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Comment sortir du rouge ?
Au moment où les pertes du football européen se creusent dangereusement («une bombe» selon l'UEFA), L'Equipe.fr croise les analyses et les propositions d'un dirigeant et d'un expert français. Supprimer les transferts payants ? Instaurer un "salary cap" ? Leurs réponses.
Le bilan publié par l'UEFA le 25 janvier donne le vertige : de 1,2 milliard d'euros en 2009, les pertes des 734 clubs européens de D1 ont augmenté de 33 % en 2010 pour atteindre 1,6 milliard, nouveau record. Comment sortir de cette spirale ? Le "fair-play financier"(*) de Michel Platini y suffira-t-il ? Ou faut-il aller plus loin : plafonner les salaires, réformer les transferts, s'inspirer des sports américains ? Les réponses de Philippe Diallo, directeur général de l'Union des clubs professionnels français (UCPF, "patronat" des clubs) et d'Olivier Ferrand, président de la fondation Terra Nova, think tank «proche de la gauche sociale-démocrate».
«Comment en est-on arrivé là ?
- Philippe Diallo. La première explication porte sur la dégradation générale de l'économie des Etats européens qui n'épargne pas les clubs de football. Une deuxième explication de fond remonte à l'arrêt Bosman (1995). La reconnaissance (légitime) de la libre circulation des joueurs en Europe sans harmonisation sociale et fiscale ni mesures d'accompagnement leur a brutalement ouvert les frontières. La concurrence entre clubs a logiquement multiplié les transferts et fait exploser la masse salariale.
- Olivier Ferrand. L'inflation des salaires pose en effet un grave problème structurel : les clubs n'arrivent plus à couvrir leurs dépenses, même quand leurs revenus augmentent (+6% en 2010). D'où un recours à trois expédients : le surendettement, qui est favorisé par la transformation des contrats de joueurs en actifs financiers, inscrits au bilan des clubs ; les plus-values financières sur les transferts, qui conduisent à la création d'une bulle spéculative de type "subprimes" ; et l'arrivée de mécènes sans exigence de rentabilité qui faussent l'équilibre économique du foot.
La situation française est-elle plus enviable que la moyenne européenne ?
- P.D. Oui. Pendant que les pertes en Europe ont dérapé, le football français a réduit son déficit de plus de la moitié, de -130 millions d'euros à -60 millions environ. Nos clubs sont dans une situation délicate mais font de longue date des efforts de rigueur, sous la surveillance de la DNCG (Direction nationale de contrôle de gestion). Les salaires ont d'ailleurs déjà commencé à baisser. La France du foot est aussi beaucoup moins endettée que ses voisines : 100 millions contre plus de 10 milliards au total en Angleterre, en Espagne et en Italie !
- O.F. La France a la chance d'avoir pris les devants - ce qui lui a coûté cher en résultats dans les Coupes d'Europe ! La DNCG n'a pas empêché l'endettement des clubs mais leur surendettement. Leur problème est plutôt de ne pas être chez eux dans leurs stades. Terra Nova propose que les municipalités propriétaires apportent ces actifs aux clubs, sous forme d'entrée à leur capital. Une façon aussi de conserver le lien entre le football professionnel et son identité locale.
Le modèle économique du Paris-SG change-t-il la donne en France ?
- P.D. Il est trop tôt pour le dire. Le PSG est en phase d'investissements, d'où le déséquilibre financier actuel, normal pour toute entreprise à ce stade de son développement. Son objectif à moyen terme est, grâce à ses performances sportives, de générer des recettes permettant d'équilibrer son budget voire de générer des profits.
- O.F. La stratégie du Qatar - respectable - est de booster son image à travers ses investissements dans le sport. Mais QSI n'a pas de réel objectif de rentabilité au PSG. La masse salariale du club a déjà augmenté de 40% ! Le transfert de Pastore est surévalué (42 millions) et nourrit la bulle.
Le "fair-play financier" est-il suffisant ?
- P.D. Il faut saluer l'UEFA pour cette initiative à laquelle la France n'est pas étrangère puisque la DNCG lui a servi de modèle. Mais imposer les mêmes règles à 53 associations est très complexe. L'appui de l'Europe sera nécessaire notamment pour appliquer les sanctions prévues à partir de 2013. Que se passerait-il si la justice civile, saisie par les clubs épinglés, déjugeait les décisions de l'UEFA ?
- O.F. Heureusement que Platini est là pour porter une volonté de régulation. Si le football arrive à dégonfler sa bulle en douceur, il lui devra une fière chandelle. Mais il faudra aller plus loin.
Plafonner les salaires des joueurs ?
- P.D. Le "salary cap" est séduisant mais pas une baguette magique. Déjà, le plafonnement des salaires n'aurait de sens qu'au niveau international. Et comment l'appliquer : à chaque salaire ou à la masse salariale en tenant compte des disparités fiscales et sociales en Europe ? Cette formule est en outre inspirée des sports américains qui sont des ligues fermées, sans accession/relégation. Veut-on appliquer ce système en Europe ? J'observe d'ailleurs que l'application de ce type de dispositions aux Etats-Unis n'a pas empêché un lock-out cet été dans la NBA.
- O.F. Le coeur du problème est le salaire, il faut donc s'y attaquer. Le plafonnement est une bonne solution. On peut combiner encadrement de la masse salariale globale (par exemple autour de 60% du budget des clubs contre parfois jusqu'à 90% aujourd'hui), et une individualisation, comme dans le football américain. Une application à l'échelle de l'Europe, qui est au coeur de l'économie du football, pourrait suffire, avant généralisation dans un deuxième temps.
Supprimer le prix des transferts ?
- P.D. L'argent des transferts participe à l'équilibre du budget des clubs. Les en priver brutalement conduirait à des faillites. Il est aussi un moyen de redistribution entre petits et grands pays, entre petits et grands clubs. Prenez Gameiro qui rapporte 13 millions à Lorient en rejoignant le PSG. En tout état de cause, il faudrait un mécanisme de solidarité de substitution. Une idée plus modeste : limiter le nombre de transferts lors du mercato d'hiver à un ou deux joueurs. Cela limiterait les mutations, d'éventuelles déstabilisations et renforcerait l'équité sportive.
- O.F. Les Etats-Unis ont supprimé les transferts payants. En Europe, ce marché spéculatif finance les déficits et les salaires mais donne des signes de stagnation. S'il se retourne, le foot court au krach systémique ! Supprimer le prix du transfert, c'est permettre aux clubs moyens de ne plus être évincés par les effets de la bulle sur le prix des joueurs. Donc de conserver ou d'attirer des joueurs de niveau international et de bâtir leur économie sur leur propre destin sportif.»
Recueilli par Jean LE BAIL
lequipe.fr
Diallo résume assez bien ce que je pense du FPF et de son application : en l'état actuel des choses, c'est du flan.