Au sujet de Mata et son utilisation a Chelsea :
Citation
DE LA MATAPHYSIQUE D’UNE RELATION
Installé dans un fauteuil depuis son arrivée au club, Juan Mata a vu son statut être remis en question par José Mourinho dans le processus de mise en place d’un plan de jeu qui se veut moins court-termiste que ceux de Roberto Di Matteo et Rafael Benitez, tout en prenant fondation sur des bases plus solides que le “projet” d’André Villas Boas. Élu deux fois de suite meilleur joueur d’un club qui a achevé les deux dernières saisons à 25 puis 14 points du champion, le petit espagnol est à la croisée des chemins entre ses limites et les ambitions retrouvées de son club. Après six mois de spéculation sur les choix de son manager et sur l’intérêt d’autres grands clubs européens – notamment le PSG de Laurent Blanc – il est temps de faire un point sur la situation de Juan Mata.
MÉTA-MATA
Juan Mata est certainement un joueur aussi génial qu’unique. Il est difficile d’apposer une étiquette à son style de jeu : meneur excentré ? Attaquant de soutien ? Central winger¹ ? Depuis deux saisons et demi, Mata plane à Londres, visite des musées ou lit Bukowski lorsqu’il ne dépose pas le ballon dans les pieds de ses attaquants empotés. Pas moins de 55 passes décisives en trois saisons toutes compétitions confondues sont venues garnir sa feuille de stats (dont 35 pour le seul exercice 2012/2013).
Le Special Juan n’est pas à ranger dans la catégorie des milieux offensifs meneurs, notamment de par sa propension à rechercher directement ses attaquants en déséquilibrant les défenses par une seule passe. Plus gênant cependant, Mata s’est régulièrement retrouvé en difficulté lorsque serré de près par ses gardes-chiourmes au cours des deux dernières saisons – et perdait souvent le ballon dos au but au profit d’illustres inconnus. Dès lors, cela mettait alors encore davantage en valeur ses décrochages vers les zones que les Anglais appellent “pockets of space” afin d’échapper à son adversaire direct.
Seulement, si ces premières touches latérales ou en retrait vers ces interstices permettent généralement aux adversaires de se replacer (ou de l’accompagner), elles n’empêchaient paradoxalement pas l’Espagnol de trouver en toute aise un coéquipier avec une précision chirurgicale même dans un espace encore plus dense. Mais en fuyant la ligne directe de pression adverse, il s’éloignait ainsi automatiquement du coéquipier qu’il isolait en lui transmettant le ballon, le laissant seul.
OSCARISÉ
Ces deux aspects expliquent en partie pourquoi le plus conservateur Silva lui est préféré dans le jeu de possession défensif de l’Espagne. La titularisation du meneur brésilien Oscar ou de Willian à ses dépends depuis le début de saison traduit une volonté de disposer d’un « nœud » dans les trois zones centrales (demi-espaces et zone 14²), capable de recevoir le ballon – et de ne pas le perdre – dans toutes les configurations. Le registre de déplacement de Mata s’inscrit davantage sur la largeur – et fragmente dans une certaine mesure la structure offensive (si les ballons ne lui arrivent pas, il ne peut pas aller les chercher). A l’inverse, les mouvements expansifs d’Oscar facilitent les permutations et les fameuses « rotations » dans un milieu à trois.
Le rôle de second attaquant excentré d’Eden Hazard qui déplace le barycentre des attaques vers la gauche renforce la fonction du joueur déployé dans l’axe : il s’agit alors d’une véritable nécessité pour l’axial que d’alimenter les joueurs en mesure de poursuivre les attaques à défaut d’être le seul à catalyser celles-ci. Monté en puissance lors du mois de décembre, Willian fait d’ailleurs étalage d’une qualité dont ne dispose pas Mata, à savoir celle d’ancrer le bloc équipe lorsque celui-ci se rééquilibre avec ou sans ballon. Le Brésilien peut ainsi faire remonter le bloc en conservant le cuir qu’il perd rarement, en fournissant des angles de passe simple à ses deux milieux. Par ailleurs, sa position de faux troisième milieu de terrain permet à un de ces derniers de réaliser une course vers l’avant (ou de sortir au pressing) sans crainte de libérer une brèche.
Juan Mata n’a participé qu’à trois des six premiers matchs de championnat cette saison. Il est possible que ce laps de temps ait été mis à contribution afin de de se mettre au niveau des nouvelles demandes athlétiques du plan de jeu de Mourinho.
Le schéma de Mourinho repose sur un pressing offensif afin de récupérer le ballon et d’enchaîner le plus rapidement possible vers le but. Une mise en place incompatible avec la répartition des tâches bancale pratiquée lors des deux dernières saisons. Il était en effet fréquent de retrouver Ramires ou Luiz balayer des zones immenses derrière leurs partenaires, jusqu’à ce que ce l’intérimaire Benitez ne sacrifie deux offensifs dans des tâches structurelles au profit de Mata. Un prisme déformant dont il convient de tenir compte, remarquait Mourinho en septembre en pointant du doigt la comparaison impossible entre un « numéro 10 et un joueur qui traque le latéral adverse pendant 90 minutes » au sujet de Mata et Oscar.
Les performances abouties de Juan Mata dans toutes les phases de jeu lors du mois de décembre expliquent pourquoi l’Espagnol a débuté neuf des quatorze dernières rencontres du club en Championnat. Non sans rappeler par ailleurs et pour la première fois la même impression de puissance sur ses appuis dont avait fait preuve Florent Malouda après quelques mois d’adaptation à l’intensité des duels outre-manche.
Son temps de jeu plus réduit que lors des saisons précédentes est tout simplement le corollaire d’une utilisation plus raisonnable par José Mourinho, ce afin d’exploiter au mieux les qualités de l’ancien valencian et ne plus faire reposer l’efficacité toute relative d’une animation offensive en ruine sur les exploits hebdomadaires d’une individualité cache-misère.
CHELSEA, C’EST LE BRÉSIL
Pour autant, l’Espagnol n’apparait plus comme un premier choix lorsque Mourinho souhaite que son équipe mette de l’intensité pour s’opposer à son adversaire, comme cela a été le cas face aux Reds. Pire, il a cédé sa place à Oscar au retour des vestiaires à Southampton. Ce dernier, qui, en compagnie de Willian, fut à l’origine de l’impressionnante dernière demi-heure des Blues. Si Mata constitue toujours un parfait ouvre-boîte face aux équipes organisées en « double decker » à Stamford Bridge, il réalise assez régulièrement et bien malgré lui des tours de magie d’un autre type en disparaissant lors des visites du Brittania Stadium et autres St James’ Park.
L’Ibérique paye le prix de ses limites athlétiques, que ce soit pour s’intercaler efficacement entre l’adversaire et le ballon ou répéter les courses. D’autant plus qu’il fait partie de ces joueurs hyper-décisifs à tout instant, même avec un poids tout relatif dans le jeu ou la construction des attaques. Ces différents paramètres n’avaient pas freiné André Villas Boas ou Rafael Benitez au moment d’en faire l’unique détenteur d’une carte blanche dans leurs mises en place. Deux techniciens aspirés sciemment ou non dans la spirale du résultat immédiat, en attendant l’exploit jusqu’à la dernière minute de chaque match deux fois par semaine³. Un paramètre « fatigue » trop souvent occulté ou caché par la feuille de statistiques de l’Espagnol, bien que cette dernière ne dépeigne que la moitié du tableau.
Jusque là, la position de Mata a été obstruée par la confiance accordée à Oscar dans l’axe ainsi que par la titularisation d’un « shutter » (littéralement : volet) sur le côté droit. Ce volet, dans la lignée d’Angel Di Maria dans le Real de Mourinho, permet un équilibrage par l’asymétrie dans une équipe qui n’est distancée que de deux longueurs par le leader. Il est cependant encore temps d’envisager que Mourinho puisse redistribuer les cartes, à charge d’une confirmation du plan de jeu par les résultats (à travers une meilleure maîtrise des rencontres) ; Mata n’étant jamais plus à l’aise que lorsqu’il parcourt le demi-espace entre latéral et milieu axial avec son pied gauche ouvert sur le jeu.
Sébastien Chapuis