Universités : le rattrapage des cours s'organise
Après dix semaines de contestation dans les universités, comment les étudiants vont-ils valider leur année ? La question est épineuse, car une part importante des enseignements n'a pas été dispensée. L'enjeu est de faire passer des examens du second semestre qui ne soient pas de pure forme.
Pour résoudre le problème, les universités répondent chacune à leur manière, car la quantité de cours perdus est très variable selon les situations locales et, au sein d'un même campus, selon les unités de formation et de recherche (UFR). Les vacances de printemps, d'une durée différente selon les UFR, sont mises à contribution pour cet effort collectif de "rattrapage".
Mais cela ne va pas sans des polémiques quant aux conditions de validation du semestre. Les acteurs du mouvement de protestation eux-mêmes sont divisés sur le sujet. Réunie le 6 avril à Asnières (Hauts-de-Seine), la huitième Coordination nationale des universités avait déclaré dans une motion qu'elle "soutenait" les instances universitaires "qui décideraient la validation automatique du semestre pour les étudiants et l'obtention de la note nécessaire pour s'inscrire dans la formation de leur choix". Une perspective que l'association Qualité de la science française, également partie prenante de l'actuel mouvement, juge "inacceptable". Même position pour la Conférence des présidents d'université (CPU), qui s'est prononcée pour la reprise la plus rapide possible des cours : "Pas question d'accepter un semestre blanc. Aucun diplôme ne peut être bradé", a assuré son président, Lionel Collet, de Lyon-I. La CPU devait revenir sur cette question lors d'une réunion plénière jeudi 16 avril.Le syndicat étudiant UNEF et le Snesup-FSU, première organisation parmi les enseignants-chercheurs, ont signé ensemble le 8 avril un communiqué pour demander des "garanties" sur la tenue des examens, en premier lieu qu'ils "ne portent que sur les cours effectivement réalisés". Ces organisations reprochent à la ministre de l'enseignement supérieur, Valérie Pécresse, de "dramatiser" la question des examens. Les deux syndicats soulignent que l'expérience des mobilisations passées et la souplesse du calendrier universitaire "laissent des marges de manoeuvre que la ministre feint d'ignorer".
SAMEDIS, SOIRS ET JOURS FÉRIÉS
Sur le terrain, chaque université prend ses dispositions. A l'université de Perpignan Via Domitia (UPVD), petit établissement pluridisciplinaire, des cours de rattrapage ont démarré lors des vacances de printemps. Ils se poursuivront certains samedis et lors des jours fériés à venir. Cet agenda, souligne la présidence de l'université, a été déterminé par les enseignants-chercheurs : "Ils veulent à la fois assurer les cours et continuer les actions, notamment les jours de manifestation."
A Saint-Etienne, (14 000 étudiants), le président, soutenu par son conseil d'administration, a exclu que le semestre soit "donné" et pose comme condition qu'au moins 75 % du programme soient traités en cours. "Les cours ont commencé à reprendre la semaine dernière", sur les vacances, explique le vice-président délégué à la recherche, Michel Rautenberg. Pour éviter tout incident avec les partisans du blocage, de nombreux cours ont lieu dans les locaux de la faculté de médecine ou de l'Institut universitaire de technologie (IUT). Le rattrapage passe par la possibilité de suivre des cours le samedi ou le soir, et de charger les emplois du temps hebdomadaires. Si nécessaire, certains examens prévus en juin seront repoussés à septembre.
En vacances jusqu'au 20 avril, l'université de Bretagne-Sud (UBS) à Lorient n'aura "pas de problème si la décision est prise d'arrêter le blocage", assure Frédéric Bedel, vice-président du conseil des études et de la vie universitaire. Sur quatre composantes, réunissant 6 000 étudiants, seule celle de lettres a fait l'objet d'un blocage, qui a duré six semaines et a touché environ 1 400 étudiants. "Normalement, explique M. Bedel, l'UBS s'arrête début mai pour une reprise le 3 septembre. Nous allons simplement prolonger les cours jusqu'en juin. Mais bien sûr, si le blocage était reconduit, il faudrait imaginer une autre solution."
Egalement en vacances jusqu'au 20 avril, l'université Toulouse-III Paul-Sabatier a connu de deux à trois semaines de blocage suivant les filières. Le 1er avril, par référendum à bulletins secrets, la poursuite du mouvement sans blocage a été votée par les professeurs, les étudiants et les personnels administratifs. Il a été décidé que des espaces de discussion seraient mis à disposition de ceux qui voudraient continuer le mouvement. Des rattrapages des cours seront mis en place le soir et le samedi.
Pour les formations de niveau licence, certains examens de la deuxième session seraient repoussés jusqu'à la semaine du 31 août au 4 septembre. Les examens de master, eux, pourraient rester dans la limite de l'année universitaire dont la fin est prévue le 4 juillet.
"Nous n'avons pas d'inquiétude sur la tenue des examens", explique de son côté la présidence de l'université d'Evry - 10 000 étudiants dans toutes les disciplines. " Il est cependant possible que ceux-ci, prévus le 23 mai, soient reportés de quinze jours, si nécessaire. Reste à savoir si le mouvement est terminé..." L'université a seulement "quinze jours à rattraper", précise-t-on à la présidence. Ce rattrapage a déjà commencé pendant les vacances de Pâques et se poursuivra en prolongeant les journées jusqu'à 20 heures.
La mobilisation continue à Caen (Calvados) : au retour des vacances, le 20 avril, des demi-journées devraient être déclarées sans enseignement, les mardis et jeudis. Etablissement pluridisciplinaire de 24 000 étudiants, l'université normande a vu ses cours interrompus, selon les UFR, d'une à huit semaines, indique Françoise Epinette, vice-présidente de l'établissement. Là encore, le rattrapage devrait s'effectuer en prolongeant les enseignements jusqu'à 20 heures et le samedi matin. Les examens pourraient être repoussés, d'une semaine ou deux.
"Nous n'avons pas d'inquiétude, à condition que la minorité d'étudiants radicaux ne provoque pas un blocage des bâtiments. Là, nous serions très mal... En tout cas, conclut la vice-présidente, notre principe est de ne pas délivrer de diplômes sans examens. Nous ne voulons pas donner l'image d'une université qui brade ses formations."
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