Une critique que je trouve très pertinente de TSN :
Citation
Il y a de ça un peu plus d’un an, celui que nous pouvons considérer comme un des réalisateurs les plus brillants de sa génération annonçait la mise en chantier d’un film sur la création du réseau social Facebook. À ce moment là, et après avoir été véritablement déçus par l’Étrange Histoire de Benjamin Button, film aussi beau qu’impersonnel, nous nous sommes dit que le David Fincher que nous aimions était définitivement perdu, comme avalé par Hollywood et un système qu’il prenait tant de plaisir à écorcher par le passé. Comment cet artiste, immense génie de l’image, pouvait-il passer de Fight Club à la success story typiquement américaine et l’histoire de l’antipathique Mark Zuckerberg? Quel est l’intérêt? En quoi est-ce un sujet permettant au réalisateur de développer un vrai film du calibre de ses chefs d’oeuvres précédents? À savoir le trio magique Se7en, Fight Club et Zodiac. Concrètement the Social Network n’atteint pas ce niveau, ou bien trop rarement pour qu’on puisse le qualifier d’oeuvre majeure dans la filmographie de David Fincher, mais il s’en approche, et en cela il constitue une immense surprise. Pour son huitième film le virtuose continue sur la voie de la sagesse qu’il a instauré sur son cinéma depuis Zodiac, à savoir moins de fureur et un certain classicisme apparent, et signe un prolongement logique de la radiographie sociale entamée il y a maintenant plus de 10 ans avec la révolution de Tyler Durden. Après la génération Ikéa, c’est la génération Facebook qui en prend pour son grade, et c’est assez brillant comme portrait.
Car finalement les origines de Facebook, de l’idée à la propagation massive en passant par les aléas de sa création, ce n’est pas vraiment le sujet du film. Ce n’est pas non plus le personnage de Mark Zuckerberg, même s’il hante chaque image. Non the Social Network est avant tout un drame et une analyse minutieuse de la société des jeunes adultes des années 2000-2010, notre société, et comment un type ultra névrosé et asocial a bouleversé notre vie et les rapports sociaux qui la guident. Il ne s’agit pas non plus d’un hymne au « nerd power », au contraire. Il suffit à Fincher d’une scène d’ouverture en forme de prophétie pour nous accrocher, une séquence ultra épurée, un simple dialogue en champ-contrechamp mais qui contient à la fois tous les enjeux dramatiques de the Social Network et son identité artistique. On a souvent loué les qualités visuelles des oeuvres du réalisateur mais ce serait oublier à quel point il a toujours été à l’aise pour mettre en scène des dialogues ciselés, et grâce à la finesse d’écriture d’Aaron Sorkin (la Guerre selon Charlie Wilson, la série TV À la Maison Blanche) il trouve un matériau de base idéal pour développer un récit très bavard mais passionnant de bout en bout.
Car aussi surprenant que cela puisse paraître, the Social Network bénéficie d’un scénario d’une complexité assez incroyable. Superbement construit, il alterne séquences de procès et flashbacks incessants sans que cela ne soit jamais pesant, alors que le procédé peut vite ennuyer. Ici ce n’est pas le cas, tout est construit habilement, tout s’emboîte à la perfection. Et il en fallait du talent pour que deux heures d’un film se déroulant quasiment en permanence en intérieurs semblent passer en un clin d’oeil. C’est que le sujet à priori par très excitant est tellement bien détourné pour en arriver sur un propos universel qu’il en devient véritablement passionnant. The Social Network est le portrait d’anarchistes modernes, des jeunes adultes qui cherchent clairement à se faire un nom mais qui surtout vivent dans l’objectif principal de défier l’autorité en place, de briser les règles en vigueur et d’imposer leur vision du monde, tout cela se résume dans la citation sur la carte de visite de Mark: « I’m the CEO… bitch! ». Cela crée un paradoxe terrible, ils sont à la fois fascinants par leur esprit libre et vif mais forcément antipathiques car incapables de vivre en société. C’est le paradoxe de Mark Zuckerberg dans le film, il a crée un espace social dément et redéfini les relations entre les personnes, avec des millions d’utilisateurs, mais il est incapable de garder un seul ami.
Il est pourtant le symbole d’une génération, à l’image du co-fondateur de Napster, Sean Parker, également présent dans l’histoire et sorte de mentor pour Zuckerberg. Il résume tout cela très bien en l’espace d’une réplique « this is our time » et en effet, c’est bien leur époque. Le temps des costards/cravates vieux jeu, des rolex en or et des gens de bonne famille voit ses jours comptés , place aux jeunes cons, aux génies de l’informatique, aux autistes. Et tout cela s’avère aussi excitant que terrifiant car ces sales gosses ont notre futur entre leur mains et le portrait qui en est fait n’est pas forcément reluisant. Tout part d’une connerie d’adolescent névrosé: plaire à une fille et contourner l’ascenseur social des clubs universitaires. Ils sont égoïstes, très gourmands, ils sont un peu les Tony Montana de l’ère numérique, et qu’on le veuille ou non notre destin est lié au leur. C’est précisément là que the Social Network semble construit pour prendre le relais de Fight Club, dans le ton totalement pessimiste et anarchique qui règne, la violence physique en moins, la nouvelle génération en plus.
À vrai dire il est difficile de reprocher quoi que ce soit au film de façon tout à fait objective. Car si on l’a bien compris, le fond ne souffre d’aucune faiblesse, il en est de même pour la forme, impeccable. David Fincher retrouve cette classe incroyablement sophistiquée qui a fait ses preuves sur Zodiac, à savoir une mise en scène en apparence classique mais follement inventive. Oui le réalisateur a clairement fait évolué son style, il s’est assagi, mais dans la construction de ses plans, dans ses travellings, dans des mouvements de caméra somptueux, on retrouve le virtuose qui a mûri. Il ne se permet qu’une seule véritable excentricité, une séquence d’aviron shootée avec un effet Tilt-Shift1, comme l’avait fait Gaspar Noé sur certaines scènes d’Enter the Void, et portée par une reprise électro de « Dans l’antre du roi de la montagne » d’Edvard Grieg (l’air que siffle M le Maudit chez Fritz Lang avant chaque crime), simplement magique. On ne pourra pas non plus reprocher aux acteurs de faire un boulot remarquable, tous sans exception. Jesse Eisenberg confirme tout le bien qu’on pensait de lui dans Bienvenue à Zombieland et livre une prestation remarquable, secondé comme il se doit par un Andrew Garfield (Anton dans l’Imaginarium du Docteur Parnassus) vraiment surprenant dans le rôle de l’ami de toujours trahi. Justin Timberlake continue lui aussi de nous surprendre, film après film il s’impose comme une valeur sure avec une réelle présence à l’écran.
Il est véritablement difficile d’adresser de réels reproches concrets à the Social Network. David Fincher a retrouvé du poil de la bête et livre un film surprenant. On s’attendait à l’histoire de facebook, on a droit au portrait au vitriol de toute une génération qui met en place une révolution nouvelle. Le propos est corrosif, la mise en scène affûtée, les acteurs fabuleux, il ne manque qu’une petite étincelle pour atteindre le niveau des meilleurs films du réalisateur. The Social Network nécessite sans doute d’être revu et de mûrir et il se pourrait bien qu’il accède au même statut que Fight Club, celui de film générationnel, il en a tous les ingrédients jusque dans sa bande originale monstrueuse composée pour l’occasion par Trent Reznor et Atticus Ross.