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Un joueur victime d'islamophobie à Nancy
Salim Baghdad, joueur de l'AS Nancy-Lorraine, a subi des menaces et des agressions suite aux attentats de Charlie Hebdo, en janvier dernier. Un témoignage édifiant.
Les attentats de janvier comptent une victime de plus. Celle-ci n’a pas reçu de balle et est encore vivante. Mais les souffrances endurées rappellent que les dégâts causés par les horreurs du début d’année dépassent le cadre des fusillades. «Je suis un dommage collatéral de ce qui s'est passé à Charlie Hebdo». Ces mots très forts sont signés d’un jeune footballeur de l’AS Nancy-Lorraine. Son nom : Salim Baghdad. Mais pourquoi diable un jeune de vingt-deux ans, bien sous tous rapports, se retrouve lié à la plus grosse tragédie sur le sol français de ces dernières années ? Salim Baghdad se le demande encore, totalement dépassé par ce qui va suivre quatre mois après la tuerie. Quelques jours après l'affaire de Charlie Hebdo, Salim quitte le centre d'entraînement, situé en Forêt de Haye, juste après les soins. Il ne reste plus grand monde. Un supporter l’arrête. Le début des ennuis… «Il commence à me parler de football, nous raconte Salim. "Les gars vous déconnez, il faut gagner pour monter en Ligue 1" etc… Soudain, il me crache dessus. Il commence à m'insulter». «Sale Arabe, sale Bougnoule, on est tous des Charlie, la France aux Français, dégage à Toulouse Mohamed Merah, on sait que tu t'appelles Bagdhad», tout y passe. Sous le choc, Baghdad réalise que trois autres individus véhéments s’approchent à leur tour de sa voiture. Le footballeur file à toute berzingue. Arrivé chez lui, le cauchemar continue : il trouve son épouse en pleurs. «Elle me dit que tout l'après midi, des gens sont venus frapper à la porte. Ils ont laissé une poche devant la porte. Je regarde à l'intérieur, il y a des imprimés où il est écrit «Salim Bagdhad, né le 11 septembre, est allé dans le même lycée que Mohamed Merah», mais aussi du porc, et le drapeau tricolore». Sur les conseils de Youssouf Hadji, le grand frère au club, il décide d’aller s’en ouvrir à Pablo Correa, son entraîneur.
Les RG s'en mêlent
Le lendemain, Salim va donc voir son coach et découvre que le club a reçu les mêmes éléments par courrier. Mais le discours de l’Uruguayen n’est pas celui qu’il attend : «Il m'a dit : "Il ne faut pas en parler, ça va prendre des proportions, et en plus c'est politique au niveau de la France car le climat est tendu". Il me dit aussi que le mercato n'est pas terminé. Je suis choqué, je lui dis que ce n'est pas ce que j'attendais de lui». Dans la foulée, il est reçu par le directeur sportif lorrain, Paul Fischer, et à eux, se joint un agent des renseignements généraux. Ce dernier lui tient un discours que le joueur trouve ambigu : «Il commence à me parler d'une mosquée où j'allais à Toulouse, celle de Mohamed Merah, reprend Salim. Il me sort une photo quand je suis à la mosquée un vendredi. Ce n’est pas une mosquée intégriste du tout. J'y allais avec des joueurs du TFC, du Stade Toulousain et avec les joueurs de Luzenac. Le mec des RG me sort même une photo de moi à la mosquée… Je lui dis que c'est ridicule et ce n’est pas parce que je vais à la mosquée qu'on a le droit de m'insulter de sale arabe, bougnoule ou sarrasin» Paul Fischer aussi a été marqué : «Salim est venu me voir en janvier pour me raconter son histoire : insultes, menaces et même filature. Je n’en revenais pas. Je sais qu’il y a des joueurs pris à partie parfois, un peu partout, mais un truc aussi poussé, aussi préparé, ça doit être rare.» Malgré le traumatisme profond et le sentiment d’injustice tenace, le joueur opte pour la discrétion. Samir Fodil, le représentant du joueur, nous explique le choix de ne pas médiatiser sur le champ cette histoire délirante. «L'attention était très portée sur l'histoire de Charlie Hebdo. On s'est dit que le joueur allait être sous le feu des projecteurs. On était partagé car ça mérite évidemment d'être dénoncé. Mais, c'est le sportif qui a pris le dessus. Salim était là pour faire son métier et accrocher du temps de jeu.» Une discrétion accompagnée par le club. «Le joueur le souhaitait ainsi, nous confirme le président Rousselot. Ca aurait été compliqué pour lui de voir son nom associé à une telle histoire. J’ai compris parfaitement cette position et le club n’a rien fait d’autre que de respecter ce choix.» Et pour le boss de l’ASNL, pas question d’y voir là une volonté du club d’étouffer l’affaire sous la pression des supporters. «C’est une République ici et il n’y a pas à chercher à intimider qui que ce soit, quelles que soient ses opinions, je veux que ce soit très clair. Et ceux qui me connaissent savent aussi que je ne me laisse pas impressionner le moins du monde par des pseudo-supporters ou par qui que ce soit.»
Un t-shirt : «Je suis Salim»
Reste que selon Salim, à partir de là, les regards sur lui changent et sa situation sportive se dégrade alors qu’on lui avait assuré que cela n’influerait pas. «Le coach Pablo Correa a commencé à ne plus me parler. Ils sont partis faire un stage à Nîmes, ils ont pris tout le groupe sauf un autre joueur et moi.» Et le jeune de pointer aussi la défiance de son adjoint Vincent Hognon à son égard. «C'est devenu lourd d'aller à l'entraînement, reprend Salim. Au début, j'en rigolais avec mes collègues je leur disais : "Regarde, Vincent Hognon ne va pas me serrer la main aujourd'hui". Ils me prenaient pour un fou, et puis, je me mettais à côté de quelques joueurs, et effectivement, ils ont vu qu'il ne me saluait plus.» Paul Fischer réfute l’idée d’une mise à l’écart et d’une sanction sportive : «Cette histoire n’a sans doute pas favorisé son évolution. Mais on ne s’est pas non plus alarmé car on parle d’un joueur qui avait du mal à se mettre au niveau requis. Si ça avait été un joueur performant et que d’un seul coup ses prestations étaient en nette baisse, on se serait attardé sur son cas, on en aurait discuté avec lui. Mais là, avec Salim, on parle d’un joueur qui avait du mal à franchir le cap.» Le club n’a-t-il quand même pas sous-estimé la souffrance psychologique subie ? A-t-il suffisamment soutenu ce gamin de 22 ans ? «On n'a pas senti un soutien indéfectible du club, affirme son agent. J'attendais plus du management du club. Là, on te file une tape dans le dos, "T’inquiète pas, on est avec vous", et derrière, on ne se rappelle même plus du nom du joueur. J'ai essayé de contacter le président Rousselot, sans succès». «L’ASNL n’a pas été à la hauteur du tout, tranche pour sa part un membre du club. Ils ont essayé de couvrir tout ça, l’ont mis à l’écart, bref Salim est presque devenu le fautif, ce qui est dingue quand même. Tous les joueurs lui ont témoigné leur soutien, tout le monde était choqué par cela. Certains ont même lancé l’idée de marquer publiquement le coup en portant un t-shirt : "Je suis Salim". Mais le groupe n’est pas allé au bout. Car l’histoire datait de plus de deux mois déjà. De plus, certains se sont dit que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’aller au conflit avec le club dans la dernière ligne droite pour la montée en Ligue 1. Les joueurs sont quand même restés proches de lui, ont continué à lui parler, à rigoler avec lui, pour bien lui montrer qu’eux ne l’ont pas exclu. C’est important car aujourd’hui encore, on le sent très affecté par tout ça».
«Il va peut-être me mettre un coup de couteau»
Vrai. Le gamin reste traumatisé par tout ça, jusque dans sa vie de tous les jours. «Je suis maghrébin, donc un peu bronzé (sic), je regarde derrière moi quand je sors du foot. Je fais maison-foot-maison... J'ai peur de recevoir ma mère chez moi, je suis toujours sur mes gardes quand un supporter vient me parler en me demandant : qu'est-ce qu'il va faire ? Je deviens parano. Je me dis qu'il va peut-être me mettre un coup de couteau». Salim va quitter Nancy sans animosité mais enfin déchargé d'un poids. «J'ai passé de super moments quand même avec des supporters. On a fêté des anniversaires dans des salles de futsal.» Samir Fodil ajoute : «On en parle maintenant car la situation de Nancy est plus limpide. On n'a pas voulu le faire au moment où le club était en grande difficulté sportive. C'est quelque part par respect à l'entité et aux supporters. Mais on veut que les gens sachent qu'il y a une infime minorité qui se sont très mal comporté avec Salim». Le jeune joueur ne rêve que d’une chose : retrouver le terrain. Avec la réserve du club nancéien en CFA 2, ses performances avaient été plutôt bonnes avec dix passes décisives en douze matches. «Je n'ai pas eu ma chance, et tous les joueurs le savent. Sinon à quoi ça rime de faire signer un mec 8 mois, et pas lui donner une seule seconde de jeu. Des joueurs sont allés voir le coach pour lui dire de m'essayer.» Dans quelques jours, son histoire ira s’écrire ailleurs. Lui dont le nom évoque un conte des «Mille et une nuits» et qui s’est retrouvé plongé dans une véritable série noire.
Dave Appadoo et Nabil Djellit (@Nabil_Djellit)
francefootball.fr
Une belle bande de fdp en effet.