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L'attaquant nantais, fraîchement transféré à Cardiff, a disparu dans la Manche en même temps que l'avion qui l'emmenait au Pays de Galles et deux autres occupants.
Emiliano Sala, merveille argentine d'un foot mondialisé
A 28 ans,Emiliano Sala était à la veille de faire fortune, on veut dire vraiment : de 40 000 euros mensuels bruts au FC Nantes, l’attaquant argentin venait de parapher un contrat avec le FC Cardiff lui promettant environ 300 000 bruts ; un prix plus en rapport avec le rendement d’un joueur qui fut début décembre le meilleur buteur de Ligue 1 (il a clôturé sa demi-saison nantaise à 12 buts), à égalité avec un Kylian Mbappé qui, lui, joue avec les meilleurs joueurs du monde. Lundi, dans la soirée, le petit appareil de tourisme monomoteur Piper PA-46 Malibu affrété par le club gallois, qui ralliait Cardiff depuis Nantes avec le joueur à son bord, en plus d’un autre passager et du pilote, a disparu à une vingtaine de kilomètres au nord de l’île de Guernesey.
Mardi, en milieu d’après-midi, les recherches maritimes et aériennes, difficiles en raison d’une mer agitée et d’une mauvaise visibilité, n’avaient rien donné. Drôle de destin que celui d’Emiliano Sala : une vie de joueur pour s’extirper de la masse, depuis un prêt en National (3e échelon) à Orléans où les témoins, sidérés, voyaient ce type un peu gauche disputer chaque match comme s’il s’agissait d’une finale de Cup à Wembley, jusqu’à son transfert depuis Bordeaux vers Nantes en 2015 pour la modique somme de 1 million d’euros. Et cette disparition, lundi, au moment précis où il accède au rang de star.
On l’avait croisé un soir de match nul (1-1) à Ajaccio en décembre 2015, alors que des supporteurs corses traitaient l’un de ses coéquipiers d’«Albanais de merde» en brandissant un drapeau serbe : Sala n’avait pas eu un regard pour les tribunes, ni pour l’Albanais en question, qui bouclait son décrassage. Même sentiment lointain quand un reporter de l’Equipe lui a fait remarquer, en octobre, qu’il avait un meilleur ratio «nombre de buts divisé par nombre de minutes jouées» depuis le début de saison que… Lionel Messi : les Anglais ont un mot pour cela, focused, exprimant une personnalité entièrement concentrée sur la mission qu’elle s’est assignée. «A 15 ans, je suis parti de mon petit village [Cululù las Colonias, dans le nord-est de l’Argentine, ndlr] pour une école de foot affiliée au Girondins de Bordeaux, Proyecto Crecer, a t-il expliqué. J’avais beaucoup de détermination. Et je n’aimais pas les études.»
Sens du combat
Sala fut donc l’une des merveilles de la mondialisation du ballon : la sous-traitance (autant dire les choses) de la formation des pays riches, où la double construction du joueur et de l’étudiant revient cher, à des contrées moins soucieuses des perspectives du gamin en cas d’échec dans le foot. Un petit côté marche ou crève.
Rapatrié au centre de formation de Bordeaux à 20 ans, Sala n’a pas fini d’en baver. Dans Ouest France : «Quand je suis arrivé en France, j’ai commencé à prendre des cours. Mais je crois que la plus grosse difficulté que j’ai vécue, c’est à Orléans [où il est prêté pour la saison 2012-2013, 18 buts en 37 matchs de National]. Ça m’a beaucoup marqué dans ma carrière par rapport aux circonstances : je ne parlais pas encore bien la langue [difficultés qui le poursuivront longtemps], je n’avais pas de mobilité donc je dépendais des autres pour aller à l’entraînement, pour faire les courses… Ça a été dur mais ça m’a donné de la force pour continuer à suivre mon objectif de jouer en Ligue 1. Je suis fier de ce que je suis maintenant.»
Le joueur s’exprime ainsi en 2015. A ce moment-là, sa volonté et son sens du combat ne font pas (encore) des ravages : en bonne demi-saison à Caen (5 buts, 13 matchs) où Bordeaux l’a encore envoyé en prêt, et une modeste saison en cours à Nantes (il inscrira 6 buts en 31 matchs), mais bon, il est «fier», puisqu’il est enfin installé dans le paysage de la Ligue 1 et que ça fait une sacré trotte depuis ses débuts en Argentine.
Poker menteur
Jusqu’à son explosion cet automne, le joueur, quasi-invisible (ou plutôt «respectueux et discret», selon un ex-coéquipier) dans les vestiaires de ses équipes, n’aura cessé de s’expliquer ainsi : «la rage», le «caractère» jusque dans les footings, en espérant que cette férocité en toute chose développe ce sixième sens qui permet au buteur d’avoir cette fraction de seconde d’avance qui fait la réussite.
Coïncidence étrange : ses deux meilleures demi-saisons (Caen en 2015, Nantes en 2018) l’auront été sous la conduite d’entraîneurs (Patrice Garande et Vahid Halilodzic) ayant évolué, comme lui, au poste d’attaquant quand ils étaient joueurs. Peut-être alors s’est-il senti mieux compris, moins isolé. Le départ de Sala à Cardiff aura été un sketch à épisodes : trois mercato d’affilée que l’Argentin voit la fortune à portée de main pour peu qu’il quitte les bords de la Loire, un vaste jeu de poker menteur – la règle du genre, visant à vendre le joueur le plus cher possible – qui s’installe entre lui, les dirigeants de Nantes et un Halilodzic rétif à voir filer un type qui lui met quand même la moitié de ses buts.
Fait rare : alors que la plupart des joueurs traînent les pieds à l’entraînement pour forcer leur départ, lui aura utilisé cette vexation d’être retenu contre son gré pour renforcer sa détermination et son rendement sur le terrain. Il y gagna enfin un bon de sortie pour Cardiff, facturé 17 millions d’euros, dont 50% revenant aux Girondins de Bordeaux qui, tout en ne croyant pas au joueur, avaient gardé quelques billes dans l’affaire en le transférant vers Nantes, des fois que… Emiliano Sala, c’est aussi une histoire de mondialisation. Mardi, tout portait à croire qu’elle s’est achevée tragiquement.
Grégory Schneider
Il fout le malaise son article, certains apprécieront l'effort, moi je suis vraiment pas sur que ça célèbre plus sala que ça dénonce le foot business et ses travers.