Nicolas Alnoudji existe encore, il joue en Roumanie Article publié le 21/10/2008 Dernière mise à jour le 21/10/2008 à 16:58 TUNicolas Alnoudji sur le seuil de son hôtel à Targu Jiu, dans le centre de la Roumanie.
(Photo : JFP/RFI)Le milieu de terrain aux 35 sélections chez les Lions Indomptables avait mystérieusement disparu de la circulation en début d’année. Nous l’avons retrouvé dans le centre de la Roumanie, où il s’est engagé cet été avec Pandurii de Targu Jiu, une équipe de première division qui rêve de se construire un palmarès. Et compte pour cela sur son champion olympique camerounais. De l’envoyé spécial de RFI en Roumanie, Jean-François Pérès L’histoire commence au mois de juillet. A quelques encablures des Jeux de Pékin, nous nous mettons sur les traces des champions olympiques camerounais de Sydney 2000. Parmi les (rares) joueurs aux abonnés absents, Nicolas Alnoudji, pourtant recensé à Créteil, en Ligue 2 française, quelques mois plus tôt.
Au club cristolien, on affirme n’avoir aucune nouvelle de lui. Nos recherches donnent des résultats cacophoniques. Le milieu de terrain serait en Irlande, ou bien en Chine, pour négocier un nouveau contrat ; il aurait mis un terme à sa carrière pour raisons personnelles ; il ne saurait tarder à revenir en région parisienne, où il est attendu pour le début de la saison.
On en reste là, sans succès, avant que son ex-coéquipier sous le maillot des Lions Indomptables, Patrick Mboma, ne nous souffle que le garçon a pris la direction de la Roumanie. Vérification faite, Nicolas Alnoudji a bel et bien signé dans un modeste club de première division locale, Pandurii (du nom de vaillants combattants régionaux du XIXe siècle). A quelques heures de la clôture du marché des transferts en Europe. Nous sommes fin août.
Une demi-journée pour moins de 300 kilomètres Un mois et demi plus tard, le 16 octobre. L’été indien joue les prolongations dans les Balkans. A vol d’oiseau, Targu Jiu est à moins de 300 kilomètres de Bucarest. Il nous faudra pourtant près d’une demi-journée pour parvenir sur place.
Une heure et demie pour s’extirper de l’enfer automobile absolu que constitue la capitale roumaine. Puis une heure d’autoroute plein ouest, une centaine de kilomètres qui furent longtemps les seuls du genre dans le pays : l’ex-dictateur Ceausescu voulait rallier le plus rapidement possible sa région natale. Encore deux heures d’une nationale sinueuse, aux courbes dangereuses, où transitent tous les camions de la région vers l’Europe de l’Ouest. Trente kilomètres heure de moyenne. Enfin une grosse heure de départementale à travers collines et villages, paysages charmants, chevaux qui gambadent en liberté, vaches qui paissent sans angoisse.
Avant tout connue pour son enfant du pays, le sculpteur Constantin Brancusi, né dans un village à quelques kilomètres de là, Targu Jiu, un peu moins de 100 000 habitants, a des allures de préfecture rurale endormie. Comme la quasi-totalité des cités de province « rénovées » par le « Génie des Carpates », elle présente un ensemble hétéroclite de vieilles maisons et de blocs de béton sans âme. Le centre névralgique en est une place surdimensionnée où la plupart des institutions administratives et culturelles sont regroupées.
Avec l'anorak de sa nouvelle équipe, Pandurii. (Photo : JFP/RFI) Le très communiste hôtel Gorj, du nom du département, est à deux pas. C’est là que nous attend Nicolas Alnoudji, décontracté et souriant comme s’il accueillait un étranger en sa demeure. L’international camerounais aux 35 sélections habite au deuxième étage une chambre sobre mais proprette. Il ne parle que quelques mots de roumain, mais tout le monde ou presque le reconnait déjà dans la rue, sans toutefois oser l’aborder.
Durant les deux heures que nous passerons en sa compagnie sur une terrasse puis dans les rues de la ville, pas une personne ne viendra l’importuner. « C’est comme à Garoua, ici », se marre-t-il, évoquant sa ville natale du nord du Cameroun. « Les gens savent tout de ton emploi du temps, même s’ils ne te connaissent pas. En plus, des Noirs ici, il n’y en a pas beaucoup… » Il est sans doute le seul dans le coin. Il est en tout cas l’unique Africain du club depuis le départ du gardien international ghanéen Ibrahim Dossey, gravement blessé dans un accident de la route.
Les raisons d’une disparition Comment un ancien joueur de Sedan, de Bastia, qui a en outre évolué en Turquie, en Arabie Saoudite, au Portugal et en Belgique a-t-il pu atterrir en pleine campagne roumaine ? Et que s’est-il passé durant ces huit mois où il avait quasiment disparu de la surface du globe ?
« Ma mère est tombée gravement malade, explique-t-il, et je suis rentré au pays pour m’occuper d’elle. C’a été long et compliqué, mais elle commence à aller mieux. Pendant tout ce temps, je n’avais pas la tête au football, alors j’ai préféré tout couper. Puis j’ai eu des contacts cet été pour venir ici, avec Adrian Ilie notamment (ancien attaquant international du FC Valence, aujourd’hui agent de joueurs). On était presque fin août, il fallait se décider rapidement. Le club me proposait un bon contrat, avec des objectifs ambitieux : la Coupe de l’UEFA. Je n’ai pas trop hésité. Le championnat roumain est en plein développement, il y a de l’argent, les performances de Steaua et Cluj en Ligue des champions font beaucoup parler en Europe… Ce n’est pas le bout du monde, quand même. »
Nicolas Alnoudji l’avoue sans peine, il ne connaissait rien de la Roumanie avant de signer son contrat de deux ans. Tout juste se remémorait-il une rencontre de Coupe du monde contre le Cameroun en 1990. L’image plutôt négative du pays, il ne s’en est pas formalisé. « Je voulais découvrir, pas seulement écouter ce que les gens disent, voir de mes propres yeux. Eh bien, même si c’est dur, c’est magnifique ! En plus les gens sont très sympas, bien loin des clichés. Aucun problème de racisme pour l’instant, au contraire. »
Son ambition ? Revenir chez les Lions IndomptablesSolitude (sa famille n’est pas venue sur place), langue, stade désuet, installations à peine acceptables pour un joueur de son niveau, les obstacles ne manquent pourtant pas. « Ce qui permet de tenir, c’est les contacts fréquents avec les proches, assure-t-il. Je passe beaucoup de temps sur Internet au web-café en face de l’hôtel. La famille, les amis… il y a beaucoup de monde qui compte sur toi. C’est pour eux que tu dois te battre, gagner ta place sur le terrain. Et puis il y a l’argent. Bien sûr que c’est une motivation ! Ici, je gagne plus qu’à Créteil, et en plus c’est net d’impôts. »
Mercenaire, Nicolas Alnoudji ? Il s’en défend, même s’il sait d’ores et déjà qu’il n’est que de passage en Europe centrale : « Je veux faire partie de ceux qui ont aidé le football roumain à grandir. Je veux aussi laisser quelque chose à Targu Jiu avant de quitter ce club, afin de le remercier de m’avoir relancé. » Dans un coin de sa tête, un possible retour en équipe nationale. A 28 ans, il ne s’estime pas fini et veut redevenir un cadre chez les Lions. « Je veux montrer que j’existe, que j’ai mûri, faire profiter les jeunes de mon expérience. C’est l’un de mes vœux les plus chers, et je sais qu’ici je peux regagner ma place. On le voit bien, il n’y a plus en sélection l’atmosphère de la période 2000-2002, où nous dégagions une force incroyable. J’ai beaucoup de choses à donner et à transmettre. »
On lui parle de Nana Falemi, défenseur roumano-camerounais de Steaua (aujourd’hui à Medias, en première division roumaine) qui avait porté le maillot des Lions indomptables il y a quelques années. « On s’était côtoyé une fois en sélection, il m’avait parlé de la Roumanie en bien, mais jamais je n’aurais cru y jouer un jour… », s’amuse-t-il.
« C’est ici et maintenant que ma carrière commence »L’ancien joueur de Coton Sport, qui reste très attaché à son club formateur, n’a pas encore été titularisé sous son nouveau maillot. Tracassé par des soucis au mollet, il est attendu sur les terrains fin octobre. Le début d’un long bail ? « J’ai signé pour deux ans, mais je peux rester un an ou peut-être six mois. Je vis les choses au quotidien. L’important, c’est de prendre du plaisir à l’entrainement et de bien faire son métier. Pour le reste, on s’adapte ! »
On lui fait découvrir le parc de la ville, qu’il n’avait pas encore visité malgré la proximité de l’hôtel et du stade. Il s’arrête devant les œuvres de Brancusi, la Porte du Baiser (sous laquelle de jeunes mariés prennent la pose), la Table du Silence... Il se promet d’y revenir pour faire ses footings. A la fois relax et complètement décalé. « J’ai 28 ans, et beaucoup de problèmes derrière moi, des blessures, des soucis de famille. C’est ici et maintenant que ma carrière commence véritablement. »
Après avoir enfanté l’un des plus célèbres sculpteurs du monde, Targu Jiu va peut-être permettre à un champion olympique de football de reprendre son envol. La troisième œuvre majeure de Brancusi en ville s’appelle La Colonne de l’Infini. Si ça peut lui donner des idées…