J'ai trouvé l'interview sur internet.
« XAVI, À QUEL ENDROIT de la pelouse du Camp Nou préférez-vous être ?
– Au centre. J’adore aussi quand je vais tirer un corner. Parce que les gens ont beaucoup de respect pour moi. Ils sont merveilleux (il les imite) : “Xavi, vamos, vamos ! Tu es le meilleur!” Et d’autres choses. Ça (il respire profondément, gonfle sa poitrine), pour l’ego, c’est super.
– Vous les regardez ?
– Non. Parce que je me concentre sur ce qu’on va faire. Mais j’écoute. Par exemple, quand il y a beaucoup d’accrochages, l’arbitre arrête le jeu (il siffle deux fois) et réprimande les joueurs. Moi, j’attends. Et, à cet instant, les gens s’approchent et me parlent.
– Ils vous donnent des conseils ?
– (Il rit.) “Mets-la à Puyol aux six mètres !” Ou quand il y avait Marquez (Rafael), avec qui on a mis beaucoup de buts sur corner : “Cherche Marquez !” Et quand ça marchait, je me tournais vers eux. Bon, parfois, c’est : “ Joue-la vite !” Là, tu te dis : “Non, ça va pas la tête, pas comme ça !”
– En douze années au Camp Nou, avez-vous repéré un socio dans les tribunes ?
– Derrière un but, il y a un gars de mon village (Terrassa, en banlieue de Barcelone). Il s’appelle Marc Ferrer, c’est le vice-président de la Peña des Almogavares. Je l’aperçois souvent (comme s’il se parlait à lui-même) : “Regarde, le Marc est là !” Mais mes parents, je les vois à chaque match. Ils sont assis au deuxième étage (il montre sur une photo du stade un coin à droite de la tribune présidentielle).
– Vous leur faites signe ?
– On sort du vestiaire ici (il reprend la photo, trace des points sur la pelouse et bruite) : tic, tic, tic, tic. On s’aligne, on salue le public et je les regarde. À la mi-temps et à la fin (il siffle et mime un salut). Bon, si le match a mal tourné, je m’échappe (il rit) : “Je vous téléphonerai plus tard.”
– Si un match au Camp Nou était un son ?
– L’hymne du Barça (el Cant del Barça). C’est le moment le plus beau, ce sentiment de “barcelonismo”. En plus, c’est un bel hymne... (Une pause.) Il y a toujours, aussi, comme une forme de silence au Camp Nou.
– Un murmure ?
– (Il sourit.) Oui, un murmure. Ici, c’est un peu comme au théâtre, c’est toi qui dois donner au public, l’animer. Dixième minute, il y a deux, trois tirs, deux corners, tu sens le public (il se redresse) : “Aaah !” Mais si c’est le contraire... Touche et passe en arrière au gardien, attaque des autres, et t’entends le murmure : “Ooooh !” Et quand tu perds un premier ballon : “Rrrrraa !” Au deuxième : “Rrroooo !” Au troisième, c’est presque... (il s’arrête et imite les sifflets). Oui, oui, si le public est heureux ou pas, je le ressens. C’est pour ça que les joueurs, quand ils viennent d’ailleurs, ne comprennent rien. Ici, il y a une pression qui n’existe dans aucun autre club au monde. Peut-être à Madrid, mais moins.
– On entend quoi d’autre sur le terrain. Guardiola, il siffle, il crie ?
– Non. C’est plus : “Xavi, viens, viens ! (Il mime un signe de la main.) Regarde, regarde...” Des gestes aussi. Mais il ne siffle pas, il t’appelle. Et il ne crie pas. Parce qu’on entend bien au Camp Nou. Comme le public attend ce que tu vas lui donner…
– Quand vous avez le ballon, comment vous appellent vos partenaires ?
– La majorité, c’est “Maquina” (la “Machine”, l’un de ses surnoms). Ou “Maqui”. Henry et Eto’o m’appelaient comme ça (il mime) : “Maqui, Maqui !” Messi, c’est : “Xavi.” Alves aussi. Villa m’appelle “Pelo”, “Pelopo”.
– “Pelopo” ?
– Ça date de, pfff, quinze ans. Pour mes cheveux. (Il sourit. “Pelopo” est la contraction de “pelo de polla”, qui se traduit par “poil de b...” Héritage du centre de formation.)
– Et vous, comment les appelez-vous ? Prenons trois joueurs : Puyol, Iniesta et Messi.
– Puyi, Andreu et Leo. (Il imite.) “Leo, Maqui !” (Xavi demande le ballon en se nommant lui-même.)
– Pour comprendre comment vous pensez sur le terrain, imaginons une situation. Puyol a le ballon dans sa zone. Comment agissez-vous ?
– Je me rapproche. Rapidement. Je cherche un espace et je propose une sortie. Si trois, quatre joueurs combinent dans un coin, je vais ailleurs, je ne sers à rien, le jeu changera de côté après. Toujours, je pense à ce qui est mieux pour l’équipe.
– Maintenant, Puyol vous fait la passe et le ballon vous arrive...
– Je regarde la situation… En fait, au Barça, on cherche la supériorité numérique : le deux contre un. Puyol a le ballon, il est seul. Je lui dis : “Monte, monte !” Et il monte jusqu’à ce qu’un adversaire sorte sur lui. Si c’est celui qui me marquait, tranquille, je suis seul, deux contre un (il fait comme s’il était sur le terrain) : “Puyi ! Puyi ! Puyi !”
– L’objectif, c’est qu’il n’y ait aucun adversaire entre vous et le porteur du ballon ?
– Exactement. (Il joue avec les dictaphones pour décrire la situation.) Si je reste derrière le joueur qui me marque, c’est pas bon. Je me décale (il siffle), et on attaque ! Et, quand j’ai le ballon, je dis à Alves de monter, je monte aussi en direction de son latéral. À un moment, il (le latéral adverse) doit venir sur moi. Il ne sort pas ? D’accord. On attaque. Passe, passe, passe… C’est le deux contre un. Souvent, on le joue même avec notre gardien Victor Valdés. Si on perd le ballon, c’est but ! Ça, c’est le mérite du Barcelona.
– Reprenons l’action. Le ballon est presque à vos pieds. Quand décidez-vous de ce que vous allez en faire ?
– Ça se joue en dixièmes de seconde. En fonction de la situation. Celui qui me marque est resté à quelques mètres ? Je me retourne. Il vient vite sur moi ? Pap ! passe à une touche. Dos au but, c’est difficile. Pour moi, pour Messi, pour tout le monde… Mais, quand ils me laissent me retourner, que j’ai le terrain face à moi, ça, c’est MON moment. Devant moi, j’ai Pedro, Villa, Messi, Iniesta… (Comme impressionné.) Pfff !
– Avez-vous peur de recevoir certains ballons ?
– (Catégorique.) Non ! Ça, c’est tout ce que j’ai. Moi, si je ne reçois pas le ballon pendant deux minutes (comme agacé) : “Mec, passe, cherche-moi, je suis seul...” C’est mon jeu ! Sinon, je reste à la maison. Souvent, il y a du marquage individuel. Et alors ? Je dois me débrouiller. Alves a le ballon ? Vite, vite, vite, un appui. Je touche cent ballons par match. Si je n’en ai que cinquante, je rentre aux vestiaires prêt à tuer.
– Des phrases, des credo vous passent par la tête ?
– Ici, on utilise beaucoup les concepts qu’on nous transmet au centre de formation. “Lever la tête” : le ballon est à tes pieds, mais la tête est haute. Sinon, tu ne regardes pas le jeu. Ou “regarder avant de recevoir”. C’est aussi important pour orienter son contrôle. Zidane avait ça. Lui, c’était un spectacle, une merveille. Il y a aussi “à une touche”. “Charly” Rexach (ancien responsable de la formation au Barça) nous disait même : “À une touche de balle, non ! À une demi-touche !” (Sourire.) C’est ça, le football : plus tu gardes le ballon, plus tu ralentis le jeu.
– Si un match au Camp Nou était une odeur ?
– Une odeur ? Pfff (il réfléchit et s’anime)... Si, l’odeur dans le stade, c’est celle des sandwiches. Ça sent la francfort ou la butifarra (sorte de saucisse, spécialité catalane) qu’ils servent dans les bars. Tu sors du vestiaire et (il renifle plusieurs fois) : “Oïe, mmmmmh !” (Il sourit.) À cet instant, tu sens la faim monter.
– Une vision ?
– (Du tac au tac.) Ah, la vision du terrain, elle est fantastique. L’herbe est toujours parfaite (il mime comme une caresse pour la une pelouse). Ce vert, avec la lumière, warf, fantastique ! Quand tu es dans le tunnel des vestiaires... Moi, je regarde (il penche la tête et scrute au loin) pour voir s’il y a du monde. Souvent, le préparateur physique ou l’entraîneur des gardiens nous préviennent : “Wouf, c’est déjà plein aujourd’hui !”
– Restons sur la vue. Ballon au pied, vous voyez des ombres passer ou vous distinguez tout très clairement ?
– En fait, j’essaie de voir avant et de penser avant. Par exemple, Alves prend son couloir. Moi, je fais ça (il mime un coup d’œil rapide) et je sais qu’il monte. Iniesta me donne la balle. Elle est forte, je contrôle. Et direct, passe de l’autre côté (vers Alves). Ça, c’est notre travail quotidien. On fait de la conservation rapide. Et ma vitesse, elle est mentale. Elle ne vient pas des jambes. J’ai un physique, pfff, très normal (1,70 m, 68 kg).
– Chaque fois, vous savez à qui vous donnez le ballon ?
– Oui. Toujours. Toujours. Si je vois Messi, je la donne à Messi... (Une pause.) Prenons une contre-attaque : il y a Busquets, Bojan, Pedro... et Messi. Pa, pa, pa, pa (le ballon circule), je regarde déjà Messi. Pedro est seul. Messi aussi ? Alors, je la donne à Messi. Si Pedro devient meilleur que Messi, ce sera pour Pedro. Bien sûr que je regarde à qui je donne. Parce que c’est le jeu. Et si, à l’époque, Titi (Henry) ou Samuel (Eto’o) étaient bien, ballon à Titi, ballon à Samuel...
– Sur le terrain, quelle idée générale vous anime ?
– Ne pas perdre le ballon. Il y a beaucoup de joueurs qui ne lui donnent pas de valeur. Ils s’en moquent. Au Barça, on te rend responsable du ballon. Un attaquant à un contre trois, de dos, qui essaie de partir pour l’action de sa vie ? Non, impossible (comme s’il lui parlait) : “Pense un peu, fais la passe derrière et on attaquera après.” Ici, c’est différent. On parle beaucoup (il mime à nouveau) : “Guaje (le surnom de David Villa, arrivé au Barça cette saison), tranquille ! Le but viendra.”
– Le plaisir de jouer au Barça que vous évoquez souvent, il se loge dans quoi ?
– J’aime que tout soit parfait, et le Barça est comme ça aussi. Depuis Victor Valdés, ça doit être (il dessine de l’index la trajectoire rapide d’un ballon) : passe, passe, passe, passe, passe... Et ça, nous le travaillons. Valdés-Puyol-Piqué, Piqué à Busquets, Busquets à moi, moi à Messi et encore à moi, Alves, poum de l’autre côté et pa, pa, pa, pa, pendant une minute, deux minutes, l’équipe adverse courant derrière nous... Une merveille.
– C’est mieux qu’un but de raccroc ?
– Quand il y a un but, d’accord, très joli. Mais, moi, je préfère (il redessine avec son index) : passe, passe, passe, passe... Et que tous les joueurs aient vu, avant d’avoir le ballon, le partenaire démarqué. Si ça peut être à une seule touche, encore mieux. J’ai vu Messi : ballon direct à Messi. Et Messi a vu Iniesta derrière lui : ballon direct à Iniesta. Pa, pa, pa, pa... Ça, c’est le Barça. Dans le football, certains passent par le plus facile : pas de combinaison, ballon aérien et on verra. Non, non, non ! Nous, nous cherchons la supériorité depuis derrière, avec du sens, des combinaisons. Tout le temps, tout le temps, tout le temps. Pour moi, en plus du fait que le Barça soit une religion, c’est une forme de vie.
– Parfois, vous devenez spectateur ?
– Souvent. Je profite : p****, on est en train de jouer magnifiquement ! Jusqu’à me dire que c’est le football parfait.
– Un exemple ?
– Pffff... Le 6-2 à Madrid (le 2 mai 2009). Ça, ce fut un spectacle. Pas pour le score. Si on n’avait gagné que 2 à 1, ç’aurait quand même été le meilleur match de l’histoire du Barça, ou presque. Parce que, ce soir-là, ç’aurait pu faire 10 à 2. Facile. On jouait un football, warf... Madrid ne savait plus où il était.
– Après, l’odorat, l’ouïe, la vue, parlez-nous du toucher. Votre manière de conduire le ballon est très douce.
– Parce que je pense toujours à mon partenaire pour qu’il puisse le jouer à une touche. Par exemple, on me donne le ballon, je suis chargé mais j’ai vu Alves démarqué : je vais le donner doucement à Iniesta pour que lui, directement, puisse faire la passe à Alves. En revanche, s’il y a un adversaire près de lui, passe forte pour que son contrôle soit plus facile. Il faut être un peu en avance sur l’action.
– On dit que vous donnez toujours le ballon au “moment juste”. Expliquez-nous !
– Le moment juste, c’est… Bon, Abidal monte. Si je lui donne le ballon lentement, sa course va s’arrêter. Non ! Le ballon, dans sa course. Ça, c’est inné, mais on te l’enseigne un peu ici. Louis Van Gaal (qui a lancé Xavi quand il entraînait le Barça, en 1998) disait : “Sensibilisez vos pieds !” Pour faire la passe juste.
– Vous préférez marquer ou donner un ballon de but ?
– C’est mieux un but. C’est le summum en foot. Mais la passe décisive, c’est ma qualité. Quand je vois une possibilité (il mime) : “Mets-la, mets-la !” Ah, que c’est bon !
– Pour le clasico (ce soir), en quoi le Camp Nou sera différent ?
– Je me sens plus nerveux que d’habitude. Et je sens aussi les gens… (Il mime la crispation.) Quand on arrive au stade, c’est de l’adrénaline. Il y a un sentiment de défi (il tape des phalanges sur la table) : “Ça, c’est le Barça ! On est forts !” Et ce jour-là, pas besoin de réveiller le public. »
Et plus:
« Je respecte Mourinho, mais… »
À DEUX SEMAINES DU CLASICO, quand nous l’avons rencontré, Xavi s’amusait déjà des provocations qu’il attendait de la part du coach madrilène José Mourinho. « Sûr qu’il va faire quelque chose. Il aime ça. Mais il faut le prendre comme une blague. » Les deux hommes se connaissent : Mourinho était l’adjoint de Louis Van Gaal quand Xavi a commencé en équipe première du Barça. « Il aime faire le fier. C’est un mec très intelligent, qui sent le foot », lâche-t-il, pas convaincu cependant par le style que le Portugais imprime à ses équipes. « L’Inter Milan (ancien club de Mourinho) peut gagner la Ligue des champions une année, parce qu’il a de bons joueurs, qu’il a eu de la chance. Mais l’Inter ne va pas rester. Quelles équipes sont les références du football mondial aujourd’hui ? C’est l’Espagne, et le Barça. Je respecte beaucoup Mourinho, mais pour moi, celui qui va rester dans l’histoire, c’est Guardiola. Ou (Arrigo) Sacchi, ou (Johan) Cruyff, et aussi (Alex) Ferguson. Ils ont réalisé quelque chose en plus, ils ont créé un système de jeu différent de ce qui existait, en gagnant en plus. » – A. Ba. et F. T.
Dans le vestiaire : Flash FM et « Un, dos, tres, Barça ! »
AU CAMP NOU, le touriste peut visiter beaucoup de choses. Pas le vestiaire du Barça, dont l’accès n’est autorisé qu’aux joueurs et aux membres du staff. Chaque joueur a son numéro inscrit sur un petit banc rouge, avec un casier dans son dos. Le numéro 6 de Xavi est sur la gauche. « À ma droite, il y avait (Rafael) Marquez (parti aux New York Red Bulls), et maintenant il n’y a personne. (Gerard) Piqué est à ma gauche. Plus loin, il y a (Sergi) Busquets, (Carles) Puyol... De l’autre côté, (David) Villa et (Victor) Valdés ». Les jours de match sont parmi les seuls où « Pep » Guardiola s’immisce dans l’intimité des joueurs. « Il nous parle de l’équipe adverse, donne trois tactiques, explique... Il peut aussi prendre la défense à part, ou Iniesta et moi pour nous dire : “Attention avec celui-là !” » Mais ce n’est pas la voix du « Mister » qui est la principale animation des avant-matches. « L’ambiance est très sérieuse, mais il y a toujours de la musique. Et assez fort, hein ! Tous types de musique. Celle du moment, celle qui sonne bien. Souvent, on écoute la radio, Flash FM, ou un mec met son iPod. Jusqu’à ce qu’on revienne de l’échauffement. Après, commencent les petits mots. On s’embrasse, tous. Et enfin le cri de guerre, en cercle : “ Un, dos, tres, Barça !” Ça fait des années qu’on l’utilise. » – A. Ba. et F. T.
« Partager le Ballon d’Or avec Iniesta ? Parfait ! »
« CE BALLON D’OR, un Espagnol le mérite. Parce que c’est l’ère de l’Espagne, et que le Mondial pèse beaucoup. Certains veulent le partager entre moi et Andres Iniesta ? Eh bien, parfait ! (Rires.) Et si ce n’était qu’Iniesta ? Je serais fier aussi. Pour moi, le plus important est qu’on gagne collectivement. Les prix individuels... Pfff... Ils sont un peu injustes. Il devrait y avoir un Ballon d’Or pour chaque poste. Imagine qu’ils le donnent à (Wesley) Sneijder… (Il grimace.) Les gens diraient : “ Quelle injustice ! Xavi et Iniesta le méritent ! ” Et si on le donne à Iniesta ou à moi ? Pareil, parce que Sneijder a réalisé une année fantastique. Tout est injuste. Tu ne crois pas que Casillas le mérite ? Il a réalisé une Coupe du monde incroyable. Et Milito ? On me donne le Ballon d’Or ? Très bien. On ne me le donne pas ? Très bien aussi. Déjà, que des gens demandent que je sois Ballon d’Or... T’imagines ce que ça représente pour moi ? Je ne l’aurais jamais rêvé. »