Ligue 1 : les supporteurs parisiens dénoncent un climat d'"inquisition"
Place à la rébellion "pacifique". Une dissidence qui dure depuis le début de la saison, une désobéissance suivie par plus de cinq mille personnes, tous "orphelins" des tribunes du Paris Saint-Germain. Dimanche 13 mars, un millier d'"amoureux" du PSG ont manifesté pour la troisième fois – à l'appel de l'association Liberté Abonnés –, dans les rues de la capitale, pour dénoncer " la chasse aux supporteurs parisiens " depuis la mort de Yann Lorence.
Le 28 février 2010, avant PSG-Marseille, ce supporteur meurt lors d'une violente bataille rangée entre les tribunes Auteuil, "la Métisse", et Boulogne (la sienne), "la Blanche". Depuis cette mort, Robin Leproux, le président du PSG, cherche à pacifier son arène et a décidé de supprimer les treize mille abonnements des deux tribunes en les remplaçant par la vente de billets à 12 euros avec placement aléatoire. " Je veux que les gens se mélangent ", répète-t-il inlassablement. Un message qui passe mal au point que des milliers de supporteurs boycottent le Parc des Princes et les déplacements coordonnés par le club. D'ailleurs, pour l'OM-PSG du dimanche 20 mars (2-1), il n'y avait pas de déplacement prévu, trop risqué.
"ASSIMILÉ À UN NAZI"Une seule revendication : retrouver leur bout de "territoire". "Le PSG, c'est ma drogue", souffle Grégory. Ce comptable de 26 ans, abonné à Auteuil depuis 2000, estime s'être fait " virer " du Parc et accuse son club de l'avoir "assimilé à un voyou, à un nazi, à de la racaille". Il préfère rester anonyme – comme d'autres – par peur des représailles, de la réaction de son employeur s'il tombait sur son témoignage… Aujourd'hui, Grégory ne vibre plus pour son équipe, un "truc" en lui s'est brisé. " C'est comme une femme qu'on a trop aimée", lâche Anthony, 28 ans, dont six passés à Auteuil. Douloureux au point de regarder " vite fait " un match du PSG sur Canal+, d'espérer même que les joueurs… se plantent.
Depuis la mort de Yann Lorence, les pouvoirs publics ont sorti la grosse artillerie afin de mettre un terme à "l'hooliganisme parisien". Interpellations massives près du Parc, interdictions administratives de stade (IAS), plus de deux mille quatre cents depuis sa mise en place, en 2006. Et dans les villes où joue le PSG, les préfets prennent des arrêtés – avec un couvre-feu – interdisant à tout Parisien de circuler près des stades. Sauf pour les rares supporteurs qui se déplacent officiellement avec le PSG. Eux, sont surnommés "les Leproux's Boys".
Des policiers et des agents des renseignements généraux (qu'on appelle aujourd'hui les STIG) repèrent les fans dans les gares, aux péages, dans les aéroports, en France comme à l'étranger, (lors des déplacements en coupe d'Europe) pour les dissuader de se rendre au match. " Nous avons des obligations d'ordre public, explique Michel Bart, directeur de cabinet du ministre de l'intérieur Brice Hortefeux (tous deux viennent de quitter leurs fonctions). Nous avons l'air répressifs, mais nous ne sommes pas là pour laisser les gens s'entre-tuer."
DES ARRÊTÉS "LIBERTICIDES""C'est l'inquisition", s'insurge Yorgos Bonos. Dans son costume impeccable, ce consultant en informatique de 33 ans, ancien abonné de Boulogne pendant sept années, avait tenté d'annuler un arrêté préfectoral du Doubs auprès du tribunal administratif de Besançon. Le 28 août dernier, la veille du match Sochaux-Paris, sa requête avait été rejetée. Il voulait prouver que les arrêtés sont " liberticides ". " Peut-on accepter dans un Etat de droit que des gens finissent au poste parce qu'ils ont la mauvaise plaque d'immatriculation ? " s'interroge-t-il. Yorgos fait référence au match Lens-PSG du 6 mars 2010, où soixante-neuf personnes avaient été gardées au commissariat de la ville pendant quatre heures. La plupart, immatriculés dans la région Ile-de-France, n'étaient pas… supporteurs du Paris Saint-Germain. "On arrête en masse en espérant trouver quelques hooligans dans le lot, s'indigne-t-il. On a réussi à criminaliser tous les supporteurs du PSG."
"Nous sommes obligés de nous cacher pour aller voir un match, de mentir aux CRS, de dire que nous ne sommes pas des Parisiens, se fondre dans les tribunes adverses", raconte Jérôme Cuvillier. A 30 ans, cet ancien abonné d'Auteuil (depuis 1997), directeur d'une grande surface en Savoie, se considère comme un vrai ultra. Rien ne l'arrêtera même s'il faut jouer les espions pour se rendre à un match entre amis comme à Séville, en Espagne, (en septembre dernier) ou à Arles (en janvier). Pour éviter de se faire "choper", il faut voyager séparément, sortir de l'avion ou du train à deux, se balader en ville à deux, entrer au stade à deux. Cacher l'écharpe et les drapeaux aux couleurs du PSG dans le pantalon car " je ne veux pas être arrêté et recevoir une interdiction de stade ", s'emporte-t-il.
D'autres ont même changé de plaque minéralogique pour continuer à suivre incognito leur club dans toute la France : plus question de rouler avec un numéro de département de la région parisienne et de risquer de se faire coincer par la police. Jérôme Cuvillier regrette, comme tant d'autres, l'amalgame entre "les véritables ultras" et "une minorité de fauteurs de troubles". "C'est vrai, il y a un risque d'amalgame, reconnaît Michel Bart, mais ce n'est pas inscrit sur leur front qu'ils ne sont pas violents. C'est une phase transitoire, on ne peut pas relâcher car il peut avoir encore des incidents." D'où l'importance, pour M. Bart, de "redonner du pouvoir administratif aux préfets" en multipliant les interdictions de stade. Ces IAS apparaissent comme une arme fatale pour se débarrasser des indésirables pendant de long mois, sans la moindre contestation possible. Ou presque.
DES INTERDICTIONS DE STADE ARBITRAIRESSelon les informations du Monde, il y a eu cent treize recours en annulation devant l'ensemble des tribunaux administratifs du pays depuis le 16 janvier 2007, date de la première décision. Soixante-douze cas ont été jugés au fond (le reste en référé) : cinquante-six ont été annulés, seize rejetés. Près de 80 % des interdictions administratives de stade sont cassées pour manque de preuve. "Les faits ne sont pas suffisamment caractérisés et individualisés, souligne Brigitte Kadri, avocate spécialisée dans le droit du football, c'est l'arbitraire." Peu importe ! "Le temps du recours, coûteux et qui peut prendre des mois, le supporteur est éloigné du stade, explique François Gilbert, un avocat qui a annulé quelques IAS, c'est ce qui compte." Ce qui expliquerait pourquoi l'Etat n'interjette pas appel quand il perd.
" Les supporteurs sont les boucs émissaires rêvés, ils sont jeunes, ils font peur aux bourgeois, personne ne va les soutenir, ajoute M. Gilbert. Rien ne dit que dans l'avenir ce genre de mesures ne soit pas appliqué à d'autres catégories de personnes. Tout y est : le blocage d'une partie du territoire, les rétentions administratives et ça passe, personne ne dit rien." Même l'ancienne ministre des sports, Marie-George Buffet (PCF), s'alarme de cette dérive sécuritaire et rappelle que " la chasse aux hooligans relève de la justice à cent pour cent".
Malgré ces mises en garde, les législateurs ont choisi de renforcer la sanction administrative. C'est la Loppsi 2, votée récemment à l'Assemblée nationale, qui prévoit de porter les IAS à douze mois, voire vingt-quatre en cas de récidive, et qui a durci les "interdictions de déplacement individuel ou collectif de supporters lors d'une manifestation sportive". Jeudi 10 mars, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs validé ce dernier dispositif si décrié.
UN TAUX DE REMPLISSAGE À 59 %Avec toutes ces mesures, le Parc des Princes est-il pacifié ? Aucun incident enregistré depuis le début de la saison. L'arène renaît doucement, les gens reviennent, même si le taux de remplissage depuis le début de saison atteint 59 %, selon la Ligue professionnelle de football (LFP). Il était de 86 %, il y a deux ans. Le manque à gagner s'approcherait des 7 millions d'euros pour le club. Mais, pour le moment, et si l'équipe arrive à avoir des résultats – 5e du championnat –, les pertes pourraient vite s'envoler. Si elle finit dans les cinq premiers, la LFP reversera au moins 10,2 millions d'euros – au plus 18 millions – en droits télévisés. La saison dernière, le PSG a touché 3,3 millions d'euros pour sa modeste 13e place. Un podium ? C'est jackpot, le PSG se qualifiant ainsi pour le tour préliminaire de la Ligue des champions, empochant au passage pas moins de 10 millions d'euros versé par l'UEFA… Même sans public !
Les sponsors tapent à la porte, le club a repris de la valeur au grand dam des supporteurs. " Le club a voulu faire taire la contestation ", insiste Jérémy Laroche, président de l'association Liberté abonnés. Balayés aussi les supporteurs gênants de l'Euro 2016 organisé par la France. Le propriétaire du PSG, Colony Capital, espère décrocher prochainement la gestion du Parc des Princes et récupérer le bail emphytéotique de la Ville de Paris. Comme Jérémy Laroche, nombreux sont les supporteurs et les élus qui craignent que ce fonds américain spécialisé dans l'immobilier transforme le Parc en " Disneyland " et le spectateur en consommateur en augmentant le prix des billets comme en Angleterre. La mariée parisienne serait plus belle – et plus chère – si Colony décidait de la vendre… " Je serai toujours pour un football populaire ", rassure Robin Leproux.
"Robin Leproux a effacé des fresques à Auteuil qui représentaient ceux qui sont morts pour le club", se désole Xavier, 31 ans, ingénieur et vieil abonné. "Il veut détruire toute trace de l'histoire du football populaire, attaque Loïc, 41 ans, abonné à Boulogne depuis vingt-huit ans. Mais le club a besoin de nous." Au moins pour l'ambiance… "C'est vrai, reconnaît Robin Leproux, je veux faire revenir les supporteurs historiques au Parc, mais pas à n'importe quel prix." C'est pour cette raison que président du PSG discute avec tous les représentants des supporteurs et propose même quelques abonnements à Auteuil et à Boulogne. "Mais il y a encore des tensions entre ces deux tribunes, avoue-t-il. Il y a aussi trop souvent un double discours chez les ultras. Comment les faire revenir alors qu'il y a encore des risques ? Je ne sais pas encore résoudre cette équation."