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UN NOUVEAU DÉSESPOIR
Posté le 29 décembre 2015 par Rafik DJOUMI
Il paraît qu’un nouveau STAR WARS est visible dans les salles depuis le 16 décembre dernier. Impossible de passer à côté de l’évènement (même en allant faire ses courses au rayon papier toilettes), donc voici notre critique de STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE signé J.J. Abrams et les 8734 actionnaires de Disney. On prévient les quelques étourdis qui n’ont pas encore vu la chose : ça spoile sévère !
Malgré un accueil démesurément enthousiaste de la part de la critique dite institutionnelle, STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE affronte depuis sa sortie un mur de résistance sur Internet émanant de ceux qu’on appelle « les fans », une communauté en réalité difficilement identifiable si on ne prend pas le temps de déterminer ce qui lui confère ce statut dans un monde où tout le monde est plus ou moins « fan de STAR WARS ». Et à y regarder de près, une grande partie des reproches formulés par ces « fans » à l’encontre de ce nouveau film (comédiens parfois en roue libre, intrigue simpliste, multiples incohérences, recours à trop de Deus Ex machina, etc.) pourraient être retrouvés à l’identique dans la presse de 1977. Ce qui aurait changé en quatre décennies est la répartition des rôles, avec une institution qui promeut ce nouveau film que la fanbase écarte avec dédain. Ce qui n’est certainement pas hasardeux. La critique la plus impartiale de STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE ne pourrait être conçue que par une personne n’ayant jamais vu LA GUERRE DES ÉTOILES mais qui soit tout de même familière des techniques et de l’Histoire du cinéma. Or, les probabilités qu’une telle personne puisse exister sur Terre sont quasi-nulles. C’est bien ce qui rend la contextualisation absolument incontournable lorsqu’on approche la critique de n’importe quel film de cette saga. Car malgré la dizaine de milliers de mensonges (par ignorance) commis chaque année par les médias, LA GUERRE DES ÉTOILES reste à jamais le plus grand succès « spontané » en salles de tous les temps et très certainement le film le plus vu par les deux dernières générations ; une œuvre qui engage plus que sa simple qualité de film puisqu’elle définit automatiquement, avec une dizaine d’autres films, l’idée même de cinéma à l’échelle de la planète.
Cette contextualisation oblige donc à rappeler ce qu’est à l’origine cette spontanéité de LA GUERRE DES ÉTOILES : un film non attendu, non évènementiel car parfaitement anachronique à l’époque qui le vit naître. Le caprice d’un jeune auteur réputé expérimental et qui fut originellement budgété à 3,5 millions de dollars, avant dépassements. Un « truc à la Flash Gordon » comme l’appelait Ned Tannen chez Universal, qui refusa ce projet si peu conforme aux attentes du public. Un « film de Noël avec un chien géant » comme le surnommèrent certains cadres dubitatifs de la 20th Century Fox. Ce n’est qu’en ayant bien à l’esprit sa « petitesse » et son « insignifiance » originelle que l’on peut commencer à mesurer l’anomalie que représente le « phénomène STAR WARS ». Le succès de l’année 1977 pour la Fox aurait dû être DE L’AUTRE CÔTÉ DE MINUIT, avec Marie-France Pisier, et certainement pas une histoire de conflit galactique. Si LA GUERRE DES ÉTOILES est souvent cité comme une date-clé, une sorte d’année zéro de la culture geek, c’est parce que l’éclosion anormale de son succès à la fin-mai, l’affluence stupéfiante des premiers jours, mit en lumière cette communauté de fadas d’informatique, de maths, d’astronomie et de fantasy, qui existait sous le radar depuis une dizaine d’années. Qu’on le veuille ou non, LA GUERRE DES ÉTOILES en tant que phénomène leur appartient. Il fut leur tract, leur banderole, le film qui chantait leurs aspirations en rupture brutale avec l’époque. L’immense public qui vint en salle durant l’été 1977 ne fit que suivre le buzz initié par cette manifestation. Et ce que la presse de l’époque ne parvenait pas à saisir, même avec la meilleure volonté (pas plus qu’elle ne semble l’avoir pleinement saisi aujourd’hui), c’était précisément la nature de cette aspiration. Pourquoi cette résurgence triomphale des aspects les plus « campy », les plus désuets, de la culture pulp des années 20 et 30 ? L’Amérique du Vietnam et du Watergate avait remisé ses John Carter, ses Buck Rogers et ses Flash Gordon au fond du jardin, dans la caisse des idéaux fantaisistes d’un autre temps. LA GUERRE DES ÉTOILES les ravivait avec force.
Entre les 37 écrans qui accueillirent le film de George Lucas en mai 1977 et les 4000 et quelques écrans réservés au premier week-end de STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE, quatre décennies se sont écoulées à travers lesquelles ces aspirations se sont inscrites dans la réalité du monde. Le rôle historique de ces geeks, qui firent émerger LA GUERRE DES ÉTOILES de son terrier, aura été d’assurer la transition entre le XXème et le XXIème siècle, en concevant sur le plan pratique la révolution informatique et la société de l’information et, sur le plan idéologique, le goût pour l’exploration de vastes univers imaginaires comme terreaux d’expérimentation des possibles ainsi qu’un aperçu des univers parallèles et de la pensée analogique que cette nouvelle société nous impose. Malheureusement, comme tout groupe culturel dont l’impact sur le monde est quantifiable, les geeks contemplent aujourd’hui le renversement de valeurs auquel a mené leur révolution. Leur rêve d’un « power to the people » assuré par le protocole de machines interconnectées ne dépendant pas d’un pouvoir central a fini par générer une concentration délirante du pouvoir en son centre. Leur élan new-age vers une libération de la parole se conclut par la plus effroyable machine de surveillance des masses jamais imaginée. Il était inévitable que, par analogie, la saga STAR WARS épouse ce retournement.
Avant d’aller plus loin, il est important d’identifier les cibles. Dès l’annonce de l’écriture de cet ÉPISODE VII, il était évident que la productrice Kathleen Kennedy et que le réalisateur J.J. Abrams ne bénéficieraient que d’une marge de manœuvre abominablement réduite. La franchise STAR WARS a été acquise à hauteur de quelques milliards de dollars par le studio Disney dans le but avoué d’en calquer l’exploitation sur le modèle des adaptations des super-héros Marvel, c’est-à-dire une mainmise absolue et transmédiatique sur tout cet univers avec pour seul objectif le contentement des actionnaires, autrement dit une rentabilité massive et immédiate qui se doit de multiplier au moins par deux ou trois les résultats plutôt décevants de STAR WARS : ÉPISODE II – L’ATTAQUE DES CLONES et STAR WARS : ÉPISODE III – LA REVANCHE DES SITH. Quels que soient les désirs éventuels de fanboy de J.J. Abrams, ils ne sont qu’une cinquième roue du carrosse. L’orientation créative de cet épisode ne peut se faire qu’avec le nouveau format des études de marché. Autrement dit, chaque fantasme, chaque prise de bec, chaque délire des fans sur les forums Internet (anglo-saxons) y devient un commandement ; et l’on imagine Lawrence Kasdan googliser frénétiquement pour savoir comment Han Solo ou la Princesse Leïa, des personnages qu’il a lui-même contribué à définir, sont censés s’exprimer pour satisfaire l’omniscience autoproclamée de la fanbase. Si tant de spectateurs ont eu la sensation d’avoir affaire à une fan-fiction en découvrant STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE, c’est une tare qui était inscrite génétiquement dans le projet avant même sa mise en œuvre. De toute évidence, l’attachement des fans au « used space » du design de Ralph McQuarrie, leur méfiance vis-à-vis du bestiaire numérique, sont des aspects fanboy que J.J. Abrams partage explicitement. Car la détestation de la prélogie s’est en effet cristallisée autour de ces deux aspects finalement secondaires (le design et le numérique) plutôt que de reconnaître avec simplicité que les épisodes I, II et III étaient d’abord monstrueusement cons et condamnaient de fait n’importe quel design ou effet spécial à participer de l’hérésie ambiante. Mais le recours au « used space » ou aux animatroniques dans ce nouvel épisode n’est plus un choix créatif dépendant des attentes commerciales. Il s’inscrit directement dans la stratégie nostalgique du studio Disney qu’on pourrait qualifier de « cinéma doudou » (©L’ouvreuse) et destiné à couvrir tout film contemporain d’un assaisonnement à base de portion d’enfance fantasmée. L’essentiel de la fan-fiction fonctionne sur ce mouvement régressif, mais ce rôle n’est théoriquement pas dévolu aux fictions censées nourrir les fans.
LA GUERRE DES ÉTOILES, comme nous l’avons vu, était un film d’auteur par défaut, livré à lui-même par un studio qui s’en désintéressait et n’attendait de lui aucun exploit. Plus important, les épisodes V, VI et I, II, III étaient des productions in-dé-pen-dantes, un aspect fondamental à la compréhension de l’univers STAR WARS dans l’enceinte hollywoodienne, et qui a été trop peu souvent rappelé par les médias tant il ne cadrait pas avec leur vision binaire de cette industrie. Ainsi, lorsque George Lucas « commet » la prélogie, il n’y a aucune hiérarchie pour lui imposer des directions. En tant qu’auteur, réalisateur et producteur, il a effectivement toute liberté pour partir en vrille, trahir ses fans, désoler les actionnaires de la Fox et laisser les grandes surfaces se sur-stocker de millions de figurines qui ne se vendront jamais. Lui seul peut être tenu pour responsable de la déroute artistique. Alors que contractuellement, historiquement, et commercialement, STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE est le premier STAR WARS entièrement planifié dans ses moindres recoins par les intérêts d’une major. Kathleen Kennedy et J.J. Abrams ne peuvent être tenus pour les principaux responsables de cet état de fait, tout au plus des complices plus ou moins consentants. Il demeure un aspect qui n’est pas forcément un problème dans le cadre d’une franchise comme STAR WARS mais qu’il est tout de même nécessaire de rappeler : J.J. Abrams n’est pas un cinéaste. Sur le plan créatif, il est originellement un showrunner, quelqu’un qui pense en termes de récit et d’orientation globale (un rôle plus souvent attribué au producteur dans le cinéma hollywoodien) mais chez qui la mise en images se résume à cela : de la simple mise en images. C’est ce que l’on appelle un shooter. Depuis l’époque de la série ALIAS, son style de mise-en-scène n’a pas évolué d’un iota car il n’en a pas besoin. Héritier des techniques de couverture optimale enseignée dans les bonnes écoles, la méthode d’Abrams a vocation exclusive à servir la Bible que constitue le scénario, d’une façon économe et dynamique, sans que jamais n’interfère le moindre sous-texte ou double sens périphérique. C’est pourquoi de nombreuses séquences de STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE, peu signifiantes sur le plan scénaristique, auront été déjà vues à l’identique dans ses films précédents. Les plans de Rey filant sur son vaisseau le long des carcasses de destroyers géants étaient déjà visibles dans STAR TREK (pour ceux qui s’en souviennent). La course effrénée de Rey et Finn pour échapper au bombardement du marché de Jakku reprend des travellings de MISSION : IMPOSSIBLE 3 (pour ceux qui s’en souviennent). Le premier vol du faucon millénaire, poursuivi par des chasseurs TIE dans les entrailles du Destroyer, rappelle une séquence de STAR TREK : INTO DARKNESS (pour ceux qui s’en souviennent). Les deux plans-séquence qui rythment le passage sur la planète Takodana (l’arrivée dans la simili-cantina et le vol circulaire du X-wing autour du champ de bataille) ne dépassent pas, en ambition et en chorégraphie, la pauvreté scénique de SUPER 8 (pour ceux qui s’en souviennent). Quant à l’horrible très longue focale en hélicoptère qui conclut le film en unissant Rey à Luke, elle avait déjà été affreusement utilisée par George Lucas sur STAR WARS – ÉPISODE II : L’ATTAQUE DES CLONES et elle fait écho rien moins qu’à une centaine de documentaires montagnards paresseux. Cette énumération n’a pas vocation à accabler Abrams de tous les maux mais à expliquer le fait qu’il ne puisse se détacher du commandement de sa hiérarchie en faisant dérailler une œuvre pré-calculée grâce à une mise en scène subtile ou à double-fond (comme l’ont fait autrefois tant de cinéastes mavericks dans l’enceinte rigide des studios). Si la prélogie de Lucas nous avait infligé une mise en scène scolaire et passéiste à base de plans d’ensemble-plans rapprochés-champs/contrechamps, STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE ne nous inflige rien de plus ou de moins que ce que à quoi nous a habitué le cahier des charges télévisuel de ces dernières années.
Et pourtant, quelque chose semblait timidement se produire, d’un point de vue scénaristique et scénographique, dans les toutes premières minutes du film. Le plan iconique d’ouverture sur un destroyer s’amuse à dialoguer avec son illustre ancêtre en un effet d’éclipse suffisamment inattendu pour ne pas être déférent. La présentation du personnage de Poe devisant avec Lor San Tekka n’a rien de stupéfiant en soi mais elle génère certains des mini-frissons que pouvaient provoquer la découverte de nouveaux protagonistes dans les romans de l’Univers étendu. Enfin, l’identité et le conflit intérieur du Stormtrooper Finn sont caractérisés par une triple marque de sang qu’il porte sur son casque (peut-être la seule idée réellement cinématographique du film). Toute cette première séquence d’invasion et d’attaque du hameau par les troupes du Premier Ordre ont d’étranges réminiscences de l’œuvre d’Osamu Tezuka, à la fois dans la radicalité du massacre d’innocents et dans la fantasmagorie du Mal implacable suggéré par l’armure rutilante du Captain Phasma. On se souvient que George Lucas avait calqué la structure de son récit originel sur LA FORTERESSE CACHÉE d’Akira Kurosawa. On se surprend alors à imaginer que la nouvelle équipe se soit à son tour ingénieusement tournée vers le Japon et sa pléthore de modèles narratifs trop rarement importés. Et si Rey, dans son exploration patiente des tréfonds de vaisseaux du passé, émulait le personnage de NAUSICAÄ DE LA VALLÉE DU VENT ? Et si la tentative d’évasion foireuse de Poe et Finn nous menait au comique palpitant d’un CONAN, LE FILS DU FUTUR ? Et si le besoin impérieux qu’a l’ouvrier Finn de protéger Rey d’un danger qu’il a encore mal identifié émulait le brave Pazu du CHÂTEAU DANS LE CIEL ? Faux espoirs.
La seule « nouveauté » à laquelle nous invite alors le récit est d’ordre strictement sociologique (et donc périphérique au récit). « Les héros de STAR WARS seront dorénavant une femme et un black » semble nous dire avec fierté l’équipe de Disney. Or, cette héroïne féminine avait déjà été évoquée par Gary Kurtz et George Lucas, en vue d’un hypothétique ÉPISODE VII, à l’époque de leur conception de REVENGE OF THE JEDI. Cette héroïne aurait dû être la sœur cachée de Luke Skywalker et les traits, les activités de scavenger et l’accoutrement de Rey semblent directement issues de ces réunions de travail (après le clash et le départ de Gary Kurtz, Lucas décidera de faire de Leïa la sœur de Luke dans le retitré LE RETOUR DU JEDI, initiant un sous-texte incestueux dont on se serait bien passés). Enfin l’annonce du personnage black de Finn entraîna en début d’année une polémique débile dans les provinces consanguines aux USA, où personne n’a jamais entendu parler de Lando Calrissian. Toujours est-il que sur le plan sociologique (et donc périphérique au récit), cette « nouveauté » s’avère bien plus embarrassante que prévue. Finn se révèle être une sorte d’esclave en fuite, réduit à plonger sa tête dans un abreuvoir à bestiaux, et que nos héros soupçonneront d’abord d’avoir volé un blouson à l’homme blanc (?)… bref un Kunta Kinté… dans un blockbuster de 2015… Quant à Rey, une fois passées les présentations miyazakiennes évoquées ci-dessus, elle se révèle être probablement l’un des pires lead-characters de ces vingt dernières années. Zéro conflit, zéro choix moral, zéro erreur, elle se verra condamnée durant tout le reste du métrage à subir des évènements qu’elle n’a jamais initiés, avec pour seule promesse d’arc narratif un pauvre flashback directement hérité des séries télé qui ne savent pas du tout où elles vont. Ses seules impulsions consistent à trop kiffer de rencontrer des gens célèbres et à s’inscrire dans une quête permanente de la validation paternelle en prouvant à Han Solo ses compétences de pilote mécanicienne. En résumé : Kunta Kinté et une potiche ballotée par les évènements. Étonnant de voir que les curés des réseaux sociaux, toujours prompts à condamner le racisme et la misogynie de la production hollywoodienne, ne se soient pas sentis foudroyés par ce doublé (et par simple politesse, nous éviterons de nous attarder sur le sort parfaitement débile réservé au personnage féminin pourtant prometteur de Phasma).
Le plus embarrassant est pourtant à venir. Dès l’apparition de Han Solo et de Chewbacca, le film se met définitivement sur les rails du Doudouland cher au studio Disney. Passons sur le coup de bol qui autorise cette rencontre entre les héros et le légendaire mercenaire (le film est truffé de tels raccourcis et LA GUERRE DES ÉTOILES en usait déjà sans que cela nuise à son déroulé) pour plutôt s’appesantir sur l’incapacité des auteurs à réinventer ce personnage, jusqu’à le rétrograder au rang de ses lointains descendants, en l’occurrence le Peter Quill des GARDIENS DE LA GALAXIE. La gêne intense qui s’empare de nous dans la séquence, parfaitement inutile voire sinistrement mal foutue, qui s’ensuit (scénographie à deux portes et monstres incompréhensibles), est un peu l’équivalent de ce que ressentirait un fan de James Bond en voyant l’agent 007 tenter d’imiter Austin Powers. Si l’on pouvait craindre jusque-là que les auteurs ne pêchent par excès de déférence et de fanboyisme, voici qu’ils nous indiquent soudain ne pas comprendre grand chose à l’univers qu’ils souhaitent faire revivre. Cette sensation de gêne acide grandira avec la révélation progressive du cercle familial Han Solo / Leïa / Kylo Ren, en un absurde mélodrame où un couple de post-soixante-huitards divorcés (les versions galactiques d’André Dussolier et Sabine Azéma) se désespèrent de l’immaturité de leur fils unique, Tanguy le colérique. Et la confirmation de ce plus-qu’à-peu-près thématique s’imposera dans la séquence de maîtrise expresse de la Force dont fait preuve Rey, quelques minutes après avoir entendu son évocation. À cet instant, le spectateur lambda est en droit de se demander si quelqu’un parmi l’équipe de ce nouvel épisode a déjà vu un film de la saga STAR WARS. Peut-être pas les films en entier mais des bribes, des bandes-annonces, des pochettes de figurines, tant la servilité à reproduire des « images-clés » ne donne même plus lieu à de l’étonnement : une planète désertique, une planète enneigée, une planète forestière. Voilà pour le dépaysement galactique ! La saga qui a ouvert en grand l’imaginaire d’au moins trois générations, en générant un vaste univers à explorer, se retrouve réduite à deux-trois niveaux obligatoires, tel le moins imaginatif des jeux de plateforme.
Tony Zhou, ou ce qui est arrivé de mieux à la cinéphilie internaute ces dernières années, a expliqué très clairement en quoi ce nouveau STAR WARS ressemblait surtout à une tentative de réparer LE RETOUR DU JEDI, film qui scellait la mainmise régressive de George Lucas sur son univers et qui préfigurait avec vingt ans d’avance la déroute narrative de la prélogie. En offrant à Han Solo la mort qu’il aurait dû connaître lorsque Gary Kurtz était encore sur le projet, J.J. Abrams et Lawrence Kasdan semblent faire un remake du parcours de ce personnage dans un film sorti il y a plus de trente ans, avec pour seul objectif émotionnel cette séquence de mort autrefois promise à Harrison Ford et inconsciemment attendue par les fans ; une séquence évidemment superfétatoire aujourd’hui. Or non seulement ce pic émotionnel n’en est pas un, la faute à une narration indécise qui n’a jamais choisi ses priorités dans les séquences précédentes, mais la scène se permet en plus d’en appeler à la mémoire qu’a le public d’un autre moment d’émotion, à savoir la mort de Gandalf dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX – LA COMMUNAUTÉ DE L’ANNEAU. La topographie est respectée : le pont de Kazad-dum, le gouffre de la Moria, Kylo Ren dans le rôle du Balrog, jusqu’au cri de révolte de Rey / Frodon face à ce corps qui chute, et à qui il ne manque plus que le ralenti. D’une façon plus globale, on pourrait presque s’amuser à décrypter tout STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE comme une tentative d’auto-légitimation de J.J. Abrams, à qui l’on vient de confier un monument de cette culture pop dans laquelle il s’est développé et qui choisit de se confondre en excès d’humilité : le côté ébahi de Rey découvrant ses idoles ; l’impuissance adolescente de Kylo Ren à se hisser à la hauteur de son modèle de vilain ; ou même la petite portion de carte que BB-8 vient ajouter à la grande carte d’un R2D2 qui le domine ; tous ces éléments pourront faire la joie des décryptages auteurisants mais ils ne feront que rajouter quelques clous à un cercueil déjà bien scellé, celui d’un échec opérant à de multiples niveaux qui dépassent celui de son principal signataire.
Car en définitive, STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE, premier STAR WARS entièrement déterminé par le désir d’une major, n’a qu’une seule fonction : celle d’être une publicité pour la marque STAR WARS ©, une tentative de « réveil » de la fanbase par la stimulation nostalgique en vue de préparer la déferlante transmédiatique de ces dix prochaines années. Et comme toute publicité, le film n’a rien d’autre à proposer que du concept dénué de substance : une Force qui ne l’est que parce qu’on l’a nommée ainsi, ou encore des sabres-laser qui transforment ceux qui les touchent en de redoutables escrimeurs, c’est-à-dire de purs simulacres ou, pour paraphraser le nihilisme selon Baudrillard « des croix qui suggèreraient, au fond, que Dieu n’a jamais existé ». Ce n’est pas une erreur de parcours, un échec isolé, mais bel et bien la confirmation que l’anomalie que représentait originellement STAR WARS a parfaitement été digérée par toute l’institution qu’il avait autrefois mise en échec. Pour preuve préalable, les six dernières années du box-office international, quasi-intégralement constituées de « franchises geeks », sont devenus l’antichambre de l’Enfer et la destruction méthodique de l’imaginaire que beaucoup des gourous de cette culture avaient prophétisé. Des « franchises geeks » à ce point soutenues par le cynisme des chiffres et la régression fœtale de toute une société qu’elles asphyxient les meilleurs créateurs et étranglent jusqu’à l’évocation des sources pulp de toute cette culture. Et s’il se trouve des spectateurs qui auront sincèrement apprécié le film de J.J. Abrams en dehors de tout contexte, il reste que STAR WARS : LE RÉVEIL DE LA FORCE, du studio Disney, est ontologiquement une négation de STAR WARS ainsi que le symbole d’une réelle capitulation.
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