Citation ("Le Monde")
Le parquet requiert un non-lieu dans l’affaire du Grand Stade de Lille
Le procureur de la République souligne plusieurs irrégularités, mais estime que les faits sont prescrits.
Après six ans d’enquête, trois juges d’instruction successifs, une alternance de coups de frein et d’accélérateur, l’affaire du Grand Stade de Lille connaît un énième rebondissement, non des moindres. Dans un réquisitoire supplétif en date du 19 juin, que Le Monde a consulté, le procureur de Lille, Thierry Pocquet du Haut-Jussé, se prononce en faveur d’un non-lieu à l’égard des sept mis en examen ou témoin assisté dans ce dossier concernant l’attribution, il y a dix ans, d’un important partenariat public-privé (PPP). Le magistrat réclame toutefois des investigations supplémentaires concernant d’éventuels faits de recel visant Damien Castelain (sans étiquette), aujourd’hui président de la Métropole européenne de Lille.
Me Romain Ruiz, l’avocat d’un des mis en cause, s’est réjoui, mardi 3 juillet, dans un communiqué, de cette décision et de l’« énorme soulagement » qu’elle constitue pour son client, Henri Ségard, « dont la bonne foi est enfin reconnue ». L’ancien maire de Comines (divers droite), une petite commune de la banlieue de Lille, a été mis en examen, le 5 avril 2017, tout comme Damien Castelain, pour « trafic d’influence passif » et « complicité de favoritisme ». Le même jour, deux ex-cadres de la société de BTP Eiffage ont quant à eux été poursuivis pour « trafic d’influence actif ». Les deux élus nordistes sont soupçonnés d’avoir favorisé Eiffage lors de l’attribution par la communauté urbaine de Lille, en 2008, du PPP du Grand Stade, une enceinte moderne pouvant accueillir 50 000 personnes et dont le coût s’est chiffré en centaines de millions d’euros.
L’attribution de ce pharaonique chantier a bien été entachée de « plusieurs irrégularités », estime le parquet. L’enquête a ainsi permis de démontrer que les critères de notation fixés par la communauté urbaine de Lille n’avaient pas été respectés. « Il en résulte une atteinte majeure à l’objectivité et à la transparence de la procédure ayant abouti à la désignation d’Eiffage », conclut le procureur. Principaux acteurs du basculement de l’offre de Norpac-Bouygues vers celle d’Eiffage, pourtant plus chère d’environ 108 millions d’euros, et initialement moins bien notée, Henri Ségard et Damien Castelain ont fait preuve, selon le magistrat, « d’une méconnaissance des principes les plus évidents du droit de la commande publique ». Le procureur estime néanmoins que les faits de favoritisme et de complicité de ce délit sont prescrits. Même avis pour le faux et usage de faux, s’agissant de la rédaction d’un rapport antidaté venu appuyer à l’époque la décision des élus lillois.
« La prescription ne tient pas »
« Les faits sont reconnus comme caractérisés, notamment en ce qui concerne le favoritisme », a commenté Me Joseph Breham. L’avocat d’Eric Darques, un contribuable de la métropole pourfendeur de la corruption dans le Nord à l’origine des premières plaintes dans le dossier, estime en revanche que « la prescription ne tient pas, d’une part car les faits ont été dissimulés, et d’autre part car les paiements à Eiffage [dans le cadre du PPP] continuent actuellement, et ce sera encore le cas dans les années à venir ».
En juin 2008 puis en juillet 2009, les deux élus nordistes ont été invités par Eiffage à assister à un match de l’Euro de football et au Grand Prix de formule 1 de Hongrie. Pour le parquet, ces cadeaux étaient en lien avec leur rôle dans l’attribution du chantier du Grand Stade au groupe de BTP. « L’acceptation de ces gratifications par Henri Ségard et Damien Castelain révèle chez les intéressés une conception pour le moins imprudente de la moralité publique », écrit le magistrat. Il estime cependant que les éléments « d’une sollicitation et/ou d’un accord intervenus entre les deux parties » manquent pour caractériser les délits de corruption et de trafic d’influence. Un non-lieu est donc également requis à ce sujet, en l’« absence de preuve positive d’un pacte de corruption ».
« Le parquet reconnaît qu’il est totalement chimérique de croire qu’Henri Ségard et Damien Castelain auraient accepté d’engager leur responsabilité et leur respectabilité en contrepartie de simples places pour assister à un match de football et à un Grand Prix de formule 1 », s’est félicité Me Romain Ruiz.
Dans une ultime pirouette, le procureur ne réclame pourtant pas la clôture de l’instruction, mais demande d’approfondir l’enquête sur 17 000 euros de pierres bleues dont Damien Castelain « a sciemment bénéficié gratuitement » lors de la pose d’une terrasse chez lui, à Péronne-en-Mélantois, en septembre 2009, avec l’aide d’un ex-cadre d’une filiale d’Eiffage.
Il reviendra au juge Jean-Marc Cathelin, qui a succédé à Jean-Michel Gentil à l’été 2017, de décider s’il suit l’avis du parquet ou s’il décide de renvoyer les différents protagonistes devant un tribunal correctionnel. A moins de deux ans des élections municipales, l’affaire du Grand Stade reste toujours un sujet sensible à Lille.
Hein??