le 15 octobre 2010
Objet : Saisine de l’Inspection Générale des Services
Madame, Monsieur l’Inspecteur,
Dans le cadre de notre interpellation du 7 août dernier qui s’est déroulée avenue du Général Sarrail (16ème arrondissement de Paris) à la suite d’une manifestation pacifique, nous souhaitons saisir l’Inspection Générale des Services afin qu’une enquête soit ouverte sur les conditions de l’interpellation et du traitement des manifestants par les services de police impliqués.
Nous vous prions de bien vouloir trouver ci-dessous nos observations et commentaires.
A Description du contexte et des faits
Le 7 août 2010 nous avons participé à une manifestation pacifique dans le quartier du Parc des Princes pour protester contre la nouvelle politique d’abonnement du club du Paris Saint-Germain. La manifestation s’est déroulée sous la forme d’une courte marche de la place de la porte d’Auteuil, le long de l’avenue du Général Sarrail, jusqu’au stade Jean Bouin où un barrage de CRS a été dressé pour empêcher les manifestants d’avancer vers le Parc des Princes. Entre 200 et 300 personnes ont pris part à la manifestation. Si une autre manifestation avec les mêmes revendications se déroulait en même temps du côté de la Porte de Saint-Cloud et à la suite de laquelle 4 personnes ont été déférées devant la justice, notre manifestation s’est déroulée dans le calme et sans encombre. En effet aucun
délit ou voie de fait n’a été commis, comme l’a confirmé un gardien de la Paix en fonction au STADE (commissariat situé au 45 boulevard Garibaldi à Paris 15ème). De plus, aucun blocage des personnes souhaitant accéder au Parc des Princes n’a été fait, aucune violence ou voie de fait à l'égard des forces de l'ordre et aucun jet de projectile n’a été commis alors que ces faits nous ont ensuite été reprochés par le préfet de police dans un arrêté d’urgence.
Le rassemblement était encadré par les forces de l’ordre depuis le début du regroupement vers 16 heures aux alentours de la place de la porte d’Auteuil jusqu’à sa fin, sans qu’à aucun moment, un policier, CRS ou autre représentant des forces de l’ordre ne nous avertisse que la manifestation n’était pas autorisée. Au contraire, les forces de l'ordre nous ont donné le feu vert pour le départ du cortège et nous ont escortés (allant jusqu'à bloquer une file de bus pour nous laisser progresser le long de l’Avenue du Général Sarrail).
Plusieurs barrages ont été dressés de telle sorte qu’à partir de 19h30, il n’était plus possible de quitter l’avenue du Général Sarrail. La seule condition pour entrer et sortir du périmètre encerclé par les CRS était la possession d’un billet pour le match de football entre le Paris Saint-Germain et l’AS Saint-Etienne qui s’est déroulé à partir de 21h au Parc des Princes. Ainsi les manifestants qui détenaient des billets ont pu quitter le périmètre encerclé.
Les forces de l’ordre ont maintenu ce périmètre pendant plus de deux heures nous encerclant et ont restreint ce périmètre aux alentours de 20h45. Nous avons été informés que nous allions être escortés pour dispersion. Or, nous avons finalement été acculés à une grille d'immeuble dans un espace inférieur à 15m² pendant près d'une heure, sous la pluie, en attendant l’arrivée d’un car de police. A aucun moment nous nous sommes opposés aux forces de l’ordre.
Vers 22h, nous avons été fouillés énergiquement et embarqués dans un car de police puis emmenés au commissariat de la rue de Clignancourt (Paris 18ème). L’unique motif de l’interpellation est le suivant : « participation à un manifestation non autorisée ». Aucun délit ou voie de fait ne nous a été reproché. Nous avons été placés en rétention avec contrôle d’identité pour être auditionnés. Lors de la rétention nous étions placés dans deux cellules. On comptait ainsi une trentaine d’individus par cellule. Depuis, nous avons tous été interdits de stade. Dans un premier temps pour 1 mois « au titre de l’urgence » et dans un second cas, pour une grande partie d’entre nous, pour 6 mois.
B Observations du comportement des services de police lors de la manifestation
I. Sur le caractère non autorisé de la manifestation
Comme précisé dans la description des faits, aucun policier, CRS ou autre représentant des forces de l’ordre ne nous a avertis que la manifestation n’était pas autorisée. Au contraire, les forces de l'ordre nous ont donné le feu vert pour le départ du cortège et nous ont escortés (allant jusqu'à bloquer une file de bus pour nous laisser progresser).
A aucun moment, un représentant des forces de l’ordre n’a tenté de nous disperser alors que l’article 431-3 du Code Pénal, modifié par la loi n°2009-971 du 3 août 2009 - art. 5, prévoit qu’ « Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet, adressées par le préfet, le sous-préfet, le maire ou l'un de ses adjoints, tout officier de police judiciaire responsable de la sécurité publique, ou tout autre
officier de police judiciaire, porteurs des insignes de leur fonction ».
Nous comprenons donc que cette manifestation n’a pas eu pour effet de troubler l’ordre public.
II. Sur le périmètre encerclé par les forces de l’ordre
Les forces de l’ordre nous ont empêchés de quitter un périmètre encerclé par les CRS. Seulesles personnes munies de billets pour le match pouvaient entrer et quitter ce périmètre (dont une partie des manifestants). Il suffisait ainsi de posséder un billet pour le match pour éviter l’interpellation.
La décision de sortie du périmètre était assurée par des salariés du Paris Saint-Germain qui étaient placés devant le barrage de CRS. Ainsi, ces salariés se sont substitués aux forces de l’ordre. Des CRS ont pointé des flash balls sur des manifestants qui n’ont pas démontré de comportement hostile.
C Observations du comportement des services de police lors l’interpellation
Comme précisé dans le descriptif des faits, nous avons été embarqués dans un car de police et emmenés au commissariat de la rue de Clignancourt (Paris 18ème). Nous étions ainsi une soixantaine dans un seul car de police dans des conditions dangereuses (manque de place, impossibilité pour tous les interpellés d’êtres assis ou de se tenir à un objet stable, conduite dangereuse du véhicule).
D Observations du comportement des services de police au commissariat
I. Sur le non-respect du délai légal du contrôle d’identité
D’après l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale : « La personne qui fait l'objet d'une vérification ne peut être retenue que pendant le temps strictement exigé par l'établissement de son identité. La rétention ne peut excéder quatre heures, ou huit heures à Mayotte, à compter du contrôle effectué en application de l'article 78-2 et le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment ».
Or, nous n’avons plus été autorisés à quitter le périmètre encerclé par les CRS aux alentours de 19h30 et les derniers interpellés ont pu quitter le commissariat aux alentours de 2 heures du matin. Nous avons donc été retenus pendant environ 7 heures.
II. Sur le contenu abusif de la rétention
Lors de la rétention les policiers:
- ont relevé nos identités
- nous ont photographiés avec une feuille sur laquelle été inscrit notre nom et notre date de naissance
- nous ont auditionnés en posant des questions hors contexte.
Nous comprenons de l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale que seul un refus de décliner son identité peut justifier la prise de photographies et que la prise de photographies doit être mentionnée et spécialement motivée dans le procès-verbal : «Si la personne interpellée maintient son refus de justifier de son identité ou fournit des éléments d'identité manifestement inexacts, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, à la prise d'empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l'unique moyen d'établir l'identité de l'intéressé. La prise d'empreintes ou de photographies doit être mentionnée et spécialement motivée dans le procès-verbal prévu ci-après ».
Or, la prise de photographies n’a jamais été mentionnée ou motivée dans le procès verbal que nous avons signé et nous n’avons pas été informés d’une quelconque autorisation du procureur de la République ou d’un juge d’instruction.
Parmi les questions posées, les policiers nous ont demandé notamment de leur communiquer notre salaire, le nom et adresse de l’employeur, l’appartenance à une association de supporters, la fréquence de la présence aux matchs de football, l’adresse complète (étage, porte, digicode), notre qualité d’occupant du logement (locataire, propriétaire…), numéro d’abonné au Paris Saint-Germain.
Lors de l’audition, les policiers avaient la volonté de nous faire dire que nous avions empêché l’accès au stade aux spectateurs munis de billets. Par ailleurs, nous n’avons pas pu prévenir nos proches. Cette demande nous ont été refusée par les policiers. Certains manifestants ont subi des humiliations, moqueries, intimidations, menaces et
violences de la part des policiers du commissariat. Un policier a notamment déclaré devant toute une cellule à un individu : « on a qu’à régler ça derrière le commissariat ». Ce policier a également été insultant à l’égard de plusieurs
interpellés. Il a également menacé de nous garder toute la nuit en cellule malgré les dispositions de l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale. Les policiers ont refusé de remettre le procès-verbal de l’audition à ceux qui en ont fait la
demande, malgré les dispositions de l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale : « Le procès verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l'intéressé dans le cas prévu par l'alinéa suivant ».
E Conséquences
I.Après l’interpellation
Plusieurs convocations au STADE (commissariat Necker dans le 15ème arrondissement de Paris) pour la remise dans un premier temps d’une notification d’interdiction de stade d’urgence pour une durée d’un mois (avec obligation de pointage à deux reprises) à chaque match du Paris Saint-Germain (même à l’étranger), puis dans un deuxième temps, la remise d’une lettre d’intention expliquant que le préfet de police envisage d’interdire les manifestants
de stade pour une durée de 6 mois.
II Concernant la première interdiction administrative de stade (IAS).
Alors que deux manifestations (aux revendications similaires) se déroulaient en même temps dans le quartier du parc des Princes, et que la manifestation qui s’est déroulée le long de l’avenue du Général Sarrail n’a donné lieu à aucune violence, voie de fait envers les forces de police ou blocage des personnes souhaitant accéder au stade, tous les manifestants ont reçu la même lettre (d’interdiction administrative de stade au titre de l’urgence pour une durée d’un
mois) qui reproche les faits suivants: « s’est fait remarquer par son comportement violent », « s’est employé à bloquer l’accès du stade aux spectateurs munis de billets », « a fait partie des manifestants qui se sont opposés physiquement à cette opération en refusant de respecter les injonctions policières, en chargeant les forces de l’ordre, en les invectivant et en lançant des fumigènes allumés ou tout autre objet en leur possession sur les policiers, risquant de provoquer des blessures aux personnes ou des dégradations de biens ».
Ceci prouve que les dossiers n’ont pas été traités au cas par cas et que le préfet de police a regroupé tous les manifestants même s’ils ne se trouvaient pas au même endroit.
III Concernant la lettre d’intention pour interdiction administrative de stade (IAS) de 6 mois.
Tous les faits reprochés dans la première IAS ont été abandonnés. Les seuls faits reprochés sont les suivants « manifestation devant un barrage de police […] bloquant ainsi l’accès au stade aux spectateurs munis de billets ».
Or, nous n’avons pas manifesté devant un barrage de police. Nous nous sommes retrouvés devant le barrage de police car nous ne pouvions plus quitter le périmètre encerclé par les CRS malgré notre volonté de quitter les lieux. Les spectateurs munis de billets (dont certains manifestants) ont pu accéder sans problème au stade. Ils ont simplement dû attendre devant un barrage filtrant comme c’est le cas lors de chaque rencontre du Paris Saint-Germain (depuis le mois de mars 2010).
Cette lettre invoque l’article 332-16 du Code du sport qui précise que « Lorsque, par son comportement d'ensemble à l'occasion de manifestations sportives ou par la commission d'un acte grave à l'occasion de l'une de ces manifestations, une personne constitue une menace pour l'ordre public, le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public ».
Ces conditions ne sont pas remplies. De plus les forces de l’ordre ont filmé le déroulement de la manifestation ainsi que les manifestants. Le préfet de police n’a visiblement pas utilisé les images disponibles avant de rédiger la lettre d’intention.
III Concernant l’interdiction de stade définitive (IAS) de 3 à 6 mois.
La plupart des manifestants (sauf les mineurs et les personnes non-domiciliées en France) ont reçu leur interdiction de stade (IAS) pour une durée variable. Il semblerait ainsi que ces interdictions de stade ont été prononcées de manière expéditive et que les moyens mis à disposition des forces de l’ordre (vidéos, auditions, témoignages de policiers présents sur les lieux) n’ont pas été utilisés. D’ailleurs, la majorité des personnes interpellées n’ont jamais eu de problème autour ou dans un stade de football et n’avaient jamais été interdites de stade auparavant.
E Conclusion
Compte tenu des éléments exposés ci-dessus, nous vous demandons de bien vouloir ouvrir une enquête sur les agissements des forces de l’ordre et les conditions de l’interpellation en marge de cette manifestation pacifique du 7 août 2010 mais également sur le l’excès de droit commis par les forces de l’ordre lors de la rétention qui n’ont pas respecté les dispositions de l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale.
Nous comprenons que ces interpellations ont été organisées dans le seul but d’interdire de stade un maximum de personnes qui ont manifesté leur désaccord avec la nouvelle politique du club. Nous avons d’ailleurs appris, par voie de presse, que le préfet de police a signé l’interdiction de stade au titre de l’urgence le jour même de l’interpellation.
Ceci indique qu’il a pris sa décision sans même avoir consulté les auditions. Nous vous remercions de la bienveillance avec laquelle vous traiterez cette demande et vous prions d’agréer, Madame, Monsieur l’Inspecteur, l’assurance de nos salutations distinguées.
Les membres du Collectif 07/08