Didier Deschamps : « En 1998, tout n’était pas tout beau non plus »En dévoilant, mardi 13 mai, la liste des joueurs qu’il a choisi d’emmener au Brésil, Didier Deschamps a lancé le compte à rebours jusqu’à la Coupe du monde. Quelques semaines plus tôt, le sélectionneur des Bleus a reçu Le Monde à son bureau de la Fédération française de football pour un entretien à bâtons rompus.
Avant le Mondial en Afrique du Sud, Raymond Domenech donnait rendez-vous le 11 juillet 2010, jour de la finale, quand on lui demandait ses ambitions avec l’équipe de France. Donnez-vous rendez-vous le 13 juillet au Maracana ?Non. Moi, je ne donne rendez-vous qu’au 15 juin. Pour notre premier match contre le Honduras. C’est notre premier rendez-vous à réussir. Après, on verra.
Vous êtes donc plutôt comme Laurent Blanc qui, lui, se fixait comme objectif de « gagner un match » à l’Euro 2012 ?Eh bien, moi, je vais dire que le premier objectif est de gagner le premier match. Car le dernier match qu’on a gagné en phases de poule de Coupe du monde, c'était en 2006. Et, avec tout le respect que j’ai pour ce pays, c'était contre le Togo. C’est capital de gagner le premier match pour bien se lancer dans la compétition.
Depuis le Mondial 1998 en France, les Bleus n’ont plus gagné leur premier match de Coupe du monde. Y a-t-il une malédiction ?Ce n’est pas une malédiction. Ce n’est pas un match décisif non plus, mais, dans une poule à quatre, gagner le premier match, ça laisse un peu de marge de manœuvre pour la deuxième ou la troisième rencontre pour réaliser notre objectif qui est de sortir du groupe.
La qualification inespérée face à l’Ukraine puis le succès probant contre les Pays-Bas (2-0) ont fait naître une nouvelle attente chez les Français. Un quart même d’entre eux vous voient désormais en demi-finale...Ce n’est pas proprement français, mais on passe vite d’une extrême à l’autre. Après notre match aller en Ukraine [défaite 2-0], beaucoup nous voyaient certainement à la maison pendant le Mondial. Aujourd’hui, il y a cette envie de voir l’équipe de France aller loin. C’est normal. Mais c’est surtout nous, le staff et les joueurs, qui devons avoir cette envie pour faire perdurer ce qu’on a réussi à créer contre l’Ukraine et les Pays-Bas. Après, on peut rêver… mais l’objectif légitime et logique, c’est de se qualifier pour les huitièmes.
La page de Knysna (la grève de l’entraînement des Bleus au Mondial 2010) est-elle tournée définitivement ?On y revient chaque fois. Si vous pouviez ne plus en parler… Tournée ou pas, on ne peut rien y faire. C’est acté. Il s’est passé ce qu’il s’est passé. Ce n’est pas en reparlant de cela qu’on va arranger ou améliorer ce qui nous attend. Et ce qui nous attend, c’est le Mondial au Brésil et l’Euro en France en 2016.
En avez-vous reparlé avec les cadres qui étaient là en 2010 ?Je m’en fous royalement. Je n’y étais pas. J’ai eu les infos que j’ai voulu avoir. Mais je n’ai pas cherché à aller au fond des choses.
La tragicomédie de Knysna a pourtant laissé des traces et largement débordé du cadre sportif...Le football a toujours été l’objet de récupérations politiques. C’est le sport le plus médiatisé, le plus exposé. Il sera toujours décrié. Il y a vingt ou trente ans, c’était pareil. Tout n’était pas tout beau tout mignon non plus, en 1998. Mais une équipe qui gagne est forcément aimée. Je n’ai jamais vu une équipe qui gagnait ne pas être aimée.
C’est pour vous prémunir de toute étincelle que vous avez établi un « code de bonne conduite » dès votre arrivée à la tête des Bleus ?Ce n’est pas un code de bonne conduite, mais des règles internes que chaque entraîneur ou sélectionneur met en place. Rien de draconien, juste un cadre pour bien vivre ensemble. Cela commence par le respect des autres et des horaires. Le risque, au fil du temps, est qu’on a tendance à relâcher un peu le cadre. C’est là où il faut être vigilant. Je n’ai pas la prétention de dire qu’il ne peut pas y avoir un souci à un moment ou un autre. Après ce qui s’est passé il y a quatre ans et l’attention des médias, le moindre problème extrasportif peut prendre des proportions énormes, la moindre étincelle peut provoquer un incendie. Mais je ne veux pas non plus des agneaux qui ne bougent pas une oreille. Les joueurs ont le droit de vivre. Ils ont des caractères et des personnalités différentes et doivent les garder.
Avez-vous tout de même l’intention d’interdire aux joueurs de tweeter pendant le Mondial ?J’y réfléchis. Les nouvelles technologies, elles sont là, je ne vais pas aller à leur encontre. Mais il y a aussi les mauvais côtés. Tout dépend de ce qu’on dit et comment on le dit. Et de l’interprétation qui en est faite. Aujourd’hui, il y a une intrusion permanente. Or, ce qui se passe en interne devrait rester en interne. Maintenant, on ne va pas aller au Brésil et se couper du monde en se mettant dans un bunker.
Savez-vous qu’il y a un bordel à 500 m de votre hôtel de Ribeirao Preto ?
Non. Mais apparemment vous êtes mieux renseigné que moi. C’est bizarre, parce que vous devez fréquenter les mêmes endroits que les joueurs. Quand on va jouer en Ukraine, je sais aussi que les soirées des journalistes sont très animées. Curieusement, vous allez dans les mêmes endroits mais ça se sait moins. Souvent, j’arrive à le savoir quand même. Au cas où. Parce que vous pouvez avoir des dossiers sur les joueurs, mais j’en ai aussi sur vous. C’est bien de savoir ce qui se passe. Après, chacun fait ce qu’il veut.
Une Coupe du monde au Brésil, ça a une saveur particulière ?Il n’y a rien de plus beau qu’une Coupe du monde. Peu importe le pays où elle se déroule. Après, il y a bien sûr ce côté exotique − samba, terre de foot − qui fait que ce Mondial sera une grande fête.
Qui sont vos favoris ?Par les résultats qu’ils ont obtenus ces dernières années, le Brésil, l’Argentine, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie sont les cinq pays qui commenceront la compétition avec l’objectif légitime de la remporter. Nous, on n’est pas dans cette catégorie-là. On est plutôt dans un deuxième groupe d’équipes qui peuvent être compétitives et nourrir des ambitions.
Il n’y a pas une équipe au-dessus du lot ?Non. La référence, aujourd’hui, c’est l’Espagne, quoi qu’on puisse en dire. Après, évidemment, le Brésil, pas parce qu’il est chez lui mais parce que c’est une équipe avec beaucoup de qualités. Mais ils vont avoir une pression extrêmement forte. Les équipes du continent sud-américain seront très difficiles à jouer aussi. Aucune équipe européenne n’a remporté une Coupe du monde organisée sur le continent sud-américain.
Vous avez fait appel à Eric Bedouet comme préparateur physique pour le Mondial. Pourquoi ?Eric Bedouet exerce depuis quinze ans aux Girondins de Bordeaux. Je connais ses qualités sur le plan professionnel et humain. Jusqu’à maintenant, on s’adaptait. Pendant la période de qualification, on se rassemblait seulement deux jours, il n’y avait pas énormément de travail spécifique. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase où la préparation physique est importante. En collaboration avec le « doc », nous avons lancé une série de tests qui permettent d’avoir des références sur tous les joueurs. Ensuite, il s’agit d’adapter le travail par rapport à l’état physique de chacun. D’où la recherche d’une préparation quasi individualisée.
La FIFA a introduit pour la première fois le passeport biologique [qui permet de déceler d’éventuelles manipulations sanguines] pour la Coupe du monde. Cela vous paraît une bonne initiative ? Oui, oui, comme tout ce qui va dans le sens d’un – comment pourrais-je dire? – « sport propre », même si ce n’est peut-être pas le bon le mot… Plus il y a de contrôles, plus il y a de moyens, je n’ai aucun souci avec ça, au contraire, et même si ça peut comporter des contraintes supplémentaires. On y aura droit comme toutes les équipes de toute façon.
Les joueurs de l’équipe de France ont-ils déjà été soumis à des prélèvements dans le cadre de ce nouveau dispositif ?Pas à ma connaissance. Mais la FIFA a dit clairement que tous les joueurs seraient contrôlés avant le début de la compétition. On sait à quoi s’en tenir, il n’y a pas de souci avec ça.
Justement en 1998, il y avait eu un souci…Non, ce n’était pas en 1998, c’était en 1997…
Oui, à l’hiver 1997, donc vous vous en souvenez. L’arrivée de contrôleurs antidopage du ministère des sports lors d’un stage des Bleus à Tignes avait créé un pataquès. Quel était le problème ?Il n’y avait pas de problème. C’est simplement qu’on n’était pas en stage. C’était un rassemblement en famille, pas comme si on avait un match. On prenait l’air, on faisait des raquettes, on était avec nos femmes et nos enfants. C’était convivial. Et ils sont venus là, à je sais plus quelle heure, 7 heures du matin, je crois. On doit le faire, on le fait. C’était Aimé Jacquet qui était un peu remonté par rapport au fait que ce n’était pas une période d’entraînement. Qu’on nous contrôle à Clairefontaine ou après un match, pas de souci, mais là, on aurait pu être en vacances n’importe où sur une île et, là, ils débarquent…
Au sein du groupe, vous avez un discours clair sur le fait que les joueurs peuvent aller voir des médecins conseillés ou non par leurs clubs…L’important, c’est que le médecin de l’équipe de France soit au courant. Mais dans les clubs, aussi, ils sont obligés de faire attention. C’est le même mot d’ordre, peu importe où ils jouent. Après, il y a le médecin du club qui peut accepter qu’un joueur aille voir un autre praticien. Mais la base, dans tous les clubs, c’est que déjà le médecin du club soit au courant. Et donc si le médecin du club est vigilant et au courant, il n’y a pas de souci par rapport à l’équipe de France. Et aujourd’hui, avec tous les matchs qu’ils ont, toutes les compétitions, tous les contrôles, tous les joueurs sont suivis.
Il y a un an, vous étiez auditionné dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage. Que voulaient savoir les sénateurs ?Ils voulaient me poser des questions. Je sais qu’on a beaucoup médiatisé ma venue, un peu trop certainement, mais on ne m’a pas du tout posé les questions par rapport à ce qui a pu être dit [son passage à la Juventus Turin entre 1994 et 1999 et les soupçons qui pesaient sur le club]. C’est par rapport à ma carrière, mon expérience surtout en France en tant qu’entraîneur. Mais j’étais un parmi cinquante autres. Il y a certaines personnes, on ne sait même pas qu’elles sont venues. Mais comme c’est moi…
La plupart des autres personnes auditionnées l’ont été publiquement. Pourquoi avez-vous été entendu à huis clos ?C’est la liberté, quand même! J’étais tranquille, j’ai répondu aux questions qu’on m’a posées. Je n’ai rien à cacher.
Le fait que ce ne soit pas public, forcément, on se pose la question…Vous avez la liberté d’écrire et de dire ce que vous voulez. J’ai quand même la liberté de parler ou de ne pas parler. Ce n’est pas pour cacher quoi que ce soit, c’est simplement pour avoir la tranquillité. Ce n’est pas Didier Deschamps qui était auditionné, c’est Didier Deschamps le sélectionneur, le salarié de la Fédération française de football.
A-t-elle un style, cette équipe de France ?Tout dépend de l’équipe qu’on a en face de nous. C’est un rapport de forces. Aujourd'hui, si on joue l’Espagne, on sait qu’on ne va pas pouvoir lutter dans le domaine de la possession du ballon. Mais ce que je souhaite, c'est qu’on prenne la responsabilité du jeu, qu’on puisse l’imposer à l’adversaire.
Vous jouez pourtant sans meneur de jeu...Tout le monde rêve d’avoir LE numéro 10 et de jouer bien dans l’axe. Mais Zidane et Platini, ils ne peuvent plus jouer. Beaucoup d’équipes jouent sans meneur de jeu, aujourd’hui. Prenez la référence, l’Espagne, ils n’ont pas de meneur de jeu mais ils ont Xavi et Iniesta.
Le fait de ne pas avoir sélectionné Samir Nasri, c'est donc le constat que l’équipe de France peut jouer sans meneur de jeu ?Je ne sais pas, mais j’ai Mathieu Valbuena qui a joué en meneur de jeu. Et Samir, quand il était avec nous, a joué aussi sur un côté. On ne fait pas une liste pour un tournoi final comme on fait une liste pour un match amical ou pour une double confrontation. Parce que là on est parti pour être, au minimum et j’espère plus, six semaines ensemble. La liste pour un tournoi final, ce n’est pas forcément prendre les deux meilleurs à chaque poste.
La Fédération française de football communique beaucoup sur l’Euro que la France organisera en 2016. Le Mondial sert-il à préparer l’Euro 2016 ?Cela veut tout dire et rien dire. Evidemment qu’il y a un événement qui est important avec cet Euro qui est en France. Mais on ne va pas galvauder une Coupe du monde. Les médias font référence à Aimé Jacquet qui aurait préparé le Mondial 1998 avec l’Euro 1996. Mais vous savez combien de joueurs de 1996 étaient là en 1998 ? Vous seriez surpris. Moi, j’ai regardé : 10 sur 22. Même pas la moitié.
A la différence de Domenech en 2010, vous savez que vous serez encore là dans deux ans. Est-ce plus confortable ?Je ne sais pas si c’est plus confortable. Sachant que ce sera toujours moi après la Coupe du monde, ça peut éviter certains débordements de la part des joueurs.
On parle beaucoup de Zinédine Zidane en ce moment. Et notamment pour vous succéder. Blanc, Deschamps, Zidane, ce serait une suite naturelle ?Je ne sais pas si c’est naturel. Comme Laurent ou moi, Zizou a pris une décision importante : il veut être entraîneur. Je ne sais pas où et quand, mais il le sera. Et à partir du moment où il a décidé qu’il serait sur un banc de touche, il est susceptible d’être sélectionneur de la France ou d’un autre pays. Et avec l’histoire qu’il a avec ce maillot, il est possible que ça lui arrive.
Il y aura une pression supérieure en 2016 ?J’en tremble... Je n’ai aucune pression, sincèrement. Ce n’est que de l’adrénaline. La pression, c’est négatif. L’obligation de résultats, quand on est au haut niveau, elle est permanente, à la maison comme ailleurs.
C’est la réalité. Ce n’est pas le résultat coûte que coûte, évidemment, il y a aussi la manière ; mais ça change tellement de choses, un poteau rentrant et un poteau sortant à la 90e minute. Alors, oui, il n’y a que le résultat qui compte.
On vous a toujours collé cette étiquette, pas forcément très amicale, de « gagneur »...Je préfère qu’on me dise que je suis un gagneur qu’un loser. A partir du moment où j’ai été habitué au haut niveau en tant que joueur, j’ai ça dans la tête, oui. Je ne joue pas pour jouer. Je ne sais pas jouer pour jouer. Même maintenant. Je prends plaisir à pratiquer d’autres sports, mais je fais toujours en sorte de vouloir gagner. Après, je ne gagne pas toujours, mais assez souvent quand même...
Il y a un autre « gagneur ». Il s’appelle Sepp Blatter et il est candidat pour un cinquième mandat...[Il interrompt.] Là nous entrons dans la politique...
Non...Ah ben si, c’est de la politique, mais bon...
C'est du football, c’est le patron du foot...Patron de la FIFA [la Fédération internationale de football].
N'est-ce pas le mandat de trop ?Je n’ai aucun avis, sincèrement.
Sincèrement ?Ça ne me regarde pas. S’il estime qu’il a envie de continuer et qu’il est élu… Voilà, ça ne va pas changer ma vie.
Quand Blatter décide d’organiser une Coupe du monde au Qatar en 2022, cela a tout de même une petite incidence sur votre boulot...Ça, c’est déjà décidé, que M. Blatter se représente et soit réélu ou pas. 2018 et 2022, c’est fixé. Par rapport au choix du Qatar, faire jouer là-bas une Coupe du monde en plein été, ça semble impossible. L’unique possibilité, c’est de la jouer en hiver.
Michel Platini aurait bien envie d’être patron de la FIFA depuis plusieurs années...[Il interrompt.] Je ne sais pas, je ne lui en ai pas parlé.
Platini serait un bon président de la FIFA ?Certainement, oui. C’est une personne qui a une énorme expérience, qui vient du foot. Mais pour le moment, il ne se présente pas. Il est président de l’UEFA [l’Union des associations européennes de football] et il est très bien dans ce rôle-là.
Une dernière question. Quelle image gardez-vous de la victoire face au Brésil en finale du Mondial 1998 ?Je vais être égoïste, pour une fois : quand je soulève la Coupe. Quand on est footballeur professionnel, il n’y a rien de plus beau. C’est l’apothéose. Brandir le trophée, c’est le privilège du capitaine. J’ai été le premier, alors j’ai pris le temps de savourer.
Et le seul...Le premier, mais, j'espère, pas le dernier.