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PSG: «Moi raciste? Je suis Portugais». Cinq supporters comparaissent pour avoir brandi des banderoles arborant «SS».
Le 31 mai 1995, c'est le dernier match de la saison. Un tout petit
match, à 30 francs. PSG-Le Havre, queue d'une saison foutue, terminée par les Parisiens en troisième position. Au parc des Princes, les supporters sont donc de mauvaise humeur. Certains veulent régler leurs comptes par banderoles interposées. Vers 19h45, cinq garçons quittent en désordre les bistrots du coin pour rejoindre le Kop Boulogne, tribune des fans et des fafs. Celle des «copains», celle des coups et des saluts nazis. Ils ont 20 ans, des cheveux très courts.
Coup d'envoi. Les banderoles vengeresses couvrent le Kop: «Les fainéants, en vacances», «Dans l'esprit de se faire chier, regardons le PSG». Anodines sauf une, celle sous laquelle un photographe va saisir les cinq supporters: «Weah, on n'a pas besoin de toi.» Georges Weah, d'origine libérienne, a annoncé quelques jours plus tôt qu'il rejoignait le Milan AC. «On était choqués, dit Jean-Philippe, petit pâtissier roux et fluet. Et puis, il était mauvais sur le terrain.» Ce qui les a amenés, hier, devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, ce n'est pas le slogan, mais les signes qu'il exhibe: deux croix celtiques dans les O, deux S rappelant le sigle des SS. Depuis la loi du 6 décembre 1993 sur les stades, «signes, sigles, symboles, rappelant une idéologie raciste» sont bannis des enceintes sportives.
«La banderole était par terre. Elle s'est soulevée. On m'a demandé de la tenir. Je l'ai tenue.» Philippe, «BEP de compta, sans emploi», assure qu'il n'a pas vu tout de suite les signes. Les banderoles étaient là. Prêtes à l'usage. Et tous les ont brandies. Sans lire. Sans s'inquiéter. «Comme des cons», résume Thomas, deuxième année de bac pro en climatisation et chauffage hydraulique.
Devant le tribunal, ils se défilent. Philippe: «J'ai découvert les S et les croix celtes le lendemain, sur la photo du Parisien.» La présidente: «Et qu'avez-vous pensé?»
«J'étais un peu mal à l'aise. J'étais d'accord avec ce qu'on avait écrit dessus, mais pas les SS et les croix.»
«Vous saviez pourtant la réputation de la tribune. Vous ne regardez pas ce que vous brandissez?»
«Ici, ça a toujours été comme ça. Il y a toujours eu des insultes, genre sale Noir.»
«Et vous ne dites rien?»
«Si je viens au foot, c'est pas pour jouer les redresseurs de torts.»
Costa, Portugais de retour du service militaire, est plus au fait. Il connaît bien le Kop: après avoir été «manager dans une pizzeria», il a travaillé un temps pour «le département supporter du PSG». Mais, ce jour-là, dit-il, il ne remarque ni les croix ni le SS: «Ils étaient masqués par des bandes adhésives. Quelqu'un est passé, les a arrachés.» La présidente: «Vous êtes raciste?» «Non, puisque je suis Portugais.» Pas plus que Thomas, non «concerné» par le racisme, vu qu'il vient d'achever «sa deuxième année de bac pro dans une école tendance algérienne-marocaine». La présidente: «Et ce qui se passe dans la tribune ne vous fait pas réagir?» «Je ne m'occupe pas des autres.»
Le procureur a demandé six mois d'interdiction dans les stades contre quatre des cinq garçons pour leur «suivisme aveugle». Le cinquième, Fabrice, ne portait que la banderole d'à côté, «Algeco= ANPE». «C'était pour protester contre le licenciement de deux personnes du département supporter: elles se réunissaient dans
Libération du 6 mars 1996