Peut-on être licencié pour utiliser les réseaux sociaux à titre personnel au travail ?
En 2011, un employeur avait décidé de licencier son salarié estimant qu’il utilisait « massivement » l’outil twitter à des fins extra-professionnelles (1 336 tweets en seize mois). « Vous avez gravement manqué à votre obligation de loyauté à l’égard de votre employeur en communiquant sous le nom de la société dont vous êtes actionnaire, [X], à de multiples reprises pendant vos heures de travail et à partir du matériel appartenant à la société [Y]. » pouvait-on lire dans la lettre de licenciement.
Les juges de la Cour d’Appel de Chambéry ont évalué que l’utilisation de twitter par ce salarié équivalait à quatre messages par jour travaillé, soit moins de 4 minutes quotidiennes en moyenne. « Compte tenu du fait que le salarié n’était soumis à aucun horaire ainsi que le prévoit expressément son contrat de travail, le fait d’avoir le cas échéant, pu consacrer un temps aussi limité à l’envoi de tweets non professionnels, y-compris à des horaires communément retenus comme travaillés ce qui n’est pas démontré, alors que le salarié était au demeurant du fait de ses fonctions, connecté à internet de manière quasi continue, ne peut être retenu comme fautif. »
Ainsi ils ont jugé que l’envoi de quatre tweets par jour, durant les heures de travail, ne constituait pas un usage excessif. Le salarié ne peut donc pas être licencié de ce fait (CA Chambéry, 25 février 2016, n° 2015/01264). Précision intéressante : le salarié en question était directeur web, ce qui implique naturellement une présence continue sur le web et les réseaux sociaux.
« De façon générale, les juges apprécient au cas par cas l’usage fait à des fins personnelles des réseaux sociaux depuis le lieu de travail, rappelle Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit du travail. Les juges recherchent à évaluer si cet usage est particulièrement abusif ou excessif en tenant compte de son emploi, du contexte professionnel, du temps passé sur les sites et de la fréquence des connexions. Si le caractère abusif est prouvé, le licenciement peut être justifié, sachant qu’avant d’en arriver là, il y a bien d’autres sanctions possibles (blâmes, avertissements...) » .
Constitutif d’une faute grave
Ainsi, dans un arrêt rendu le 30 septembre 2011, la Cour d’Appel de Douai constatant qu’une salariée s’était « connectée pendant son temps de travail à de très nombreuses reprises à de nombreux sites extraprofessionnels tels que des sites de voyage ou de tourisme, de comparaison de prix, de marques de prêt-à-porter, de sorties et événements régionaux ainsi qu’à des réseaux sociaux et à un site de magasine féminin et que ces connexions s’établissaient, exclusion faite de celles susceptibles de présenter un caractère professionnel, à plus de 10 000 sur la période du 15 au 28 décembre 2008 et du 8 janvier au 11 janvier 2009 a pu décider, malgré l’absence de définition précise du poste de la salariée, qu’une telle utilisation d’internet par celle-ci pendant son temps de travail présentait un caractère particulièrement abusif et constitutif d’une faute grave » .
Plus récemment, les juges ont considéré comme abusives des connexions internet à des fins personnelles représentant 20% du temps de travail du salarié (Cour d’Appel de Rennes, 20 novembre 2013, n° 12-035.67). En revanche, dans un arrêt du 15 janvier 2013 (n° 11-020.62), la Cour d’appel de Bordeaux a jugé que ne constituait pas un usage abusif, une heure de connexion Internet à des fins personnelles par semaine.
En conclusion, l’utilisation des réseaux sociaux, lorsqu’elle est tolérée par l’employeur, doit être effectuée de façon raisonnable en termes de fréquence de connexions et de temps passé. « Je conseille aux entreprises de mettre en place une charte d’utilisation et de bonne conduite qui permet de responsabiliser tous les acteurs et de se prémunir des abus » indique l’avocat.
Respecter l’obligation de loyauté
Autre sujet délicat : peut-on tout dire sur ces réseaux sociaux personnels ? A-t-on le droit de critiquer son manager direct ou de dénigrer ses collègues ? Peut-on remettre en cause ouvertement la stratégie de son entreprise ou divulguer des informations sensibles ? « Selon la jurisprudence, il appartient aux salariés de faire extrêmement attention aux paramètres de confidentialité de leur compte Facebook. Si celui-ci n’est pas assez privé, ses propos risquent d’être accessibles à d’autres collègues ou à son employeur et dans ce cas, cela peut constituer une faute réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute lourde » rappelle Thierry Vallat.
En droit français, le salarié doit respecter une obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur, y compris en dehors de sa vie professionnelle. Ce principe limite donc sa liberté d’expression.
Ne pas régler ses comptes en public
« On assiste à une recrudescence des litiges liés aux réseaux sociaux, mais cela n’est pas spécifique à la France » précise Thierry Vallat. Le directeur de la stratégie de Paypal, Rakesh Agrawal, a ainsi été licencié le 3 mai 2014 pour avoir insulté la vice-présidente du groupe en charge de la communication sur Twitter. La réponse a été immédiate : dans un tweet, la société a confirmé son licenciement. « (Il) ne fait plus partie de l’entreprise. Il faut traiter tout un chacun avec respect. Il n’y a pas d’excuse. Paypal a une politique de tolérance zéro sur ce sujet ». Il est arrivé la même mésaventure à Julien Courbet en 2013 après une série de tweets jugés dénigrants par la direction de France 2.
Ainsi, mieux vaut respecter ce conseil de bon sens et de prudence : la Toile n’est pas faite pour régler ses comptes en public. Sinon, attention au risque d’effet boomerang.
« Toutefois, en France, les juges font plutôt preuve de mansuétude et il est arrivé que les magistrats accordent des circonstances atténuantes à des salariés ayant exprimé publiquement leur désaccord avec leur manager ou la politique de leur entreprise ».
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http://www.lemonde.fr/emploi/article/2016/...csZsBUi1HFrX.99