Citation
« Je ferais n’importe quoi pour le PSG »
Discret depuis son départ, l’ancien directeur sportif parisien a choisi le JDD pour se confier longuement. Sa suspension le mine, le départ d’Ancelotti l’a surpris, le niveau du foot français le désole. Mais il trouve « son » club plus fort que jamais,
Ce soir à Milan, Leonardo regardera le clasico devant sa télé. Comme tous les matches du PSG depuis son départ mi- juillet, assure-t-il. Mardi, il se rendra au tribunal administratif de Paris pour tenter de faire annuler sa suspension de quatorze mois de toutes fonctions officielles, infligée par la Fédération française à la suite de son coup d’épaule sur l’arbitre de PSG- Valenciennes (1-1, 5 mai), M. Castro. L’enjeu est de taille : l’ancien directeur sportif parisien est sous la menace d’une extension internationale de la sanction.
Quel bilan faites- vous de vos deux saisons au PSG ?
C’était une expérience extraordinaire. Il n’y a pas d’autre projet comme ça dans le monde. J’ai eu beaucoup de liberté de la part des propriétaires. Je leur en suis très reconnaissant. En 2011, ils m’ont dit : on a un rêve et on veut que tu ailles le réaliser. En deux ans, on a presque atteint nos objectifs. Je regrette simplement de ne pas avoir pu rester plus longtemps.
À cause de la suspension ? C’est l’unique raison de votre départ ?
Bien sûr, puisqu’elle m’empêchait d’assumer certaines responsabilités de ma fonction. Je ne pouvais pas continuer dans ces conditions. Quand Carlo Ancelotti a annoncé qu’il partait, je devais même devenir entraîneur. Là, ça devenait impossible. Je ne suis pas parti pour me rapprocher de ma famille, comme il a été dit. D’ailleurs, je ne sais même pas si je vais rester à Milan… Aujourd’hui, je suis bloqué, je n’ai plus le droit d’exercer mon métier où que ce soit. Cette suspension est injuste. C’est pour ça que je me bats pour la faire annuler. D’autant que, je le répète, je n’ai pas fait exprès de bousculer l’arbitre.
Les images sont quand même accablantes…
Ce sont celles du diffuseur. Elles ne montrent pas tout. C’était une bousculade involontaire dans un endroit exigu où il y avait beaucoup de monde. Quand vous voulez vraiment bousculer quelqu’un, vous ne vous y prenez pas de cette manière : on y va avec la main, on pousse, on ne donne pas un petit coup d’épaule. Mais quand cette séquence tourne en boucle pendant cinq mois, c’est difficile de prouver le contraire. Mon tort, c’est de m’être retrouvé là. Mais le foot sans passion, ça n’existe pas.
Votre image s’est grandement détériorée en France…
Si tu penses à ton image, tu ne gagnes pas de titres. On est venu me chercher pour gagner la Ligue des champions en cinq ans. J’ai accepté ce défi et je m’y suis entièrement consacré. Oui, j’ai été obligé d’être agressif parfois dans mon discours. Il fallait changer les mentalités pour viser l’excellence, y compris au sein de l’équipe. Ça ne se fait pas sans heurts. Ce n’est pas mon rôle le plus sympathique, mais je l’ai assumé. Comme j’assume toutes les choses que j’ai dites et qui n’ont pas été bien prises.
Sur « le niveau vraiment bas » de la préparation des joueurs et des entraîneurs en France, par exemple ?
Cette polémique est issue d’un séminaire privé [à l’UCPF, en mars 2012]. Je m’adressais aux acteurs du football, pas au public. Ce sont des images volées par Canal + sur une petite partie de mon intervention. Je disais juste que, avec tous les moyens dont dispose la France, il était possible de faire plus et mieux. Ce n’est pas seulement une question d’argent. Regardez les derniers résultats en Coupe d’Europe : c’est incroyable de jouer comme le font les clubs français. C’est aussi incroyable de ne plus avoir un seul arbitre français à partir des huitièmes de finale de Ligue des champions. Autre exemple révélateur : la dernière journée du championnat était fixée le même weekend que la finale de la Ligue des champions… Soit c’est un manque d’intérêt pour le football, soit c’est un manque d’ambition et de travail. En tant que responsable d’un projet ambitieux, il était de mon devoir de faire bouger les choses. Je croyais faire partie de la famille du foot français. Je me rends compte que ce n’était pas le cas…
Les Français sont- ils méfiants ou injustes avec ce qui vient de l’étranger : l’argent, les hommes ou les idées ?
La France a toujours été indépendante culturellement, économiquement, politiquement. Mais le monde a changé. Ne pas s’ouvrir, c’est risquer de rester sur le bord de la route. Quand on est bon et fort, on n’a peur de rien.
Quand vous dites, après la défaite à Reims (0-1, en mars), que le PSG « a une équipe faite pour l’Europe, pas pour ce genre de matches » , c’est maladroit, non ?
Ce n’était pas péjoratif ou insultant pour Reims. On a bâti une équipe pour gagner la Ligue des champions, pour jouer contre des équipes qui ouvrent le jeu. En France, c’est plus fermé. C’était aussi une manière de dire à mon équipe qu’on devait trouver la solution pour gagner ce genre de matches.
C’est à Reims qu’Ancelotti a décidé de quitter Paris, mécontent de la colère de Nasser Al-Khelaifi après la défaite. Comment vous l’a-t-il annoncé ?
Déjà, il n’y a pas eu de colère de Nasser. Il dit toujours les choses calmement… Le lendemain, Carlo m’a effectivement dit qu’il n’était pas content. Mais ce n’était pas la première fois. Dans une histoire, on passe toujours par des hauts et des bas… Je trouvais incohérent qu’il m’annonce son départ en mars alors qu’il lui restait un an de contrat. En pareil cas, soit tu négocies pour rester, soit tu présentes une offre.
Donc, vous n’avez pas cru ni anticipé son départ ?
Non. Dans ma tête, on allait gagner le championnat et ça changerait tout, il allait revenir sur sa décision. C’est devenu clair après le titre, quand il nous a dit qu’il voulait vraiment partir et qu’il y avait le Real Madrid. À partir de là, on est entré dans un processus normal de négociation.
Avez-vous tout fait pour le retenir ?
Oui. J’ai toujours dit que c’était l’entraîneur idéal. Ce n’est pour rien que le Real est venu le chercher.
Pour le remplacer, le premier choix c’était vous ou un entraîneur prestigieux ?
Je n’ai rien demandé. C’est Nasser qui m’a demandé de prendre le poste. Si on m’offre quelque chose, je prends. Et le PSG est tellement ancré en moi que je ferais n’importe quoi. Moi, je voulais José Mourinho. Mais il était presque engagé avec Chelsea. Après, on a étudié d’autres solutions, mais ma suspension a compliqué les choses. C’était difficile de demander à quelqu’un de venir alors que j’étais moi- même sur le départ. Mais on n’a pas appelé dix mille entraîneurs. Et, contrairement à ce qui a été dit, Laurent Blanc n’était pas le dixième choix. Il était libre et faisait partie de notre short list, mais il fallait déjà régler la situation avec Carlo. Laurent, c’est un mélange entre la culture française et une très grande expérience internationale. Il est très intelligent et utilise de la meilleure manière les joueurs dont il dispose. Je suis très content de son travail.
Alors qu’il n’était pas votre premier choix au départ…
Vous croyez qu’on aurait pu le recruter si je n’avais pas été d’accord ? C’était le choix de tout le monde, donc le mien aussi. Vous savez, nous avons toujours été très unis avec Nasser et le prince Tamim, qui est aujourd’hui l’émir. J’ai toujours respecté la hiérarchie. Mais Nasser est aussi devenu un ami. Il était à mon mariage le mois dernier. Carlo était aussi invité mais il n’a pas pu venir.
Comment envisagez- vous votre avenir ?
Je m’imagine manager à l’anglaise ou entraîneur. Une chose est sûre : je ne veux plus occuper un rôle politique. Je ne veux plus parler que de football. À Paris, mon rôle était de construire une équipe, mais ce n’est pas anodin de représenter un actionnaire aussi puissant que le Qatar. C’était exigeant et usant car tout était surinterprété. On a dit que Beckham était un choix politique. Faux ! Je lui ai vendu un projet sportif et il est venu pour ça, et pour finir sa carrière en beauté.
Pourriez- vous revenir au PSG un jour ?
Je pense que ça sera difficile. Mais, c’est bizarre, j’ai toujours l’impression de faire partie de l’aventure. Je suis venu à Paris parce que j’y avais passé quatorze mois inoubliables en tant que joueur. Je viens de vivre deux années très fortes émotionnellement. Ce que je garde en moi, c’est l’image du Parc les soirs de match. Je ne manque pas une rencontre du PSG.
Comme Nasser, trouvez- vous aussi que l’équipe joue mieux que la saison passée ?
Oui, mais c’est normal. La première saison, on a changé d’entraîneur à Noël. La deuxième, on a gagné le championnat. Quand on ôte le poids de dix- neuf ans de disette, ça libère. Pour certains joueurs, c’est leur troisième saison ensemble. Je tiens à préciser qu’on n’a pas jeté l’argent par les fenêtres. On n’a pas plus dépensé que le Real ou les autres grands clubs européens. On s’est tenus à notre stratégie de départ. La première étape était d’être en Ligue des champions pour la visibilité et les recettes. On a acheté huit joueurs dans cette optique. Pastore, tout le monde le voulait : il a beaucoup payé le fait d’être le premier transfert de ce niveau. Après, on a décidé d’investir 150 M€ sur des joueurs de Ligue des champions pour y être compétitif : Ibra, Thiago Silva, Thiago Motta, Lavezzi… On a ajouté de jeunes joueurs comme Verratti, Lucas, Digne ou Marquinhos, et un grand buteur, Cavani. L’idée, ce n’est pas de mettre 100 millions chaque année pendant dix ans. Maintenant, c’est d’équilibrer.
Ibrahimovic, Thiago Silva, Verratti ont été prolongés et augmentés. Au PSG, quand on réclame, on a ?
Non, c’est la réalité des grands clubs européens, et le PSG doit s’y adapter. Tout le monde veut ces joueurs. On les rémunère au niveau de ce qui se pratique ailleurs. Sinon, ils s’en vont. Mais il n’y a pas un joueur au PSG avec un salaire supérieur à ce qu’il aurait pu avoir ailleurs. Si, peut-être Ibra. Mais dans le monde, il y a Messi, Cristiano Ronaldo et lui. Il est à ce niveau-là, il a donc le salaire qui va avec.
Son association avec Cavani fonctionne-t-elle ?
Elle est parfaite ! C’est moi qui les ai fait venir, je ne vais pas dire le contraire… Ce sont des joueurs différents, très complémentaires. Il faut encore trouver une manière de les associer. L’idée, c’est qu’on ne pouvait pas continuer à avoir un buteur à trente réalisations et un autre à huit. Il faut que ce soit mieux réparti. Un grand club se doit d’avoir deux grands buteurs.
Que vous inspire le nouveau dérapage de Jérémy Ménez ?
C’est difficile de commenter quelque chose que je n’ai pas vécu. Jérémy, je l’adore. Quand on l’a recruté, il m’a dit : « Je viens pour toi, Léo. » C’est un joueur fantastique, le buteur du titre à Lyon. Donc, c’est dommage. La clé pour devenir un grand, c’est qu’il change ce caractère.
Le PSG ne vous a pas remplacé. Doit-il le faire ?
C’est à Nasser de choisir. Aujourd’hui, il maîtrise l’environnement. La structure autour de lui fonctionne bien. Le club a recruté 20 joueurs au cours des deux dernières années. L’entraîneur est en place. Il n’y a pas d’urgence.
Paolo Maldini a-t-il le bon profil pour le poste ?
Paolo a le profil pour faire ce qu’il veut, mais il n’a pas encore défini ce qu’il voulait faire… C’est un ami, un proche de Carlo, et il a fait connaissance avec Nasser, mais il n’y a rien de définitif. Ça reste juste une rumeur.
le JDD