Interview intéressante de Doucouré sur lemonde.fr, sur sa carrière, le monde de l'athlé etc.
Quand on lit certains trucs, on se dit qu'on peut avoir des regrets pour sa carrière (bon sur l'histoire du McDo il est pas très malin par contre

). Et sans surprise, on voit qu'une fois que tu n'es plus "à la mode" les gens t'oublient bien vite... La fin est presque touchante, j'espère pour lui qu'il arrivera à revenir pour faire un truc qui le satisfera avant de raccrocher.
Citation
Ladji Doucouré : « En athlétisme, soit t'es trop jeune, soit t'es trop vieux »
Il nous a reçu en jogging sombre, baskets et casquette des New York Yankees. Une tenue sportive somme toute passe-partout à l'Institut national du sport et de la performance (Insep), où Ladji Doucouré se sent comme chez lui. Le champion du monde 2005 du 110 mètres haies à Helsinki s'est longuement raconté, lui qui, à 30 ans, essaie de revenir à son meilleur niveau.
Après des années plombées par les blessures, il prendra part aux championnats de France en salle, samedi 22 et dimanche 23 février, à Bordeaux, sur 60 mètres haies. La compétition, qui débute samedi à 18 h 05 par les séries, s'annonce relevée.
Les hurdleurs français sont en forme cet hiver et figurent en bonne place dans les bilans mondiaux. Garfield Darien a réalisé 7 s 53 sur 60 mètres haies, et Pascal Martinot-Lagarde, avec 7 s 45, possède même la meilleure performance mondiale de la saison...
Ladji Doucouré : Oui, c'est costaud. Au niveau français, c'est le deuxième chrono [de tous les temps]. Tout le monde regarde et se dit : « C'est de la très, très grosse performance. » Mon record [7 s 42, en 2005] a failli être battu, mais un record est fait pour être battu. Il n'y a que les titres qui restent. Un trou s'est comblé en France : avant le 110 mètres haies, c'était moins dense. Parfois, j'étais tout seul.
Comment expliquez-vous cette densité ? Existe-t-il une école des haies à la française ?
Il y a un gros potentiel en France. Chez les juniors-cadets, ça arrive. Le fait d'avoir monté les haies à 1 mètre a beaucoup changé les choses et a permis à certains athlètes de passer le cap. Avant, on franchissait les haies à 91 centimètres quand on était cadet, et puis vers 17-18 ans tu passais aux haies seniors (1,06 mètre). C'est ce que j'ai subi. Derrière moi, plein de jeunes qui étaient forts ont arrêté les haies parce que la transition était trop dure. La génération de Garfield Darien ou Samuel Coco-Viloin (nés en 1987) a passé les haies à 1 mètre. On est moins en retard par rapport aux étrangers. Et puis il y a une grosse culture technique en France, il suffit de regarder les résultats à la perche.
Dans ces conditions, votre record en salle est-il menacé ?
Que ce soit Pascal Martinot-Lagarde ou Garfield Darien, ils peuvent le battre. Et ils le savent très bien. S'il est battu, je serai touché, c'est sûr. Quand j'ai pris le record à Stéphane Caristan, il a dû être touché. Mais je ne lui ai pas dit : « S'il te plaît, je peux le prendre ? » J'ai été le chercher, j'ai couru et c'est venu.
Quelles relations avez-vous avec la nouvelle génération ?
Ils sont beaucoup plus jeunes. Pascal Martinot-Lagarde est né en 1991, Simon Krauss [champion d'Europe espoirs] en 1992. C'est difficile d'aller discuter avec eux parce que c'est une autre génération et puis on te met vite une casquette de grand frère. Je discute avec eux, mais c'est difficile d'aller conseiller quelqu'un qui fait la même discipline que toi, parce qu'il y a beaucoup de gens autour.
Pascal, je l'ai félicité pour sa performance. J'aimerais bien venir discuter avec tout le monde. J'ai eu cette relation avec Garfield Darien parce qu'il a quatre ans de moins que moi, du coup on s'entend bien, on a fait des compétitions ensemble.
Les plus jeunes, ils ont faim et t'as toujours quelqu'un qui va venir leur dire : « Ouais, fais gaffe, tout ce qu'il t'a dit c'est pas vrai, il est jaloux… » Du coup, je veux que Pascal fasse sa carrière comme il doit la faire, sans que personne de l'extérieur intervienne. Il a son collectif, son entraîneur, son kiné et il doit faire son chemin. Il a besoin d'un conseil ? Sans problème, il vient me demander, je lui dis. Mais je ne vais pas venir de moi-même, parce qu'il y a déjà assez de monde qui va essayer de se greffer à lui. Je l'ai vécu aussi.
Vous avez peut-être donné envie à certains de ces jeunes de se mettre aux haies...
Oui, ils me le disent parfois. Je leur réponds : « Vous me parlez comme si j'allais arrêter, dites moi ça quand j'aurais fini ! » On se taquine un peu. Simon Krauss m'a dit : « En 2007, tu m'as signé un autographe. » Et moi : « Arrête de me dire ça, tu me vieillis ! » [rires] J'ai envie de courir avec ces gens-là et je ne pense pas que je sois trop vieux. Faire des compétitions avec eux, ça peut être marrant.
Même si vous ne voulez pas porter la casquette de grand frère, du haut de vos 30 ans et de votre expérience personnelle, qu'est-ce que vous pourriez leur conseiller ?
Si jamais ils me le demandent, je leur dirai : « Prenez tout ce qu'il y a à prendre. Tant que vous êtes bien, ne regardez pas ce qu'il y a à côté, prenez tout ce qu'il y a à prendre. » C'est pour ça que si Pascal peut taper le record, il faut qu'il le tape et pas qu'il se dise : « J'ai le temps. » Parce que sinon il y aura un autre qui viendra et qui va le taper. Et si ça se trouve, ce sera moi ! [rires]
Avec un chrono de 7 s 62, vous êtes troisième Français cette saison, votre meilleur chrono depuis longtemps après des années perturbées par les blessures. Comment vous sentez-vous ?
Ça va. Beaucoup mieux que les années précédentes. Je me suis pas mal dispersé et ça fait chier parce que ça va vite une carrière. D'un coup on te laisse et on te dit : « Tu ne sers plus à rien. » Mais là, j'ai 30 ans, au final je n'ai que dix ans de haies, ce n'est pas beaucoup. Dont trois ans de blessures. Ca fait sept ans.
Je faisais du décathlon, on m'appelait « le phénomène ». Et tout d'un coup, après les Jeux de Londres, on me disait que j'étais le mec en sucre, le mec fragile... Cette étiquette-là, ça fait bizarre. D'un coup, plus personne ne veut te toucher. T'arrives en compétition, les gens c'est limite t'as une maladie incurable. Plus personne ne vient vers toi : « Non, il pue la défaite, faut pas aller lui dire bonjour. » Du groupe, plus personne n'y croyait [il était à l'époque entraîné par Renaud Longuèvre]. Le kiné me disait : « Ça ne sert à rien, on n'arrive pas à te soigner. » Au sortir des Jeux, j'avais envie d'entendre autre chose.
Hanche, mollet, ischio-jambier… Vous n'avez pas été épargné ces dernières années. Comment avez-vous vécu toutes ces blessures ?
J'ai failli arrêter. J'ai failli écouter ce que les gens de mon groupe m'ont dit. Ma famille, certains athlètes et d'autres entraîneurs ont entendu cela et m'ont dit : « Non, tu peux pas arrêter là-dessus, tu n'as que 28 ans, t'es malade. »
Il fallait que je me reconstruise. J'ai décidé d'aller là où on voulait de moi. J'avais deux ou trois solutions en France. Je me suis dit que tant qu'à faire, il fallait mieux que je sorte de Paris. Soit j'allais à Lyon, soit j'allais chez [Jacques] Piasenta, dans le Sud.
Après, il y a eu le discours du coach d'Allen [Johnson, champion olympique du 110 m haies en 1996], qui m'a dit : « Il faut que tu apprennes à te réentraîner, à te faire mal. Tu ne courais que sur tes qualités, tu ne t'es peut-être pas entraîné comme il le fallait. Relance-toi. » Je suis parti là-bas. J'ai vu qu'Allen avait fait 13'20 à 39 ans, c'est un chrono correct, ça fait des années que je n'ai pas fait ça, et du coup je me suis dit que j'allais me reconstruire mentalement.
Le Chinois Liu Xiang, médaillé d'or aux Jeux d'Athènes, en 2004, et le Cubain Dayron Robles, champion olympique à Pékin, en 2008, ont aussi connu des problèmes physiques au cours de leur carrière. Les haies sont une discipline éprouvante...
Quand j'ai vraiment commencé les haies, vers 20-21 ans, on me disait : « Profite, parce que quand tu vas passer le cap des 24-25 ans, ça va changer, tu vas connaître une période de blessures. » Moi je pensais : « Qu'est-ce qu'ils me disent ? Ils sont jaloux, écoute pas les anciens... » Et bim, je suis tombé dedans. Et tu galères. Il faut s'en sortir. Garder le cap.
On m'avait prévenu de tout ça, mais je n'écoutais pas forcément. Aujourd'hui, je me rends compte que je ne suis pas le seul à galérer. Et par contre eux, ils arrivent à revenir, parce qu'ils font ce qui faut pour revenir. J'ai l'impression d'avoir fait ce qu'il fallait pour revenir, ça a marché par moments, d'autres fois non. Mais abandonner, je ne peux pas, parce que Dayron [7 s 54 en salle cette saison], il continue. Il le dit, il a l'impression que c'était tellement facile avant et aujourd'hui il galère. Mais il ne peut pas arrêter, il aime trop ça. Quand il me voit, il me dit : « Continue. » Je luis dis : « Continue aussi. »
Qui vous entraîne actuellement ?
Le coach d'Allen Johnson, Sylvanus Hepburn. Je suis parti aux Etats-Unis en octobre 2012, à l'arrache. J'ai galéré l'année dernière et ça va mieux cette année, ça ira mieux l'année prochaine et dans deux ans j'espère encore mieux.
Combien de temps passez-vous aux Etats-Unis ?
Je fais des tranches de deux mois et demi. Je pars m'entraîner deux mois et demi, je reviens pour la saison en salle, je repars deux mois et demi. Je suis en Caroline du Sud, à Columbia.
Vous avez des sponsors ?
Non, ils sont tous partis. C'est là que tu te rends compte qu'une parole n'a pas de valeur tant qu'elle n'est pas écrite. C'est dommage. A part mon club et le conseil général de l'Essonne — et les amis qui me supportent moralement —, personne n'a voulu suivre mon projet. Mon sponsor, c'est moi ! [rires]
Je gagne zéro. Je paie avec les revenus que j'ai pu gagner avant. Les voyages aux Etats-Unis, c'est de ma poche, depuis un an et demi. Ça commence à être lourd. (…) Le kiné ici [à l'Insep] je peux le voir tous les jours, me faire masser mais là-bas [aux Etats-Unis], le kiné je le vois une fois par semaine, du coup tu fais beaucoup plus attention à ce que tu manges, à ce que tu bois. T'es obligé. Ça m'a aidé à être un peu plus débrouillard.
Là-bas, on s'entraîne cinq heures et demie par jour, deux à trois heures de course et après on va faire de la musculation. Cinq fois par semaine. L'année dernière, je ne digérais pas. C'est un autre système. Cette année je digère un peu mieux.
Avez-vous appris à mieux gérer les blessures ?
J'ai beaucoup plus de recul, j'écoute beaucoup plus mon corps. J'avais un gros souci sur la nutrition, la récupération. On ne m'a jamais rien appris. C'est un regret. Aujourd'hui, tout le monde est calé là-dessus. J'ai commencé à 29 ans, ça fait un peu tard. On m'a toujours dit : « Mange pas de McDo. » Alors, je ne mangeais pas de McDo, mais je mangeais un grec.
J'ai toujours dormi tard. Maintenant, je fais attention, j'ai pris conscience de certaines choses. Tout le monde est devenu très professionnel là-dessus. (…) Je pensais que j'étais carré, et en fait non.
Qu'avez-vous tiré de ces pépins physiques ?
Tu apprends à te connaître. A connaître les gens. Il y a plus grave dans la vie que le sport, mais il faut prendre ce qu'il y a à prendre le jour J. Parce qu'en athlétisme, soit t'es trop jeune, soit t'es trop vieux. Il n'y a jamais de juste milieu. Là, je veux aller aux prochains Jeux olympiques, à Rio, et on me dit que je serai trop vieux, à 33 ans. Ça va trop vite.
Le Doucouré de 2005 [année de son titre de champion du monde sur 110 m haies à Helsinki] a-t-il encore quelque chose à voir avec celui d'aujourd'hui ?
Le coureur de 2005, c'était quelqu'un qui faisait des intervalles super rapides. C'était un sprinteur, un mec qui rentrait dedans, super léger, qui avait du pied. Le pied, je l'ai perdu un peu, j'essaie de le retrouver. J'essaie de combiner les deux cultures, américaine et française. Ça revient un peu. Ça faisait quatre ans que je n'avais pas fait mon pied. Psychologiquement, ça fait du bien.
Vous avez changé quelque chose dans votre façon de franchir les haies ?
J'essaie de changer l'impulsion devant la barrière, même si je n'y arrive pas tout le temps. Le positionnement sur la haie : avant j'étais super droit en arrière, la nuque en arrière, j'essaie de me rentrer un peu plus, de faire passer le bassin. Je pars en sept appuis contre huit avant, parfois ça passe, d'autre fois ça ne passe pas. Je ne suis pas un technicien, mais j'essaie de progresser là-dessus. Si ça passe, le résultat ne devrait pas être mauvais.
Vous prenez encore du plaisir à courir aujourd'hui ?
Oui, aujourd'hui je le prends à l'entraînement, où j'arrive à faire des choses sympathiques. Juste avoir l'impression de progresser, ça fait du bien. L'année dernière je n'arrivais pas à me dépasser. J'ai été dégoûté de l'athlétisme. Quand t'es jeune, t'arrives dans le milieu, tout est beau, tout est rose... Et puis tu te rends compte que les agents, les organisateurs, c'est : « Je t'utilise, mais je te donne le moins possible. Je veux que tu viennes à mon meeting, mais je te donne zéro. Et t'inquiète pas qu'au micro je vais gonfler tout le monde en disant : “Il a fait ça, il a fait ci.” »
Cet hiver, un organisateur de meeting (dans le sud-ouest de la France) voulait que je vienne, mais il me disait : « Je ne suis pas sûr de te rembourser ton billet de train. » A un moment, je trouve ça un peu dégueulasse. Je ne suis pas si vieux que ça.
Mais pourquoi continuer à courir ?
C'est moi qui décide quand est-ce que j'arrête. Je ne peux pas m'arrêter sur une fausse note comme ça. Le nombre de personnes qui ont arrêté sur blessure ou parce qu'on les a dégoûtées et qui auraient voulu arrêter différemment… Apparemment, on part dans une dépression de fou.
La fin de carrière, c'est un horizon qui vous angoisse ?
Si tu pars sur une bonne note, tu peux passer à autre chose, tu as l'impression d'avoir terminé un truc. Je me donne les moyens de pouvoir arrêter comme il le faut. Je ne veux pas rester frustré toute ma vie.
Yann Bouchez
Journaliste au Monde
http://www.lemonde.fr/sport/article/2014/0...69193_3242.htmlAvec la petite vidéo qui accompagne :