" Un peu minable, un peu pathétique »
JEAN-CLAUDE DASSIER rompt le silence pour évoquer son éviction de la présidence de l’OM en juin 2011.
Il règle ses comptes avec Vincent Labrune, qui lui a succédé, et Didier Deschamps, l’entraîneur.
Même si ses amis lui trouvent « meilleure mine », Jean-Claude Dassier (70 ans) n’a toujours pas digéré son éviction de la présidence de l’Olympique de Marseille, le 9 juin 2011. Près d’un an après sa révocation et celle de son directeur général, Antoine Veyrat, par le conseil de surveillance alors présidé par son successeur, Vincent Labrune, l’ancien directeur de l’information de TF 1a reçu L’Équipeà son domicile parisien, en début de semaine. Pour dire ce qu’il avait sur le coeur et tordre le cou aux thèses de Labrune. Des « bobards » , selon Dassier,
qui n’épargne ni Didier Deschamps, l’entraîneur de l’OM, ni son agent, Jean-Pierre Bernès. Entretien musclé.
« VOUS AVEZ ÉTÉ limogé le 9 juin 2011. Pourquoi avoir tant attendu avant de vous expliquer ?– Désormais, chacun peut juger du travail des uns et des autres. J’ai laissé un club en bonne santé, avec des résultats (1). Aujourd’hui, il ya beaucoup de vaisselle cassée dans le placard. L’ambiance qui règne à l’OM n’est plus susceptible de produire de bons résultats. Il me semble que quelque chose s’est rompu dans la mécanique.
J’espère que c’est réparable. Et j’éprouve beaucoup de tristesse.
– Vincent Labrune estime que vous avez plongé les finances du club dans le rouge, notamment lors du mercato de l’été 2010, en recrutant André-Pierre Gignac (18 M) et Loïc Rémy (13 M).– Ces accusations sont scandaleuses. Au-delà de 50 000 euros de dépense, je devais avertir le conseil de surveillance, ce que j’ai fait. Ni Antoine Veyrat, mon directeur général, un professionnel sérieux, ni moi-même ne nous serions lancés dans ces transferts si nous n’avions pas eu l’aval de ce conseil et de son président (Vincent
Labrune), qui était un ami. Son comptable était régulièrement dans nos locaux. Tout était sous contrôle. Ce qui
est certain, c’est qu’il fallait renforcer l’équipe après les départs de Niang (Fenerbahçe) et Ben Arfa (Newcastle).
On a d’abord suivi les recommandations de Deschamps pour Gignac. Puis, Deschamps m’a demandé, deux ou
trois jours après l’arrivée de Gignac, de faire venir Rémy, puisque l’on n’avait pas recruté Alou Diarra. Ces transferts n’ont en aucun cas mis les finances de l’OM en danger.
– Mais le trou de trésorerie de 16 mi l l i on s d ’ eu r o s en juillet 2011 qu’évoque Labrune ?– C’est un mensonge pur et simple. Il fallait un motif pour habiller sa prise de pouvoir. Notre procès en mauvaise
gestion a surpris tout le monde, d’autant que ce cher Labrune expliquait que je n’étais qu’une marionnette,
que le vrai patron, c’était lui. Quelle rigolade ! À un moment, il faut savoir ce que l’on veut.
– Vous semblez bien sûr de vous…– En juin 2010, nous étions l’un des trois clubs de L 1 à l’équilibre (2). Je ne vois pas comment mon successeur se
permet de me faire des reproches absolument mensongers et calomnieux, dans la mesure où ce n’est pas
moi qui ai clôturé les comptes en juin 2011. J’ai été viré le 9 juin. Je n’ai pas fait le mercato. Je n’aurais pris
aucune des décisions prises après mon départ. Avant de me faire congédier, j’avais présenté les finances du club à la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion). J’avais annoncé la couleur. Je voulais faire baisser la
masse salariale et réaliser une plus value sur les ventes de joueurs de 6 M. Il n’y avait pas eu la moindre
remarque. On aurait peut-être eu une équipe un peu affaiblie. Peut-être, car quand je vois les résultats cette saison (Marseille a terminé 10e), tout cela reste à démontrer.
– Pourquoi avez vous été remercié, alors ?– C’est un petit complot un peu minable, un peu pathétique. Je suis victime d’un procès destiné à habiller une volonté, non scandaleuse, celle de M. Labrune de devenir président. Il en avait le droit. Ce que je conteste, ce
sont ses commentaires. C’est inacceptable. J’avais encore un an de contrat. Je demande qu’on le respecte. Le lourd préjudice dans cette affaire, c’est moi qui le porte. J’ai été viré avec une brutalité inouïe, sans avoir la moindre mise en garde. J’ai une carrière sans tache et je ne vais pas accepter ce procès qui ne correspond à aucune réalité.
– Votre litige sera examiné ces prochains jours (la première audience est programmée jeudi 31 mai) par la justice. Vous réclamez 1,7 million d’euros à l’OM. Vous avez opté pour une procédure privée, celle de l’arbitrage.
Pourquoi ?– Mais parce que c’était dans le contrat. Ce n’est pas moi qui l’ai rédigé. C’est une procédure classique, plus
rapide, je l’espère. Il y a des dizaines d’affaires à l’arbitrage. Il n’y a rien d’anormal ou de critiquable.
– En tant que gestionnaire, vous estimez n’avoir commis aucune faute ?– La seule grosse trouille que j’avais, c’était qu’on ne se qualifie pas pour la Ligue des champions. Il aurait manqué 22 ou 23 millions d’euros. Mais on aurait trouvé des solutions. Comme Labrune va devoir en trouver. La cession des droits commerciaux qu’il envisage, on y avait pensé. Labrune était contre, à l’époque. Mais il a le droit de changer d’avis. Une certitude : les recrutements avec les gros salaires, à part au PSG, c’est fini. Il faut une ossature locale, faire de bons coups comme Mandanda, Valbuena, Kaboré ou les frères Ayew, croire, à moyen terme, au centre de formation.
– À vous entendre, vous avez été victime de l’ambition de Vincent Labrune.– L’histoire est simple. En 2009, Labrune coupe la tête de Pape Diouf (président depuis 2004). Il fallait voir
ce qu’il balançait sur son compte dans les dîners parisiens. Je lui répétais : “Labrune, sors du bois. Prends le
job !” Il me l’a proposé. Ça a trop bien marché, et il ne l’a pas supporté. Les victoires, ce n’étaient pas les siennes. Il a coupé la tête de deux présidents en trois ans. On a les bilans qu’on peut.
– Vous n’avez jamais caché votre amertume à l’encontre de Didier Deschamps. Pourquoi ?– Qu’il se soit associé au petit complot afin d’avoir 20 millions d’euros à investir sur de nouveaux joueurs, bénéficier lui-même d’une prolongation de deux ans et d’une sympathique augmentation à la clé, de permettre à son agent, Jean-Pierre Bernès, de transférer Alou Diarra de Bordeaux à l’OM, je veux bien. Ce ne sont plus mes affaires. Mais qu’il n’ait pas eu un mot, un SMS, après deux ans de bonne collaboration, c’est quelque chose que je ne peux pas comprendre. On peut être en désaccord. On peut s’engueuler. Mais on s’explique. C’est le seul du staff à s’être comporté ainsi. Le seul. Tous m’ont mis un petit mot amical. C’est son caractère. Sa personnalité. Dommage.
– Vous a-t-il déçu ?– Son attitude m’a beaucoup choqué. Pour moi, c’était un dieu. Une icône. J’avais beaucoup d’admiration pour
lui. C’est un remarquable technicien du football. Mais comment peut-il humainement faire un truc pareil ? Je
me demande si sa personnalité n’explique pas une partie des difficultés du club cette année. Dans sa relation
à l’autre, aux autres, à son vestiaire, il est très compliqué.
– Pensez-vous vraiment que Bernès influence Didier Deschamps ?– C’est le très mauvais conseiller de Deschamps. Il a une relation avec Marseille dont il ne guérira jamais. À Marseille, tout est fait dans les règles, il n’y a pas de manipulation. Peut-être voulait- il prendre une revanche, mais ce n’est pascomme ça que ça fonctionnera. Son obsession sur Marseille et Anigo (le directeur sportif) ne repose sur rien de sérieux. Rien.
– En 2011, votre relation avec Deschamps s’était largement dégradée…– Aprèsle titre de 2010, je lui offre une prolongation d’un an, jusqu’en 2012, avec, à la clé, une augmentation de
salaire loin d’être négligeable. Au printemps 2011 fleurissent des rumeurs sur son départ. Enfin comment, après,
peut-on reprocher aux joueurs de ne pas respecter leur contrat et avoir une attitude aussi ambiguë ? Ce n’est pas
acceptable. Moi, j’étais persuadé qu’il resterait, mais je ne voulais pas sortir du cadre que j’avais défini. Un recrutement avec des joueurs libres, essentiellement. Ça ne collait pas aux exigences de Deschamps. Il en veut toujours un peu plus. Je ne pouvais plus suivre, à un moment. Quand on perd Azpilicueta sur blessure (rupture des ligaments croisés du genou gauche) en décembre 2010, il veut Fanni. Pour moi, c’était trop cher. Vous savez qui a appelé le président de Rennes, Patrick Le Lay ? Labrune, qui nous reprochera après de trop dépenser ! On a fait le transfert pour suivre les volontés de Deschamps avec la bénédiction de Labrune. Labrune est arrivé en juin et a amené l’argent que je ne voulais pas demander à Margarita Louis-Dreyfus.
– Quelles relations entretenez vous avec celle qui est l’actionnaire majoritaire du club ?– Nos rapports sont excellents. Si elle a eu un tort, dont je ne lui tiens pas rigueur, c’est de croire aux bobards
qu’on lui a racontés. Elle est en train de prendre conscience que je n’étais pas un si mauvais président que ça. Nous avons échangé des textos il y a quelques jours. Je voulais la prévenir que j’allais vous parler. Elle m’appelle
“cher Jean-Claude”. Tout va bien.
– Revenons à Deschamps. Ne pouvez-vous pas comprendre que son conflit avec José Anigo, le directeur sportif, l’ait usé ?– D’entrée, il était clair qu’ils auraient du mal à travailler ensemble. Deschamps et Bernès, car on ne peut pas
les séparer, souhaitaient que le pouvoir soit clairement installé entre eux et moi. J’ai refusé : c’était mauvais
pour le club.
– Pourquoi n’avez-vous pas tranché ?– Entre Anigo et Deschamps, ce n’était pas la franche amitié, mais ça fonctionnait. Ce n’était pas idéal mais j’ai évité le clash. J’avais encore un an de contrat et je me sentais capable de prolonger leur cohabitation. Ce n’est
jamais bon de donner tout le pouvoir à un entraîneur. Tous les transferts, sans exception, ont été décidés
par Didier et validés par moi. José, lui, préparait les conditions du transfert, et ça fonctionnait très bien.
– Anigo, à vos yeux, est donc un directeur sportif compétent.– Quand je suis arrivé, je connaissais son image. Mais moi, je m’intéresse aux faits. Et donc, à son travail. Je n’ai
rien à lui reprocher. Il a toujours été au service du club. On a parlé de son influence sur le départ de Niang en août 2010. Mais ce n’est pas Anigo qui l’a fait partir. C’est moi. Je considérais qu’on devait faire cette opération. Je l’ai imposée.
– Avez-vous des regrets ?– Laisser partir Ben Arfa, un vrai talent, a été une erreur. Même s’il avait des rapports détestables avec Deschamps. Pourquoi les Anglais ont-ils réussi à le mettre en confiance et pas nous ? Mais pourquoi la
meilleure défense cette saison est-elle celle de Montpellier, avec Bocaly et Hilton, deux ex-Marseillais
dont Deschamps ne voulait plus ? Ce qu’il manque peut-être, c’est un état d’esprit, la volonté de gagner ensemble. J’ai toujours considéré Valbuena comme un phénomène. Je l’ai toujours défendu, ce qui n’a pas été le cas de tout le monde.
– Avez-vous géré avec suffisamment de fermeté les écarts extra-sportifs de certains joueurs ?– J’aurais peut-être pu être plus sévère devant le comportement de certains. Mais ça n’a pas si mal marché.
– Avec le recul, regrettez-vous d’avoir critiqué Pape Diouf (président de 2004 à 2009), votre prédécesseur ?– Mais je n’ai absolument rien contre lui. Pape Diouf a fait du bon boulot, je le sais et je l’ai dit. Quand Labrune est
arrivé à Marseille, en juin dernier (en tant que président), il a finalement trouvé des qualités à Pape Diouf. Donc,
j’ai bon espoir qu’il reconnaisse éventuellement que j’ai pu faire quelque chose de bien (ironique).
– Vous pourriez revenir à la tête d’un club ?– Oui, mais dans un tout autre schéma. Àla tête d’un club moyen qui a des ambitions élevées, bien sûr, mais qui
bâtit en misant sur la formation et un recrutement malin. Les résultats seraient inégaux, mais ce serait amusant.
»
HERVÉ PENOT et RAPHAËL RAYMOND
1) Sous sa présidence, Marseille a remporté un titre de champion de France (2010), deux Coupes de la Ligue (2010 et 2011) et un Trophée des champions (2010).
(2)Au30 juin 2010, l’OM présentait un bilan à l’équilibre, comme Monaco et Rennes. Mais Boulogne (+ 0,2 M),
Montpellier (+ 0,4 M), Bordeaux (2,2 M) et Lorient (+ 2,8 M) présentaient, eux, des comptes excédentaires.
Citation (Bob @ 24/05/2012 09:51)

J'ai le journal sous les yeux, mais l'interview est assez longue à retranscrire.

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