Citation
Quelles sont les passions de Laurent Blanc en dehors du foot? J’ai entendu dire qu’il était fan de Bryan Ferry.
On peut estimer que Blanc apprécie l’élégance et le charme très anglais de Bryan Ferry, dans lequel il se reconnaît. Il l’a écouté en concert avec Zidane, Wenger et d’autres. Mais les véritables passions de Blanc sont le football, évidemment, le golf, qu’il pratique à haute dose, sa famille avec trois enfants qu’il protège férocement. Il aime aussi les bons cigares et les belles montres, comme tout footballeur qui se respecte...
A l'heure ou la France du football à beaucoup de difficultés à maintenir un haut niveau, ne pensez-vous pas qu'un tel livre, à quelques mois de l'euro, puisse nuire au sélectionneur et indirectement à l'équipe de France ?
Si un livre, qui n’est pas à charge même si les extraits publiés jusque-là sont plutôt polémiques, est capable de déstabiliser l’équipe de France, que dis-je, la partie, alors c’est problématique. Mon intention n’est aucunement de menacer l’Etat français! Le véritable problème du football français, de ses clubs comme de l’équipe nationale, est son niveau. Au classement de l’Uefa, le Portugal vient d’ailleurs de nous passer devant. On vit sur une sorte d’idéal, d’âge d’ôr révolu hérité d’une époque où justement Laurent Blanc et les autres étaient les cannibales du football, comme le sont les Espagnols aujourd’hui. L’équipe de France n’a qu’un seul joueur de classe mondiale: Karim Benzema. Pour le reste, ce sont d’excellents joueurs (Lloris, M’Vila, Ribéry même s’il n’a pas été brillant en Bleu depuis plus de trois ans) mais pas de quoi perturber l’Espagne, l’Allemagne ou les Pays-Bas, même si je ne demande qu’à me tromper.
Comment "Le président" peut-il expliquer le revirement de Bordeaux dès le début de l'année 2011? Ils sont passés d'une équipe championne de France et d'un futur champion de France mais finalement ils ont eu des statistiques assez déplorables (les même qu'une équipe reléguable).
Quand on scrute la carrière de Laurent Blanc, on constate que la fin de l’aventure n’a pas toujours été idéale. Il a par exemple été quelque part chassé en 1999 de l’Olympique de Marseille, qui l’estimait trop vieux, ce qui ne l’a pas empêché de superbement rebondir à l’Inter Milan. Idem chez les Girondins. Sa première a été bonne (une Coupe de la Ligue, une place de dauphin), la seconde épatante (le titre, la Coupe de la Ligue de jeu et un style de jeu conquérant) et la troisième stupéfiante: une partie de saison hors-norme (premier du championnat, finale de la Coupe de la Ligue, quart de finale de la Ligue des champions) et puis, d’un coup, le grand plongeon, pour finir par ne pas se qualifier pour une Coupe d’Europe. Blanc ne s’est jamais vraiment expliqué sur ce trou d’air, il n’a pas fait de mea culpa. Deux certitudes: il n’a pas su trouver les mots pour remotiver ses troupes et le feuilleton à rallonge de son départ pour l’équipe de France a perturbé tout le monde.
Quels sont réellement les objectifs de Laurent Blanc dans le milieu du football? Entraîner un club / une sélection, devenir dirigeant / président de club ou avoir du pouvoir au sein des instances (FFF/ UEFA)?
Devenir dirigeant ou président, je ne le pense pas. C’est trop de travail, de réunions, de compromis et Blanc a besoin de sa liberté. Et je ne suis pas certain qu’il en ait le niveau. Au début de sa carrière d’entraîneur, il estimait ne pas faire long feu dans ce métier. Il est en train d’évoluer, d’y prendre goût. A mon sens, diriger l’équipe de France est un poste sur-mesure: il a l’aura et cette fonction lui laisse le temps de vivre de Bordeaux, de jouer au golf et de rester en famille. Il en a besoin. Il aimerait aussi s’occuper d’un grand club européen, se confronter à cette réalité-là, vérifier s’il en a le niveau, l’épaisseur. L’Inter Milan et Manchester United, deux clubs qu’il a fréquentés comme joueur et où il a été marqué par leur entraîneur respectif (Marcello Lippi et sir Alex Ferguson), correspondent à cette ambition. Son idéal de jeu reste Barcelone, où il a joué une saison, au côté notamment de Guardiola, mais le poste n’est pour l’heure pas à pourvoir...
Savez-vous comment il a ressenti le fait d'être suspendu pour la finale de la coupe du monde?
C’est évidemment un traumatisme. Louis Nicollin, rencontré pour le livre, et qui a été son président à Montpellier, le tacle en disant que, à ses yeux, Blanc n’est pas champion du monde puisqu’il n’a pas joué la finale! C’est sévère. Blanc a été indispensable dans la conquête de ce titre; il a notamment inscrit le but en or en 8es de finale contre le Paraguay. Son expulsion en demi contre la Croatie est sévère car son adversaire a simulé. Je suis convaincu que la sagesse avec laquelle il a accepté cette sanction a participé de sa grandeur, de sa notoriété. Evidemment, ne pas avoir disputé la finale, avoir dû la suivre sur le banc en survêtement, est une énorme frustration. Mais il a su prendre sur lui. En revanche, en finale de l’Euro 2000, il était bien sur le terrain. tant pis pour Frank Leboeuf.
En comparaison avec Bixente Lizarazu que je trouve assez intelligent aussi, qu'est ce qui a permis à Laurent Blanc d'avoir cette aura que les autres non pas?
Je connais bien Lizarazu, dont j’ai publié l’autobiographie, dans le sens où j’étais son porte-plume alors que pour Blanc il s’agit d’une enquête journalistique, constitué d’une centaine de témoignages. Lizarazu est intelligent, curieux de nature et bosseur. Ce n’est pas vraiment le cas de Laurent Blanc. Mais il avait, sur le terrain, l’intelligence de jeu. Dans le groupe France 98, il était l’un des patrons, mais par son comportement sur le terrain. L’autre taulier, le vrai dirai-je, était Didier Deschamps, qui lui parlait, discutait, échangeait, montait au front. Blanc est un taiseux, assez complexe. Mais par sa stature, son élégance sur le terrain, il impose le respect. Ca ne se commande pas...
Que pensez-vous de la décision de Le Graet d'attendre le déroulement de l'euro pour le voir prolonger à la tête de l'équipe de France? Pensez-vous comme lui qu'une équipe se juge sur les résultats?
Je comprends parfaitement la décision du président de la Fédération française. Admettons que Blanc soit prolongé de deux ans aujourd’hui et que les Bleus échouent lamentablement au premier tour de l’Euro, on aura l’air malin... Il défend sa logique de président. En signant Blanc voulait être jugé sur les résultats. Il a atteint sa feuille de route mais, depuis quelques semaines, il a fait passer des messages du genre: “Prolongez-moi maintenant.” Le Graët refuse. Ca ne me paraît pas infamant d’être jugé sur les résultats de l’Euro. Je peux comprendre que Blanc ait besoin d’être rassuré sur son avenir, d’autant qu’il aimerait diriger les Bleus jusqu’au Mondial 2014 voire l’Euro 2016 qui se déroulera en France, mais dans une entreprise normale, il est légitime d’être jugé sur pièce. Blanc touche tout de même 110 000 euros par mois au titre de sélectionneur. Ca n’empêche pas aujourd’hui Jean-Pierre Bernès, l’agent de Blanc, de prendre la température avec des clubs étrangers. Au cas où…
D'après vos interviews, quelle est la personne qui le respecte le plus et celle qui le méprise le plus?
La personne la plus sévère est sans conteste Christophe Bouchet, qui a été président de l’OM entre 2002 et 2004. Durant cette période, Blanc a manqué d’être le manager général du club. Bouchet l’a vu trois fois et a estimé qu’il n’avait pas les épaules, loin de là... S’ils sont quelques uns à l’égratigner dans l’ouvrage, la plupart lui porte un profond respect, d’Emmanuel Petit à tous ses amis de Montpellier, avec lesquels il a été formé.//
A-t-on la possibilité de voir à l'Euro un joueur qui n'a jamais été sélectionné ou plus depuis très longtemps? (Ben Arfa)
J’espère bien. Ben Arfa a déjà été sélectionné. Il est même, en Norvège, le premier buteur de l’ère Blanc. Hélas il s’est blessé peu après son arrivée à Newcastle. Depuis quelques semaines, Ben Arfa, que je considère comme un prodige, revient bien, très bien même. Il pourrait constituer un joker de luxe pour Blanc, lequel pourrait toutefois considérer que Jérémy Menez se suffit comme électron libre à gauche. En tout cas, Blanc n’est pas fermé. La sélection d’Olivier Giroud, largement méritée, le confirme.
Dites-nous tout sur l’origine de ce baiser sur la tête de Barthez.
Tout, vraiment tout??? J’évoque dans le premier chapitre le rapport quasi fusionnel entre Blanc et Barthez, qui ont joué ensemble chez les Bleus et à Manchester United. Barthez est d’ailleurs une sorte d’entraîneur bis des gardiens en équipe de France. Ce fameux baiser déposé sur le crâne de Barthez l’a été avant chaque match international entre 1996 et 2000. Il est devenu l’un des symboles du triomphe du 12 juillet 1998. Il s’est même transformé en publicité pour un célèbre hamburger américain, même si Jean-Luc Godard a lâché: “Si on avait su que tout ça finirait par Barthez embrassant un Big Mac, on se serait méfié!” Dans le milieu des joueurs et des suiveurs de l’équipe de France, c’est à dire les journalistes, tout le monde sait, même si personne n’ose le confirmer “on”, que ce baiser est un souvenir d’une fête disons particulièrement chaude... Non, je ne l’ai pas dit!
Laurent Blanc a-t-il beaucoup de choses à cacher? Il a l’air assez paranoïaque...
Si on veut être poli, on va écrire qu’il est timide et méfiant. Déjà sur la réserve, il l’est encore davantage depuis l’affaire des quotas ethniques. Avec ses amis, sa garde rapprochée, il chambre, rigole, plaisante. En public ou lors d’un premier contact, il est froid. C’est dû aussi à ses origines: il vient des Cévennes, où on ne se livre pas facilement. Des choses à cacher? Oui, comme tout le monde, non? Disons qu’il ressemble au gendre idéal mais qu’il est forcément beaucoup plus complexe...
Louis Nicollin paraît plus que critique vis à vis de Laurent Blanc. D'où vient cette rancœur?
Nicollin est un être passionné, rigolard, au tutoiement facile. Tout l’inverse de Blanc. Blanc appartient à la première promotion du centre de formation de Montpellier, il a remporté la Coupe de France 1990 (il était même capitaine du premier trophée de l’ère Nicollin). Il est encore aujourd’hui le meilleur buteur de l’histoire du club. Pourtant, Nicollin le trouve hautain, arrogant. Question de tempérament. Il ne comprend pas pourquoi Blanc n’est pas davantage reconnaissant envers son club formateur, soulignant que c’est Michel Mézy, son indispensable conseiller, qui l’a placé contre son gré en défense centrale alors qu’il était milieu de terrain. Nicollin n’a pas digéré non plu que Blanc ait refusé d’entraîner Montpellier, en Ligue 2, préférant s’engager quelques semaines plus tard avec Bordeaux.
Quelles sont les relations entre Deschamps et Blanc?
Ils se vouent un profond respect, ont arrêté leur carrière en équipe de France lors du même match, en 2000, mais ce ne sont pas pour autant des intimes. Deschamps a besoin d’être au contact de ses joueurs quasi tous les jours, c’est presque viscéral. Blanc lui préfère prendre de la hauteur. Deschamps a une personnalité plus affirmée, moins lisse que Blanc.
Laurent Blanc parait très froid. Vu de l'extérieur, il semble même quelqu'un de hautain. Est-ce une impression?
Il y a deux Laurent Blanc. Celui détendu, rigolard et déconneur avec ses proches. Celui, la plupart du temps, sur ses gardes, qui instaure une distance. Assez froid, méfiant. C’est dû à ses origines cévenoles mais aussi, selon moi, à une sorte de complexe de l’homme à lunettes. On a le sentiment par sa stature et son port de lunettes que c’est un intello du foot. C’est loin d’être le cas. Il est quelque part complexé intellectuellement et ne pas trop se livrer est une façon, aussi, de se protéger. Thuram raconte dans le livre que, en équipe de France, il parlait très peu. Mais, quand il parlait, on l’écoutait...
Vous qui avez interviewé beaucoup de personnes pour ce livre, avez vous l'impression qu'il y a un vrai clan 98 (Dugarry, Lizarazu,...) qui protège coûte que coûte Laurent Blanc?
Il a des amitiés solides dans cette entité France 98, au premier chef Dugarry mais aussi Barthez et Zidane. De là à parler de clan... Je pense que son aura le protège, que, et pas seulement France 98, on juge avec clémence son bilan en équipe de France. Domenech aurait été lynché ou presque pour moins que ça...Après, France 98 ne constitue pas vraiment un clan et l’affaire des quotas, au cours de laquelle Thuram, Vieira ou Lama ne l’ont pas ménagé, en atteste.
Est-il fâché avec Lilian Thuram depuis l’affaire des quotas?
Définitivement brouillé, non. Mais quelque chose s’est cassé, c’est une évidence. Lilian Thuram assume et reste droit dans ses bottes. Je l’ai vu longuement pour l’ouvrage. Il revient en détail sur les coups de fil échangés. Au final, ce qui chagrine le plus Thuram, c’est le fait que Blanc, encore aujourd’hui, n’a pas conscience d’avoir dérapé. Pour Thuram, ce n’est pas seulement de la maladresse, c’est le début d’un comportement pas loin du racisme.
J'ai lu que vous avez rencontré Laurent Blanc pour le convaincre de faire son autobiographie. Savez vous, quelle est sa réaction à votre livre?
Depuis le départ il s’agit d’une bio non officielle, à la différence de ce que j’ai pratiqué pour Lizarazu, Djorkaeff ou Anelka. Je me doutais, compte tenu de son tempérament et du regard assez froid porté aux médias, qu’il ne se livrerait pas. J’ai agi en toute transparence, le contactant officiellement très en amont. Pendant ce temps-là, sans me cacher, j’ai multiplié les entretiens, de son premier éducateur à Courbis, de Larqué à De Tavernost, de Nicollin aux frères Passi. J’aurai souhaité comme pour ma bio sur Douillet le rencontrer 2 à 3 heures en fin d’enquête pour confronter quelques témoignages. Le milieu du football est complexe à pénétrer. Mais je n’ai jamais lâché. Après des textos et une lettre manuscrite, il m’a enfin reçu à la Fédération. Pour me dire que s’il respectait ma démarche, iil ne collaborerait pas. C’est son droit. Je lui suis gré néanmoins de ne pas avoir incité ses proches à ne pas me parler. C’est ainsi que j’ai pu longuement échanger avec Jean-Pierre Bernès, son agent.
Un pronostic pour la France à l’Euro?
Rappelons en préambule que, lors deux dernières compétitions, c’est à dire l’Euro 2008 et le Mondial 2010, les Bleus n’ont pas gagné le moindre match! Je pense dans les cordes de passer le premier tour. Atteindre les quarts de finale me semble possible. Plus, pourquoi pas mais je n’y crois guère, même si la dernière prestation en Allemagne (mais en amical) a été très encourageante.
La relation entre l'entraîneur-sélectionneur Blanc et le joueur Gourcuff paraissait très forte? Qu’en est-il aujourd'hui que celui-ci est en grosse baisse de forme?
Elle s’est forcément diluée. Gourcuff a sombré seul. Pour moi, la chute libre de Gourcuff s’apparente à une dépression. Il a été l’élément moteur du titre des Girondins de Bordeaux à la sauce Blanc, lequel l’a régulièrement sélectionné en équipe de France, où il n’a d’ailleurs pas démérité. Mais, aujourd’hui, Gourcuff est systématiquement blessé et n’est plus qu’un remplaçant ordinaire à Lyon. Difficile pour Blanc de le sélectionner, quand bien même il l’apprécie.
J’ai enquêté de longues semaines sur Laurent Blanc. Il est, je le savais, plus complexe que l’image qu’il veut bien renvoyer. Le mystère s’est largement dissipé mais il garde encore sa part d’ombre car il est souvent fuyant, donc dur à attraper. La centaine de témoignages récoltés auprès de ceux qui ont traversé les vies de Blanc dessine néanmoins un portrait serré. Le livre me semble honnête et raconte un long et beau voyage en ballon. La victoire est en lui? Oui mais... Le médiatique politologue Pascal Boniface, très impliqué dans l’univers du football, intervient dans le livre. Je le lui ai adressé et en retour il m’a renvoyé un texto qui m’a touché et que je vous livre en guise de conclusion: “Merci et bravo pour votre livre sur Laurent Blanc. Vous vous imposez dans le domaine de la bio ni à charge ni complaisante. Bref, un vrai travail de journaliste.”
Arnaud Ramsay au sujet de son livre "laurent Blanc, la face cachée du Président.