enregistrent automatiquement l'information et la retranscrivent à l'écran, où une carotte, un poivron vert et une tomate vous observent avec attention. La rouge herbacée se met alors à bondir. Première information : vous ignorez encore de quoi ce jeu est fait, mais nagez déjà dans un monde de légumes orwellien. Ayez confiance...
D'un air toujours aussi insupportablement accorte, l'examinateur vous place un casque stéréophonique sur la tête, et vous enjoint à mâcher. Oui, la croquette que vous tenez dans la main. Bon esprit, vous vous exécutez, et à l'écran une jauge sous la tomate se met soudain à se remplir, comme par magie, à chaque coup de dents. Dix, vingt, quarante, soixante... à la fin du biscuit, le compteur dépasse les cent. Qu'est-ce que le fuck, s'interroge alors légitimement votre cerveau primesautier. Or pendant ce temps, le psychodingue d'étudiant qui vous accompagne s'est penché sous la table, et en ressort avec un gigantesque fusil rouge et jaune en plastique, croisement improbable entre un laser Spartan et un pistolet à eau. Votre mâchoire n'a pas travaillé en vain : ce que vous avez gagné, ce sont en fait des munitions, et votre véritable combat commence.
L'attaque de la moussaka géante 2A l'écran, une ville apparaît. Elle est moche, modélisée avec des couteaux en plastique et les textures ont été finies à la béarnaise, mais ce n'est même pas ce qui vous interpelle le plus. Non, le vrai problème, c'est que vous vous retrouvez dans le remake vidéoludique de L'attaque de la moussaka géante : face à vous surgissent, horreur, des carottes mutantes, des poivrons verts dentés et des tomates psychopathes. L'action débute. La caméra avance sur des rails, comme dans un Virtua Cop, et doigt sur la gâchette, c'est à vous de dégommer l'infâme horde légumière.
Première précision, ledit fusil en plastique ne fonctionne pas comme n'importe quelle arme infrarouge. Ce serait beaucoup trop simple. D'abord, il faut faire face à une petite caméra située à l'arrière de celui-ci, au niveau du chien, et arborer un grand sourire. Sinon, l'arme reste bloquée. Ca tombe bien, ce n'est pas comme si vous n'aviez pas des miettes de croquette de tomate entre les deux dents de devant. Seconde précision : vos munitions sont sélectives. Chaque fois que vous visez un poivron vert, c'est votre compteur de poivron vert qui descend. Vos munitions sont évidemment en nombre limité, et les fils mutants de Cyril Lignac, une armée.
L'odeur des carottes mouillées
Grâce à votre biscuit à la tomate, vous nettoyez assez aisément les rues de la menace ketchup (à ce niveau de l'article, l'auteur cherche des synonymes, c'est normal). Mais les carottes, ces infâmes suppôts de roux, qu'elles aillent brûler en enfer, sont elles en surnombre, nom d'un potiron. Et si un biscuit à la tomate passe finalement tout seul, la croquette à la carotte viole un peu le palais, entre un katsudon et un plateau de yakitori.
Une fois votre arme rechargée une fois, deux fois, et toute l'armada gaspacho éliminée dans un fatras de lasers couleurs bio et un arrière-goût pâteux de chewing-gum aux légumes dans la bouche, un boss final apparaît. Une sorte d'aubergine zombie rescapée des camps de censure de Capcom. A ce niveau-là de la partie, vous n'avez heureusement plus ni orgueil ni logique, et vous vous contentez de canarder comme il se doit l'ultime menace potagère, qui a le bon goût d'éclater rapidement. Félicitations, vous avez fini le niveau. L'écran de bravo achève de vous humilier en affichant, façon Kinect, plusieurs photos de vous en train de jouer – en l’occurrence, vos sourires post-gâteaux salés. Le jeune étudiant applaudit à s'en rompre les bras, sans qu'il soit ni possible ni souhaitable de savoir s'il est davantage fier de votre performance ou du jeu développé par son école.
Echec et tomate
Par acquis de conscience, et aussi dans le vain espoir de vous racheter une crédibilité, vous désignez le petit boîtier sous l'écran et lâchez : "C'est un système optique avec analyse de mouvements à la manière de Kinect, n'est-ce pas ? Je savais que la caméra de Microsoft avait été downgradée dans sa version commerciale, mais je ne m'attendais pas à ce qu'on puisse suivre et identifier des mouvements de mâchoire. Impressionnant, la précision de votre capteur.". Pan, dans tes dents, Gérard Majax, pensez-vous. Quel naïf ! "Ah non non", s'excuse l'étudiant, "ça c'est juste un capteur infrarouge standard pour le pistolet. Pour la mâchoire, on utilise juste cette petite tige au bout du casque stéréo. Ca ressemble à un micro, mais en fait chaque fois que vous la touchez, elle enregistre que vous mâchez.". Humiliation.
L'étudiant de l'Institut Technologique de Kanagawa vous lit avec malice le titre du jeu : Food Practice System. "FPS !", insiste-t-il hilare. On pourra dire ce qu'on voudra, mais avec des idées pareilles, le jeu vidéo japonais a de l'avenir.
GK