Rhumfest 2018 – quelques gouttes de finesse dans un monde de bruts (de fût ou de colonne)
Rapide CR de l’événement de l’année pour les addicts / amateurs de canne…
Soit on vieillit, soit on a confiance en nous, mais on se pointe sur place largement après l’ouverture. Petit changement par rapport aux autres années, il y a une file d’attente assez conséquente et le vestiaire est soit disant obligatoire pour les sacs notamment (et merde, on va se trimbaler nos précieuses et vitales bouteilles… d’eau à la main pendant le salon).
Vu que l’organisation a probablement un peu trop goûté les produits exposés, ces crétins n’ont pas prévu d’élargir le vestiaire suite à cette mesure Vigipirate, donc finalement on s’évite de précieuses minutes inutiles et on rentre dans l’arène située dans les pavillons d’en face. Yessod est à la bourre mais on arrive qd même à se réunir avant d’entrer, belle synchro désorganisée, on sent que l’équipe n’en est pas à son premier match.
De prime abord, on se prend un nuage olfactif de canne dans la tronche qui nous met immédiatement dans l’ambiance. Plan de jeu de cette année, c’est comme d’hab, on démarre par les blancs (du moins on essaye), puis on se tourne vers les jus ayant bénéficié de quelques années de repos.
On attaque par la distillerie de luxe A1710, assez récente et qui travaille un peu plus son merchandising que ses contenus, même s’il parait que ses blancs bio se défendent pas mal cette année. Vu qu’on est aventurier, on teste le prototype de leur stand :
A1710 La Perle Brute de colonne : 66° dans le moteur, rien de tel pour se nettoyer la bouche de l’andouillette du midi. Et vu le produit c’est encore mieux, pas super intéressant, mais un nez une bouche et une finale 100% pure canne, parfait pour donner le coup d’envoi.
On change de salle, on se dirige vers les Clairins, rhums haïtiens merveilleux secs qu’on a déjà évoqués sur le topic. Je spotte une bouteille avec une étiquette imprimée à l’arrache, ça me rappelle le magnifique HSE SC 2003 qui était en dégustation sous cette forme il y a quelques années. Par contre le mec est en train de planquer la bouteille donc je lui saute à la gorge sans forme aucune, la politesse est secondaire dans ce type de cas.
Clairin Vaval – vieilli X mois en fûts de Caroni : une teinte assez claire qui valide le court vieillissement. On retrouve le côté gras et artisanal du Vaval, avec une petite pointe d’hydrocarbures finale qui marque le fût de vieillissement. A surveiller de près, on est loin de la violence du mazout des Caroni originaux, très belle combinaison.
On passe à côté chez Savanna qui a sorti une nouvelle gamme de blancs, on suit les recommandations de la tenancière pour l’ordre :
Savanna colonne créole 52° : rhum agricole, une certaine fraicheur et de la puissance, bien structuré, ça fera des ti punchs plus que corrects, on valide.
Savanna Lontan – 57° : toujours une bombe, des olives au nez, une fraicheur et une richesse aromatique de dingue, même si on connaissait déjà on revalide.
Savanna Herr – 57° : des jours de fermentation supplémentaires, un nez déroutant type « bonbon anglais » dixit la nana qui tient le stand et qui n’a pas l’air de beaucoup apprécier le produit. En bouche c’est mieux, pas mal de parfum et beaucoup de fruits (dur d’y retrouver les marqueurs du rhum). C’est un peu un Ovni ce truc, difficile de dire si c’est bon, mais la surprise est présente en tout cas.
Yessod se pointe et commence à rattraper son retard en s’envoyant quelques blancs. Vu qu’on commence à être un peu détendus, on lâche le schéma de jeu et on se fait un vieux de la maison.
Savanna Lontan 9 ans : vu la richesse du blanc, c’est une petite déception… comme quoi le vieillissement est un vrai boulot. Rhum assez équilibré, fruité sur la finale, mais pas convaincu par le manque de caractère. Vu le petit frère on attendait mieux.
Je jette un œil à côté, un embouteilleur indépendant qui sort des Barbades.
Barbades Cask Strength Sixty Six – 55° : comme quoi la prise de risque n’a pas que du bon. On se retrouve avec un paquet de sucre dans le gosier, celui-là est clairement traffiqué, on balance le reste et on comprend mieux la dose de cinglé qu’on nous avait servie.
On se retrouve devant ma priorité du jour, le très bon embouteilleur indépendant l’esprit qui avait sorti de très bons produits les années précédentes (ce black rock

), et qui se lance dans des blancs survitaminés.
L’esprit Martinique – 73° : première claque de la journée. Un brut de colonne en provenance de La Favorite dixit le maître de maison. Un rhum gras, suave, avec du caractère et une belle longueur, la puissance est parfaitement fondue dans l’ensemble, c’est vraiment top.
L’esprit Port Mourant – 84° : oui oui, 84 watts le bordel. C’est vraiment la course à l’armement cette année. Un nez très frais et végétal, une attaque franche et solide, toujours des côtés herbacés avec cette « colle » parfaitement intégrée qui rappelle certains jamaicains sans la banane. Franchement respect, c’est très bon également.
J’ai aussi goûté rapidos le
Fidji – 83° dans le verre de Miam un peu plus tard, je les ai trouvés très similaires, donc celui-ci est également clairement validé.
Franchement respect sur toute la gamme

.
Yessod ne trouve rien de mieux que d’exploser son verre en voulant boire de la flotte, et vu que le rhum l’a déjà rendu téméraire il ramasse les bouts de verre mains nues donc forcément il se charcute les doigts… ça ne le décourage pas, on sent la technique pour se faire du pansement artisanal, c’est réglé en moins de deux.
On passe aux vieux de la maison.
L’esprit Beenleight – 73° : un rhum… australien, une première pour moi (putain comme quoi malgré tout ce que je m’envoie je n’aurai jamais fait le tour…), mis en bouteille 10 jours plus tôt seulement.
Un nez fantastique avec des notes de coco, une bouche qui varie entre le fruit à chair et le fruit confit, la coco de retour en finale. Excellent produit, sortie à surveiller de près d’autant que les rhums de la maison restent habituellement « accessibles ». Par contre ça va être une petite prod donc il va falloir surveiller quand la page du site arrêtera d’être en maintenance…
J’ai les papilles un peu défoncées donc je zappe le dernier jamaïcain qui apparemment était pas mal, et fais une petite pause flotte.Ca tombe bien, à côté de l’Esprit on retrouve Depaz, une super distillerie qui fait encore des produits abordables, très accessibles et habituellement tout en rondeur. Et là très bonne surprise, Depaz rentre dans la course à l’armement et a sorti une version brut de fût.
Depaz 2000 – small batch 58,5° : une attaque très franche, pleine de caractère, et une longueur interminable qui oscille entre le bois, la figue et autres fuits sec. Ca dure plusieurs minutes, c’est parfaitement structuré, superbe rhum… donc j’en reprends une goutte

.
Ca commence à être blindé, donc il faut trouver les stands un peu moins peuplés. On va faire un tour en Gwada.
Damoiseau 2009 brut de fût – 66,9° : on retrouve les épices et la cannelle propres à la maison, la longueur est présente. C’est bien mais ça ne tient pas la comparaison avec le précédent.
On fait un saut chez Longueteau qui présente une nouvelle gamme d’assemblages appelée gamme « Harmonie ». Je teste l’un des trois chaudement recommandé par l’ami Vince.
Longueteau Concerto – 47,2° : un assemblage de plusieurs millésimes donc, un rhum bien structuré, plus soft que tout ce qu’on a bu jusqu’à maintenant. De la longueur sur le bois et les agrumes (l’orange), à regoûter dans de meilleures conditions mais ça a l’air pas mal du tout.
On refait à saut à côté des Clairins parce qu’on a zappé le premier Vélier la première fois.
Velier Foursquare Principia – 62° : le troisième de la gamme après le Foursquare 2006 et le Tryptich. On retrouve la qualité habituelle de la boutique : du bois mais de la fraicheur, une certaine acidité avec une finale typique Barbades, très bon produit (comme d’hab).
Petit saut chez St James qui de mon point de vue peine un peu à se distinguer récemment, mais dont les rhums ont des marqueurs habituellement différents.
St James Single Cask 97 – 42,9° : on retrouve les notes torréfiées habituelles. La fève de cacao est toujours là, moins puissante que sur le 98, la bouche est ascendante mais manque de caractère en finale. Pas super convaincu.
St James cuvée l’Essentiel – 43° : un assemblage des millésimes 1998 / 2000 et 2003. Un rhum doux mais assez complexe, qui n’a pas été sans me rappeler la fameuse carafe Clément XO de par sa structure. Vu les missiles qu’on s’est mis dans le gosier jusque là, cet instant de douceur a été tout à fait appréciable.
On cherche le bar des nouveautés vu que c’est là que se trouve la dernière collection Excellence Rhum dont beaucoup de monde dit du bien sur le salon. Ca tombe bien, il n’est pas trop blindé donc on va pouvoir se faire la totale.
ER Babarbes 2007 – 64,4° : un rhum chaud, des notes de coco à tout va qui alternent avec les épices, une longueur très respectable. Médaille d’or méritée.
ER Fidji 2004 – 65,5° : plus sec et végétal que le précédent, très réussi également. On est assez proche des vieux guyanais une nouvelle fois au niveau des marqueurs. Validé.
ER Port Mourant 2008 – 62,2° : probablement un peu en dessous du reste de la gamme, mais ça reste très bien. On est dans le typique de cet alambic en bois, fracture de la bouche en attaque, beaucoup de caractère, pas énormément d’arômes mais beaucoup de consistance.
ER Worthy Park 2007 – 57° : tiens, un jamaicain, ça faisait longtemps… On commence à s’habituer au caractère des rhums de cette provenance, mais ici on est sur quelque chose d’assez atypique, beaucoup plus rond sur les fruits à chair, une acidité assez peu marquée, j’ai beaucoup aimé.
New Grove 2007 version 11 ans – 60° : le grand frère du 2007 de l’an dernier. Toujours aussi excellent, de l’exotisme, une légère poudre à canon pour terminer, un petit kif comme d’hab.
La fin approche, les papilles sont lourdes, je me mets quelques gorgées du HSE Single Cask 2003 que nous avons évoqués ici à de nombreuses reprises donc pas besoin d’une description. Un peu déçu par la gamme des finitions qui est toujours la même et semble s’essoufler un peu chez HSE.
Je cible un peu de fraicheur pour terminer donc on se rapproche de 3 rivières, ces rhums très végétaux qui feront généralement parfaitement l’affaire pour ouvrir une dégustation.
A ce moment là ça part un peu en vrille, on voit Miam et Yessod qui courent comme des dingues vers le 3ème pavillon.
J’imagine bien la discussion :
M : haaaa, cet Australien il était bien quand même…
Y : tu parles d’un surfeur là ? T’es devenu gay ?
M : putain t’es défoncé toi, je parle de l’Australien qu’on a bu tout à l’heure chez l’Esprit…
Y : MEEEEEEEEEEEERDE, je l’ai pas goûté, j’ai fait que le Jamaicain…
M : HA PUTAIN, je l’ai zappé ce Jamaicain….
M&Y : ça va fermer bientôt faut se magneeeeeerrrrrr
L’ami Bruno qui commence à tout trouver bon (…) se voit attribuer un challenge qu’il a parfaitement relevé, à savoir aller gratter le Vaval vieilli en fût de Caroni évoqué plus haut. Il a du tellement saouler (…) le mec que l’autre a craqué rapidos, impossible de résister à un Bruno en mode relou.
Pour revenir au rhum :
3 Rivières 2000 – 42° : c’est frais, c’est sympa, mais voilà…
3 Rivières 12 ans – 42° : beaucoup plus complexe, puissant, végétal et sec, vraiment pas mal.
Je me termine avec un Clairin Casimir vieilli quelques mois en fût de whisky que j’avais repéré le matin (le pauvre mec chez Clairin il a dû nous détester à la fin vu qu’on lui a fait ressortir toutes ses bouteilles planquées), et ça m’a confirmé l’association Clairin / Fût de whisky qui se révèle très prometteuse.
Fin du bal, on doit se tirer avec le frangin parce qu’on fête ses 40 piges avec ses potes le soir.
Bruno fume la queue du vestiaire et nous rattrape. Très bonne session 2018, une montée en gamme globale qui montre que l’augmentation de la demande même si elle joue sur les prix pousse aussi les maisons à sortir des produits originaux et de qualité.
Un petit regret néanmoins, Miam a pris le RER avec un verre vide, l’image de l’an dernier était qd même bien sympa…