Citation
Au Parc des Princes, le retour des Ultras version " light "
Oh, les gars, lancez pas les rouleaux de PQ tout de suite ! " De son perchoir au bas de la tribune Auteuil bleu, le " capo " du Collectif Ultras Paris (CUP) s'énerve. Tout le virage du Parc des Princes, où ce groupe de supporteurs a fait son appa-rition il y a quatre mois, n'a pas -encore domestiqué l'art des - " tifos ", ces animations visuelles d'avant-match pour lesquelles la coordination est essentielle. Avant PSG-Monaco (1-1), le 29 janvier, les mem-bres du CUP ont placé -devant plusieurs milliers de sièges un rouleau de papier toilette, à lancer au moment de l'entrée des joueurs. Mais il faudra du temps, reconnaissent-ils, pour que les -locataires de la tribune intègrent la discipline consub-stantielle au mouvement ultra.
Les Ultras, supporteurs qui -ani-ment un stade en le décorant et en chantant régulièrement pendant les rencontres, avaient disparu du Parc des Princes en 2010, bannis par la direction du club à la suite de la mort d'un supporteur dans une bataille -rangée devant le stade. Depuis -octobre 2016, le CUP (2 100 adhérents) a obtenu de rassembler ses membres dans le haut du -virage Auteuil. Face à Monaco, pour la première fois, le CUP a -investi (" colonisé ", dit un membre du -bureau) le bas du virage, où les supporteurs les plus motivés de la tribune Boulogne seront bientôt accueillis. Une estrade, un micro et une sonorisation ont été mis à la disposition du groupe pour coordonner les chants de l'en-semble de la tribune. Enfin, après de longues négociations, le club a consenti à ce qu'une bâche aux couleurs du Collectif Ultras Paris recouvre, -seulement le temps du tifo, les -publicités défilant sur la séparation entre le bas et le haut du virage.
Contacté, le Paris-Saint-Germain continue de préférer le silence sur la question des supporteurs. Elle lui a beaucoup coûté en termes d'image. Par ordre d'apparition : railleries sur les réseaux sociaux, mise en demeure par la CNIL pour fichage illégal, et condamnation pour ruptures abusives de -contrats pour des places annulées.
" Merci Nasser "
C'est pourtant au Paris-Saint-Germain que le CUP doit son -retour en grâce. Et, à l'intérieur du club, à la volonté d'un homme : le président Nasser Al-Khelaïfi. D'abord attentif, après le rachat du PSG, à éviter de nouvelles -éruptions de violence, l'homme de Doha s'est progressivement affranchi des consignes de la préfecture de police et de son responsable de la sécurité du stade, Jean-Philippe d'Halivillée. Proche des joueurs, qui reprochaient aux tribunes de s'endormir trop facilement, le président qatari a encouragé des initiatives visant à ramener les chants au Parc. C'est à son directeur général, Jean-Claude Blanc, qu'il a confié la mission d'organiser le retour de supporteurs jusqu'alors jugés indésirables.
" Nasser Al-Khelaïfi vend au -Qatar la vitrine d'un grand club, et la réalité des tribunes du Parc ne cadrait pas avec cette image, observe Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des Ultras. Les Qataris ont compris que, s'il n'y avait pas de passion, le produit -perdait de sa valeur, le meilleur exemple étant le championnat du monde de handball 2015, où ils ont payé des joueurs - étrangers pour -intégrer l'équipe nationale - mais aussi des supporteurs - pour garnir les travées - . L'intervention de Nasser Al-Khelaïfi a été décisive. "
Avant Noël, pour la réception de Lorient, une banderole a fait son -apparition à Auteuil : " Un président passionné, des Ultras retrouvés : merci Nasser ". Et " Nasser ", comme tous l'appellent, est toujours -applaudi avec plus de chaleur que n'importe quel joueur. La déclaration d'amour était en rupture avec certains principes de ces supporteurs, qui revendiquent une forte -indépendance vis-à-vis des dirigeants des clubs, mais le président du CUP, Romain Mabille, assume l'initiative : " Dans le mouvement -ultra, les gens n'ont pas trop apprécié, mais l'avis des autres ne nous -intéresse pas. Le club est content que les supporteurs soutiennent le pré-sident. Dans cette histoire, ce ne sont pas les Ultras qui ont gagné et le club qui a perdu : tout le monde y trouve son compte. "
Accès au stade sous contrôle
De fait, les Ultras ont obtenu de -revenir au Parc mais abandonné certaines libertés dont ils jouissaient auparavant. Les banderoles sont scrupuleusement examinées à l'entrée du stade, les identités des supporteurs rassemblés au sein du CUP et prenant part à leurs -dépla-cements organisés sont -contrôlées par le club.Des sacrifices en accord avec une conception très qatarie de la liberté d'expression que désapprouvent une partie des Ultras français, même si la grande majorité d'entre eux soutiennent leurs homologues parisiens pour leur combat mené depuis six ans.
Ancienne figure du virage et " capo " des Supras Auteuil, Christophe Uldry a soutenu le combat du CUP tout en restant à distance. Mais en novembre 2016, il disait son -inquiétude au Monde : " Si -demain je devais revenir au stade avec un groupe, la première chose que l'on -ferait serait d'afficher un message sur le prix trop élevé des abonnements. Et le PSG enverrait un steward pour l'enlever. Or la -liberté d'expression et le combat pour un football populaire sont des choses essentielles pour un Ultra. (…) Je ne suis pas sûr que ce soit -viable à long terme. "
Romain Mabille, qui n'a pu faire son retour au Parc des Princes que lors du match face à Monaco, à la suite d'un bras de fer entre le club et la préfecture de police, -assume de se situer en marge de ce qu'il reste du mouvement ultra français : " Le mouvement ultra a toujours été dans une optique de confrontation, de grève. Nous, on préfère proposer des solutions. La tribune que l'on veut faire n'a rien à voir avec les virages tels qu'ils existent en France aujourd'hui. On s'inspire de ce qui se fait en Allemagne, où les supporteurs ont de bonnes -relations avec les clubs et la police, où femmes et enfants peuvent venir en tribune avec les Ultras. Le virage avant la dissolution de 2010 et celui que l'on construit seront forcément différents sur beaucoup de points. "
Pour la réception de Barcelone, le CUP a coordonné son tifo avec -celui organisé par le PSG dans le reste du stade. Il fêtera son premier anniversaire. Avec des bougies ? Les fumi-gènes sont interdits dans les enceintes sportives mais, -rappelle Romain Mabille, " le “U” de CUP veut dire “Ultras” ".
Clément Guillou
© Le Monde