L'interview de Bastareaud. Rien de bien fou finalement
Citation
Vos apparitions dans les médias sont rares. Pourquoi décidez-vous de parler aujourd’hui ?
Il est vrai que j’ai pris l’habitude de ne pas parler. Beaucoup de monde s’en chargeait très bien pour moi. J’ai laissé couler. Mais trop, c’est trop. Je n’en peux plus d’entendre ou de lire des choses sur moi, qui sont fausses. Depuis deux ans, depuis six mois plus particulièrement, tous les articles me concernant sont à charge. Une fois, j’ai une mauvaise hygiène de vie, une autre, un mauvais état d’esprit, une autre encore, je suis nonchalant, pas assez investi dans ce
que je fais. Sur ce dernier point, je pense avoir montré, sur le terrain, avec le Stade français ou avec l’équipe de France, que je pouvais me défoncer. À chaque fois, ces articles sont écrits par des journalistes qui prétendent me connaître alors que je ne les ai jamais rencontrés. Je ressens donc le besoin d’éclaircir les choses.
Vous faites aussi référence aux propos que Marc Lièvremont a tenus à votre égard en novembre, des propos qu’il a réitérés avant le Tournoi. Comment les avez-vous pris ?
La seule chose que j’ai à dire là-dessus, c’est que j’aurais préféré qu’il me les
dise. Pas qu’il les balance publiquement comme il l’a fait.
En novembre, vous lui aviez téléphoné après votre non-sélection.
Que vous étiez-vous dit ?
Notre coup de téléphone n’a pas duré longtemps. Ce n’était pas une grande discussion. Ma non-sélection, je la comprenais et je l’acceptais. Mais j’aurais préféré qu’il me réserve les remarques qu’il avait à me faire. C’est ce que je lui ai dit durant ce coup de fil.
Depuis, vous n’avez pas eu d’échange avec lui ?
Non.
Quand il évoque votre cas, Marc Lièvremont dit que vous ne faites pas les efforts qu’il vous demande, mais qu’il conserve de l’affection pour vous et qu’il croit en vous. Comment le prenez-vous ?
Je connais des joueurs qui marchent à l’orgueil. Lorsqu’on les pousse dans leurs retranchements, cela provoque une réaction de leur part. Ce n’est pas mon cas. Je ne fonctionne pas ainsi. Au contraire, cela fait six mois que j’en prends plein la figure. Je n’attends pas son soutien, mais s’il a de l’affection pour moi, comme il le dit, un petit geste d’encouragement n’aurait pas été de trop. Après, je n’ai rien à attendre de lui. Je sais que tout vient de moi. Si je redeviens performant, alors la question se posera de mon avenir en équipe de France.
À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas et le problème est réglé. Pourtant l’an dernier, à la même époque, vous débutiez le Tournoi avec l’équipe de France. Que vous reste-t-il du grand chelem ?
Le grand chelem, c’est ma médaille. Il ne me reste que d’excellents souvenirs de ce Tournoi, une formidable aventure.
Mais, vous le dites, c’était l’an dernier. Même si ça n’est pas si loin, beaucoup d’eau a coulé depuis. Il y a eu les tests de novembre, où vous n’étiez pas. Durant ces tests, Thierry Dusautoir a été critiqué dans son rôle de capitaine. Est il, selon vous, le capitaine qu’il faut pour l’équipe de France ?
Je n’ai que du positif à dire sur lui. La France ne peut pas se passer de lui. Il en impose tellement. Il ne parle pas beaucoup, mais le peu qu’il dit, c’est toujours juste. C’est un grand homme. Il est exemplaire sur le terrain.
Il est correct, gentil, intelligent. Oui, c’est le capitaine qu’il faut.
Avez-vous vu les matchs de l’équipe de France cet automne ?
Non, mais ça n’était pas dirigé contre l’équipe de France. D’une manière générale, je ne regarde pas beaucoup de rugby à la télé. J’y joue suffisamment pour essayer de faire autre chose de mon temps libre. J’ai d’autres passions dans la vie. Ce côté détaché dérange sûrement, me dessert peut-être, mais c’est ainsi : je ne pense pas 24 heures sur 24 au rugby.
Allez-vous tout de même regarder les matchs du Tournoi ?
Oui, j’étais au stade samedi, parce que j’ai fait le deuil de l’équipe de France.
Vraiment ? Vous ne parlez pas sérieusement ?
En novembre, j’avais peur que cela me fasse mal de voir un match des Bleus. L’équipe de France était encore trop proche de moi,
j’aspirais à être sélectionné. En regardant les copains à la télé, j’avais peur de trop ressasser.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. J’ai donc vu France-Écosse au Stade de France.
Vous ne pensez donc plus à la Coupe du monde ?
Oui et non. Bien sûr que j’aimerais en être. Mais je me suis fait une raison. J’ai le sentiment d’avoir raté le dernier wagon.
Vous ne pensez pas pouvoir rattraper le train ?
Non. Parce que à force de prendre des tirs dans la tête, mon envie se trouve amoindrie. Mettez-vous à ma place : si dans le cadre de votre métier, pendant six mois, à chaque article que vous écrivez, on vous dit :
« ça ne va pas », « ce n’est pas bon », vous finissez par vous décourager. Tout cela n’est, pour le moins, pas très motivant.
Est-ce que vous reconnaissez que vous êtes moins performant sur le terrain ?
Oui, je suis conscient que mon niveau de jeu, cette saison, n’a rien à voir avec celui des années précédentes. J’en suis le premier
déçu. Cela m’attriste. Et je n’ai aucune réponse à cela. On peut toujours trouver des explications, mais encore faut-il que ce soit
les bonnes. Je ne crois pas que mon hygiène de vie en soit une valable.
Qu’avez-vous à répondre à ceux qui vous reprochent votre mauvaise hygiène de vie ?
Si j’avais une si mauvaise hygiène de vie que cela, je pense que je serais souvent
blessé. Ce n’est pas le cas. Cette saison, je n’ai souffert que d’une entorse à une cheville. Attention, je ne prétends pas être parfait. Je n’affirme pas que mon hygiène de vie est irréprochable, mais avec celle que l’on me prête, je ne serais pas sportif de haut niveau
Concernant votre état d’esprit, sur le terrain ces derniers temps, vous paraissez nerveux envers vos partenaires, est-ce le cas ?
C’est peut-être vrai mais en aucun cas, ça n’est dirigé contre mes partenaires. C’est ainsi que je traduis ma frustration. Je me rends compte que je ne suis pas bon en ce moment. Tout simplement. Je sais que je suis capable de beaucoup mieux et cela m’énerve effectivement.Je ne prends aucun plaisir sur un terrain.Cela se voit. La semaine à l’entraînement, ça se passe plutôt bien et puis en match, rien ne passe. Ce que je réussissais l’an passé assez facilement, je suis incapable de le reproduire
aujourd’hui. Du coup, je me mets à gamberger, je me demande ce qui se passe.
Comment faire pour sortir de ce mauvais pas ?
Je m’accroche, je bosse. Je suis sûr que cela reviendra. Tout sportif a des doutes. Pour moi, c’est en ce moment, il faut que je rebondisse. Là où j’ai eu tort, c’est
de penser que je pouvais m’en sortir seul. Il faut que je profite plus de mes copains, de mes coéquipiers, de mon staff. Mais quand, enfin, j’ai l’impression de sortir un peu la tête de l’eau, de retrouver petit à petit, un rendement digne, j’apprends finalement
via une déclaration du sélectionneur de l’équipe de France, que mon état d’esprit ne serait pas bon au sein de mon club. Je suis un peu perdu.
Selon vous, votre état d’esprit n’est pas à blâmer ?
Je n’en sais rien, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Je suis l’un de ceux qui arrivent les premiers à l’entraînement. Je fais tout ce que l’on me demande de faire. Je râle, ça oui, mais j’ai toujours râlé pour tout. Si j’avais un mauvais état d’esprit, j’espère qu’on me l’aurait dit au club. Or personne n’est venu me le dire jusqu’à présent. Entendre cela indirectement, ça me déçoit et ça me fait réfléchir
sur mon avenir.
En voulez-vous à votre club ?
Mes coéquipiers ont toujours été derrière moi. J’ai une confiance totale en eux. Je crois aussi à tout le staff, mais quand le sélectionneur dit qu’il a des retours de mon club, forcément, je me pose des questions. Quelque chose s’est cassé avec cette histoire. Maintenant, je suis un professionnel, je m’investis à fond pour le club avec lequel je suis lié. Je pense d’ailleurs l’avoir montré lors du dernier match contre
Castres.
Du coup, si vous dites cela, lorsque Toulon évoque son intérêt pour vous, vous n’y êtes pas insensible ?
Je mentirais si je disais que l’intérêt de Toulon ne me fait pas réfléchir.
Mais la question ne se pose pas puisque je suis lié au Stade français pour deux saisons encore. Pendant deux ans, j’agirai en professionnel en me donnant à fond.
Après ces événements en tout cas, il est important que je m’assoie autour d’une
table avec Max (Guazzini, N.D.L.R.) et Michael Cheika pour parler franchement. Et s’ils ne sont pas contents de moi, qu’ils me le disent. J’en tirerai les conclusions qu’il faut.
Tous vos problèmes sont partis de la tournée en Nouvelle- Zélande
et « de l’Affaire Bastareaud ».
J’ai tourné la page avec cette histoire. Mais personne d’autre ne l’a fait.
On ne parle que de ça. Je suis peut-être parano mais j’ai l’impression que personne ne veut que je passe à autre chose.
Vous admettez qu’il reste une chape de plomb sur cette histoire ?
Oui, j’en suis conscient. J’en suis aussi en partie responsable en m’étant renfermé
comme je l’ai fait. Je sais désormais que je traînerai cette histoire comme
un boulet tout au long de ma carrière, mais je demande à ce qu’on me laisse
tranquille avec cela. Si je ne parle pas, c’est que je n’ai rien à dire. Depuis
cette histoire, il m’a fallu mettre des barrières. Je ne suis pas de ceux qui
aiment s’épancher sur leur cas. Il faut respecter mon choix. ■
source:Midi Olympique