Christian Heidel, manager de Mayence à l'époque l'a promu coach de l'équipe première après une préparation difficile. La décision était murement réfléchie et loin d'être un simple coup de tête comme ca avait pu l'être quand il avait choisi Klopp.

Sur les 5 années qu'il a passé à Mayence, Tuchel a engrangé le 5ème plus grand total de points en Bundesliga. Un chiffre incroyable quand on sait que Mayence est de loin un des plus petits budgets du championnat.

L'approche qu'il adoptait à l'époque était celle de la "formation miroir » : une idée simple qui veut que l´équipe s'adapte à l'adversaire du jour en termes de formation. Par ex : si l'adversaire joue en 4-2-3-1 Tuchel jouera en 4-3-2-1 pour forcer le plus de duels possibles.

Une idée visant à pallier à l'infériorité individuelle des joueurs du club et essayer de créer un maximum de duels avantageux pour son équipe. L'analyse pré-match de l'adversaire était poussée à l'extreme et le visage de l'équipe changeait complètement chaque week-end.
L'approche n'était pas défensive exclusivement et Tuchel a beaucoup étudié les principes de collègues (Pep, Klopp) pour les intégrer à son équipe à son équipe. Mais Mayence restait un outsider et le crédo restait donc toujours "s'adapter à l'adversaire".

C'est le début de la popularisation du terme "Matchplan" dans le jargon footballistique allemande. Une pratique qui existait certes depuis toujours mais qui a été perfectionnée par Tuchel qui lui a aussi donné ce nom qui s'est entre-temps imposé.

Tuchel est donc assoiffé de savoir, il cherche des inspirations non seulement au foot mais dans plusieurs autres sports et dans la science de manière générale, avec comme objectif de transférer ce savoir théorique à la pratique le plus efficacement possible.

Tuchel ne délègue PAS en ce qui concerne l'entrainement. Il planifie, organise et orchestre chaque séance d'entrainement lui-même jusqu'au placement des plots sur la pelouse. Ce travail d'entraineur dans sa forme la plus pure est une de ses caractéristiques les plus importantes. C'est un adepte de la théorie de "l'apprentissage différentiel". Contrairement à un Bielsa par exemple qui pense qu'il y a un nombre déterminé de situations qui surviennent au cours d'un match, Tuchel pense que ces situations sont infinies. Par conséquent il est d'avis qu'il ne sert à rien de répéter le même geste afin de le perfectionner. Son approche est donc de confronter ses joueurs à un maximum de situations différentes à l'entrainement et de créer un nouveau challenge encore et encore.

Tuchel se caractérise par une incroyable ingéniosité et imagination en termes de planification des entrainements :
- Entrainement sur pelouse non tondue
- Jeu en deux touches obligatoires
- Délimitation inédite du terrain pour obliger les joueurs à jouer dans certaines zones

L'exemple le plus connu est peut-être celui de la séance d'entrainement avec des balles de tennis dans chaque main afin de travailler les duels et habituer les joueurs à ne plus tirer le maillot de l'adversaire.

Tuchel veut que l'attaque ET la défense soient pratiquées à chaque séance. Les formes d'entrainement classiques (11 vs. 11 sur tout le terrain, jeu de passe en cercle) n'existent pas chez Tuchel. A chaque séance il veut confronter ses joueurs à des situations inconnues.

Les entrainements de Tuchel sont donc épuissants pour les joueurs. Physiquement mais surtout mentalement. Cela demande donc une abnégation totale de la part de l'équipe et une identification complète avec ses idées.

Tuchel est un maniaque. Un joueur qui ne se donne pas à fond à chaque entrainement et qui ne respecte pas les règles qu'il impose au vestiaire sur et hors du terrain n'a aucune chance avec lui.

Parlons donc de ces règles qu'il a instaurées par le passé. Repas commun obligatoire apres entrainement avec obligation de rester au min 30 minutes et tel interdit ou encore obligation de se donner la main. Mais aussi spécifique au foot : être là les uns pour les autres.

Avec son approche réactive Tuchel a eu beaucoup de succès à Mayence. Il a cependant fini par fatiguer et l'envie lui a pris de voir ailleurs. Mais il avait un an de contrat et est parti au clash avec la direction. Au final il a du prendre une année sabatique forcée.

Il a profité de cette année pour s'instruire, il a beaucoup lu, beaucoup voyagé et rencontré beaucoup de collègues. Il a surtout très souvent rencontré Guardiola, discuté de foot et de tactique avec lui des heures durant, simulant des situations tactiques sur une table de resto. Ces discussions l'ont beaucoup inspiré et lorsqu'il a signé à Dortmund il a tout de suite mis en pratique ce nouveau savoir théorique et adapté à sa facon le jeu de position de Pep. Fini les "Matchplans" chaque semaine, mise en place d'un 4-3-3 qui sera presque toujours reconduit

Dortmund qui galérait avec Klopp la saison précédente en phase de possession particuliérement s'est transformé du jour au lendemain. Aucun titre en fin de saison mais le record de points en Bundesliga pour un 2nd. Gros problème pour la saison suivante : les 3 piliers du jeu de position du BVB (Hummels, Gündogan et Mkhitaryan) ont tous quitté le club. Cela a conduit à un retour de Tuchel à la flexibilité de son passage à Mayence. Chaque WE un nouveau XI. Chaque WE un nouveau plan tactique. Et puis une dernière idée géniale : une formation en 3-2-4-1 asymétrique, le fameux "S" de Tuchel avec un côté droit bas qui construit et un côté gauche haut qui termine les actions.
Un produit du hasard selon Tuchel lui a même qui en analysant les matchs de son équipe a vu que l'équipe se positionnait ainsi et que cela fonctionnait. Une idée d'ailleurs reprise par Joachim Löw lors de la Coupe des Confédérations 2017.

Tuchel a finalement été viré au terme de la 2nde saison, mais certainement pas pour ses compétences tactiques. C'est un profond désaccord avec les dirigeants du club qui ont finalement causé son départ. Et le caractère difficile de Tuchel n'y est pas étranger. Il attend beaucoup de ses joueurs mais aussi de ses dirigeants et du staff. Il a ainsi voulu révolutionner l'alimentation au club et changer de chef pour supprimer les pâtes du plan nutritionnel des joueurs. Une chose qui n'a pas plus au président Watzke.
Ce n'était qu'un avant-gout des désaccords qui allaient suivre. Tuchel n'a ainsi pas du tout aimé que le club achète des joueurs sans le consulter. Les dirigeants n'ont eu pas aimé comment Tuchel a écarté l'important recruteur en chef Mislintat de l'entrainement de l'équipe.

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase est cependant l'attentat contre le bus de Dortmund et les avis complètements divergeants de Tuchel et Watzke quant à la manière dont l'incident devrait être géré. Watzke (qui n'était pas dans le bus) a au final fait jouer l'équipe.
La réputation de Tuchel en Allemagne s'est renforcée après son passage à Dortmund. Un nerd de football, un théoricien du ballon rond malhabile au niveau de la gestion humaine. Une réputation quelque peu injuste au final.

Car cette réputation est due au fait que Tuchel n'est pas un ami des médias comme Klopp. Tuchel peut discuter des heures durant de football lors de tables rondes mais abhorre parler de thèmes non footballistiques avec la presse.
Tuchel est donc une sorte d'extra-terrestre dans le monde du foot. Il représente un intellectualisme qui n'y est pas le bienvenu. Il passe son temps libre auprès de scientifiques, musiciens et chefs d'entreprises plutot qu'avec des collègues du ballon rond.
Tuchel médite aussi deux fois par jour et fait attention de manière pénible à son alimentation. Tous les éléments de la vie quotidienne sont des facteurs pour les performances en jour de match. Et ce caractère obsessionnel en énerve plus d'un, joueurs, dirigeants ou médias. Si Tuchel attend autant de ses joueurs c'est parce que lui qui rêvait tant de percer dans le foot aurait tout fait et tout donné pour y arriver.