Le créateur de «The Wire» réagit à l'arrestation d'une actrice pour trafic de drogue

Jeudi 10 mars, l’actrice Felicia Pearson, qui incarnait le personnage de «Snoop», une tueuse d’un gang de la drogue de Baltimore, dans la série télévisée The Wire (Sur écoute), a été arrêtée dans le cadre d’un vaste coup de filet dans les milieux de la drogue de la ville. Slate.com a sollicité un commentaire de David Simon, le créateur et le producteur exécutif de la série, qui dirige depuis la série Treme. Celui-ci a transmis le communiqué suivant via un porte-parole de HBO:
«Tout d’abord, Felicia a droit à la présomption d’innocence et je note qu’une récente interpellation qui la visait a ensuite été jugée infondée et que les charges ont été abandonnées.
Néanmoins, cette nouvelle m’attriste, évidemment. Cette jeune femme, depuis son plus jeune âge, a vécu une des vies les plus dures qu’on puisse imaginer, et la chance que son rôle dans The Wire a représenté pour elle semble, rétrospectivement, s’être arrêtée avec la série. En tant qu’actrice, elle a travaillé dur et s'est montrée totalement professionnelle, mais l’industrie du divertissement, dans son ensemble, n’offre que peu de rôles à ceux qui peuvent incarner des personnages de l’autre Amérique. On ne raconte, en fait, que relativement peu d’histoires sur cette autre Amérique.
Par ailleurs, j’attends de voir si les accusations proférées contre Felicia portent sur de l’héroïne ou de la marijuana. Evidemment, le premier cas serait dans mon esprit beaucoup plus grave. Au-delà, j’attends aussi de voir si les charges ou l’exposé des faits par les autorités l’impliquent dans des comportements violents, ce qui serait bien sûr beaucoup plus préoccupant.
Il y a deux ans, nous avions publié avec les autres scénaristes de The Wire une tribune dans Time où nous estimions que la guerre contre la drogue s’était transformée en guerre contre les marginaux. Que, dans des zones comme l’ouest et l’est de Baltimore, où l’industrie de la drogue est la seule à encore embaucher et où le système éducatif est tellement infirme que la grande majorité des enfants sont formés à l’école de la rue, mener une campagne judiciaire pour incarcérer nos compatriotes les plus vulnérables et affaiblis est pire qu’immoral. Nous déclarions aussi que, si nous étions convoqués comme jurés dans une affaire de drogue sans comportement violent, nous irions à l’encontre de la lettre de la loi et voterions l’acquittement. Sans s’attarder sur la personnalité de l’accusé, je pense que cette décision est juste dans toutes les affaires de drogue dont la violence est absente.
Notre Constitution et notre tradition juridique nous garantissent d’être jugés par nos pairs, mais la vérité est qu’il y a aujourd’hui deux Amériques, politiquement et économiquement distinctes. En ce qui me concerne, je ne peux me considérer comme un pair de Felicia Pearson. Les expériences qu’elle a vécues et les chances dont elle a bénéficié ne sont pas du tout les mêmes que les miennes, et son Amérique est différente de la mienne. Je suis en conséquence mal placé pour la juger.»
Propos recueillis par Nina Shen Rastogi