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L’île est son Parc
Avec Bastia, où il a signé en 2011, Jérôme Rothen retrouve le plus haut niveau. Mais il a dû cravacher pour digérer ses dernières années parisiennes.
IL NE VOIT PAS POURQUOI il aurait changé. On lui suggère des pistes : peut-être qu’il agaçait, qu’il a roulé en Ferrari rouge écarlate lors de son passage au PSG, qu’il parlait trop fort, qu’il aimait capter la lumière. Et alors ? « La Ferrari, c’était un rêve de gosse, répond Jérôme Rothen, mitraille verbale intacte. Ça fait de moi un mauvais garçon ? Non. Je parle, c’est vrai, mais je dis les choses. Je vis dans un milieu où il est bon de passer de la pommade à tout le monde, même quand tu ne le penses pas. Ce n’est pas mon genre. Moi, on m’aime ou on me déteste, c’est comme ça. » Confirmation : le milieu à tête blonde a beau avoir traversé tempêtes médiatiques et déserts sportifs, à trente-quatre ans il reste le même. « C’est toujours un compétiteur », assure Hervé Sekli, l’entraîneur des gardiens à Bastia, ex-coéquipier à Troyes. Il ajoute, en riant : « Du coup, il est toujours un peu sensible à la critique. » « Toujours un énorme chambreur et un grand imitateur », se marre le Parisien Sylvain Armand. « Toujours un mec aussi drôle », poursuit Mevlut Erding, qui l’a recroisé avec plaisir, lors d’un match à Rennes, fin août, après avoir fait sa connaissance à l’été 2010 au Camp des Loges.
Alors, Rothen, à prendre ou à laisser ? Le besoin de reconnaissance est patent, le désir de validation évident et la conquête de son image un souci en moins. Cela posé, on fait comment ? Il y eut d’abord le gaucher de Monaco, que Chelsea et le FC Barcelone courtisaient en 2004 mais qui a préféré Paris parce qu’il fonctionne à l’affectif et a toujours rêvé de porter ce maillot. Il y eut ensuite le joueur de L 1 le plus détesté par les adversaires, ceux qui ne le connaissaient pas. « C’est ce que m’a dit “Cahu” (Yannick Cahuzac) peu de temps après avoir signé à Bastia : “Mais, en fait, t’es pas comme je l’imaginais.” Ça m’a fait marrer. » Il y a toujours ce malade de foot, qui ne peut s’empêcher de regarder les matches du PSG à la télé et n’a pas bien dormi dans la nuit de mardi à mercredi après la victoire parisienne en Ligue des champions : « S’ils jouent contre nous comme contre Kiev (4-1), ça va être très, très compliqué. »
En fait, c’est sa relation avec le PSG qui est très, très compliquée. Le teint hâlé, le look bobo, il repasse souvent devant le Parc au volant de sa Smart, parce que son appartement n’est pas loin et qu’il apprécie de voir Paris quand il en a la possibilité. Il recroise certaines têtes du club – ou de son entourage – qui lui redonnent du « Djé » ou du « mon Jérôme » et s’étonnent de ne plus avoir de nouvelles.
« C’est marrant, parce que quand j’étais au fond du trou, ces mêmes gens fuyaient pour ne pas être vus avec moi. » La période n’est pas si lointaine. À l’automne 2008, Rothen sort sa biographie (1), titille Zidane et encaisse rafale sur rafale : « Là, je me suis demandé si ça allait s’arrêter un jour. Je me doutais que le livre ferait parler. Je ne voulais rien cacher, c’était mon histoire. Après, était-ce la période pour le sortir ? En France, c’était une première pour un joueur en activité. J’ai vu l’ampleur des dégâts à l’arrivée et je ne l’avais pas prévu, c’est clair. Mais c’est aussi parce que je me sentais fort. J’avais une grosse cote auprès du public et, dans le vestiaire, je comptais… Là, je me prenais tellement la tête que mes performances étaient catastrophiques. Alors, quand tu ne peux plus faire taire les gens parce que tu n’es pas bon… »
Après les heures de gloire monégasque ponctuées par une finale de C 1 perdue face au FC Porto le 26 mai 2004 (0-3), le titre de meilleur passeur de L 1 (2), les convocations en équipe de France ou le transfert retentissant à Paris, Rothen découvre la plongée dans les abîmes et éprouve le sentiment que son club ne lui jette pas de bouée. « Quand les premières fusées t’arrivent en pleine tête, t’espères être soutenu par les dirigeants, reprend-il. C’était ma cinquième année au PSG : en face on me faisait des sourires, par-derrière on me lançait des fléchettes. Certaines venaient de Charles Villeneuve, le bon président qui a passé six mois à Paris (du 27 mai 2008 au 15 janvier 2009). Lui, au début, il m’assurait de son soutien, m’expliquait qu’il avait aussi sorti un livre, que je pouvais compter sur lui. Ah, ça, les phrases étaient belles ! Les actes, je ne les ai pas vus. Au contraire, j’ai senti les fléchettes. Encore aujourd’hui, il se permet de parler de moi, de mon niveau, alors qu’il ne connaît rien au foot. Il doit être amoureux… »
Les déboires débordent du terrain, la coupe n’est jamais pleine. Parfois, Rothen la remplit seul, à l’image de cet excès de vitesse sur l’autoroute A 13 au début de l’année 2008. Six mois de suspension de permis. Parfois, le sort s’acharne. Les six mois s’écoulent, son permis tarde à lui être rendu et l’avocat du Parisien lui signe un papier certifiant qu’il est légalement autorisé à conduire dans l’attente du nouveau document. « Un dimanche soir, je reprends la voiture, pour la première fois, pour acheter à dîner à mes enfants, raconte-t-il. À un feu rouge, une voiture de police se place à côté puis devant moi. Les policiers m’arrêtent, observent le papier de l’avocat et me disent qu’il n’est pas valable. À l’arrivée, ils me conduisent au poste, me gardent toute la nuit jusqu’à ce qu’on leur dise que je ne suis pas en tort. Le lendemain, évidemment, je ne suis pas en état d’aller à l’entraînement. » Ce jour-là, il s’aperçoit aussi qu’il compte quelques soutiens : « Paul (Le Guen, l’entraîneur) et Yves (Colleu, son adjoint) ont été super. Ce matin-là, ils m’ont protégé. Surtout, même si mes performances n’étaient pas bonnes, Paul ne m’a jamais retiré sa confiance. Il m’a évité de plonger. »
Mais sa fin de saison 2008-2009 ne tourne pas rond (3) et les supporters, qui l’adulaient l’été précédent, lui tournent le dos au printemps. Vexé, il « artille » avec allégresse en interview et récolte dix jours de mise à pied ramenés à cinq. Entre-temps, Le Guen a laissé la place à Antoine Kombouaré sur le banc parisien. Rothen est invité au départ. Ce sera les Glasgow Rangers, pour quatre mois, puis Ankaragücü, pour cinq. Les Écossais, étranglés financièrement, se séparent de lui en janvier alors que les Turcs l’auraient bien conservé mais… avaient quelques retards de paiement. « Je garde un bon souvenir de ces deux clubs, dit Rothen aujourd’hui. À Ankara, je me suis refait la santé et c’est grâce à Roger Lemerre, alors l’entraîneur. C’est marrant, parce que le jour de mon arrivée là-bas, j’ai croisé Roger dans le bureau du directeur sportif du club. Il était surpris : “Bah, Jérôme, qu’est-ce que tu fais là ? – Tu n’es pas au courant ? – Non. J’avais donné une liste de noms sur laquelle tu étais, mais je ne savais pas que t’étais d’accord.” À l’arrivée, on aura sauvé l’équipe de la relégation mais, bon, je n’étais plus payé depuis deux mois. La galère continue… »
Le PSG, où il lui reste un an de contrat, ne veut pas le réintégrer dans le groupe pro à l’été 2010. Rothen goûte au loft où il s’entretient physiquement, mais espère un come-back. Kombouaré éteint ses illusions. Après deux mois de conflit, le gaucher trouve un accord à l’amiable pour résilier. « J’aime trop le football pour me contenter de prendre mon salaire sans jouer », lance-t-il. Pendant deux mois, il loue les services d’un préparateur physique, afin d’être disponible en janvier, à l’ouverture du mercato. Mais aucun contact n’aboutit, comme si son image l’avait précédé. « On m’a collé l’étiquette de fous-la-merde mais je n’ai jamais foutu la merde dans un groupe », se défend-il. Sylvain Armand confirme : « J’ai kiffé jouer à ses côtés pendant cinq ans, j’ai trop rigolé. Aujourd’hui, je parle encore de lui dans le vestiaire. » Hervé Sekli renchérit : « Que ce soit à Troyes à l’époque ou avec Bastia aujourd’hui, Jérôme discute avec tout le monde, du jardinier à la secrétaire. Il s’investit à fond et les jeunes, chez nous, lui demandent beaucoup de conseils. »
Mais, pendant six mois, il reste à l’écart du foot, se retranche vers le tennis et défie régulièrement son ami Richard Gasquet, ou encore Paul-Henri Mathieu, Nicolas Mahut ou Martina Hingis. « J’ai eu la chance d’être dans une structure avec pas mal de joueurs pros… Je déjeunais avec eux, j’avais l’impression d’appartenir à un collectif, ce qui me manquait le plus. » Le charme opère, Rothen s’éclate même s’il prend quelques passing-shots qui le ramènent à sa condition d’amateur… « Il a un bon petit coup droit, joue 15/2 ou 15/3 et je sentais qu’il essayait de me faire des points, mais je n’avais pas trop envie de lui laisser ce plaisir, rigole Richard Gasquet. Bon, mon père lui a collé un 6-0, c’est bien de le lui rappeler. Il s’entretenait avec nous, s’est bien intégré au groupe de tennismen, mais on sentait qu’il avait faim de rejouer au foot, qu’il était à l’affût d’un club. » En mars, Hervé Sekli lui propose de rejoindre Bastia si le club accède à la L 2. Rothen accepte et pose son sac en Corse. Parce que l’île lui ressemble ? « Sans doute un peu », concède Sekli. « J’ai l’impression que ça fait six ans que j’y suis », confirme l’ex-Parisien. « Dès les premiers entraînements, il était en tête dans les footings, à l’écoute de tout, reprend l’entraîneur des gardiens du club corse. “Fred” Hantz (l’entraîneur bastiais) ne savait pas comment Jérôme allait se fondre dans le groupe et il a eu la réponse très vite. » Élu meilleur joueur de L 2 par ses pairs la saison dernière, Rothen se sent « au top dans ce club » où les « supporters l’ont adopté », selon Sekli.
Il se retourne brièvement sur sa carrière et évacue d’emblée le moindre regret. Le livre ? « Il fallait que j’assume, j’ai mis du temps à l’assumer mais, aujourd’hui, je ne regrette rien. » Son côté chambreur excessif ? « Je comprends que des fois ça passe mal. Mais je ne peux pas changer, ce ne serait pas moi. Si je ne dis pas ce que je pense, je dors mal. Après, avec l’âge, j’essaie de dire les choses différemment, peut-être moins crûment… » Il conclut : « Avec le recul, réaliser la carrière que j’ai réalisée, jamais je ne l’aurais rêvé. À Clairefontaine (à l’Institut national du football, le centre de préformation), je ne sortais pas du lot, j’étais plus petit que les autres et, déjà, juste devenir pro était exceptionnel. Après, j’ai tout fait par étapes, je me suis mis des challenges que j’ai toujours relevés. Je suis même devenu international français (13 sélections). Alors des regrets, non, j’en ai aucun. Qu’on parle de toi, en mal ou en bien, l’essentiel, c’est qu’on parle de toi. »
DAMIEN DEGORRE
(1) Vous n’allez pas me croire, éditions Prolongations.
(2) Avec 18 passes décisives en 2002-2003, il détient le record de passes sur une saison, en L 1.
(3) 6 passes décisives en L 1, en 2008-2009.