FOOTBALL
PSG : Marco Verratti dans son jardin d’ivresse
Par Grégory Schneider
Arrivé en 2012, le milieu de terrain de 26 ans semble stagner malgré son talent. Arrêté au volant avec un taux d’alcoolémie trop élevé, l’Italien apparaît un peu perdu dans les arcanes du club parisien, qui joue ce mardi à Naples en Ligue des champions.
Entre une rafale de Football Leaks et la partie importantissime de ce mardi soir au stade San Paolo de Naples, qui marquerait rien moins que l’élimination probable en Ligue des champions (en cas de défaite en Italie et d’une victoire de Liverpool à Belgrade) et la fin de saison 2018-2019 d’un Paris-SG déjà champion de France, l’affaire aurait pu passer inaperçue. Aucune chance : chaque battement de cœur de tout ou partie du club de la capitale est bon à prendre. On le retourne dans tous les sens, on l’interprète, on prolonge la ligne de force qu’il semble dessiner, on l’éprouve à des faits contradictoires : bref, on rigole.
Gentillesse et agressivité
Dans la nuit du 30 au 31 octobre, le milieu de terrain international italien du PSG Marco Verratti a été contrôlé sur le périphérique parisien avec un taux d’alcoolémie de 0,49 gramme par litre de sang, pour une limite autorisée de 0,20 : placé en cellule de dégrisement, il était déjà en période probatoire, ce qui dit non pas une circonstance défavorable mais une fragilité. Il n’en a pas moins joué vendredi en championnat face à Lille (2-1), plutôt bien en plus : les réseaux sociaux se sont enflammés sur l’air du «deux poids, deux mesures» puisque son coéquipier Kylian Mbappé avait été mis au frais cinq jours plus tôt pour cinq minutes de retard à la causerie d’avant-match, l’attaquant n’ayant pas vu passer l’heure alors qu’il regardait le clásico, Barcelone-Real Madrid (5-1).
L’entraîneur parisien, Thomas Tuchel, a argumenté : «Ce qu’a fait Marco n’est pas bien mais c’est au club de le régler [et non à lui, ndlr]. Je dois contrôler le vestiaire, le sportif. Et [l’écart nocturne de Verratti] s’est passé bien avant le match de Lille», sans incidence sportive, donc.
Dit autrement : le retard de Mbappé relevait de sa juridiction alors que celui de Verratti a des ressorts et des implications privés. Du coup, le club a communiqué sur le fait qu’il faisait sauter une partie de la «prime d’éthique» du joueur, une part variable du salaire visant à contrôler les aspects périphériques au terrain, comme le fait de parler à un journaliste sans autorisation de leur employeur par exemple. Et l’Italien est passé à confesse devant les micros : «J’ai fait une erreur et je me suis excusé le lendemain [auprès du coach, ndlr]. Je suis encore jeune. Ça va me servir pour le futur, pour dire à mes enfants de ne pas le faire. Ça ne change rien sur le terrain, je voulais faire plus parce que je savais que j’avais quelque chose à me faire pardonner.»
Il faut le croire : Verratti en pense chaque mot. Pour autant, ce n’est pas le premier écart du joueur, pas le plus problématique non plus : la vie est diabolique. Verratti, c’est d’abord un sourire que l’on a vu tout de suite ; le jour de sa présentation à la presse le 18 juillet 2012 entre le président parisien Nasser al-Khelaïfi et le directeur sportif d’alors, Leonardo, qui l’avait arraché au club de sa ville natale, Pescara (dans les Abruzzes, au bord de la mer Adriatique), en déployant des moyens colossaux pour un joueur de Serie B (le deuxième échelon transalpin) que beaucoup de gros clubs avaient dans le viseur, il est vrai : «Je vais faire vite, je ne suis pas celui que vous attendez», puisqu’un certain Zlatan Ibrahimovic devait être intronisé après lui dans l’amphithéâtre du Parc des princes. Les suiveurs du club parisien furent immédiatement dans le bain : beaucoup de gentillesse et de douceur, un côté un peu passif tranchant avec son agressivité sur le terrain.
Une vie parfois fluctuante
Et, surtout, une touche clandestine. A l’époque, Verratti n’a que 19 ans et le poids d’un club-Etat sur les épaules, le sélectionneur italien de l’époque parle de son départ comme d’un «scandale» mais le petit milieu (1,65 mètre) marche à l’ombre, laissant les «footballeurs-Etat» (le capitaine de la sélection brésilienne Thiago Silva, Ibrahimovic et son ego XXL, Thiago Motta et sa maîtrise des arcanes) porter sportivement et médiatiquement le lourd édifice parisien. «J’ai alors décidé de ne pas changer d’amis, expliquait-il à Yard en 2016. Ce sont les mêmes depuis tout petit, comme pour ma copine, d’ailleurs. Je la connais depuis la maternelle ! Je sais que beaucoup viennent faire les "faux amis" parce que je suis footballeur. Je respecte tout le monde. Et je salue tout le monde. Mais je sais faire la part des choses.»
Sa famille l’aide un peu : son frère Stefano, qui l’a suivi dans la capitale, s’occupera longtemps d’un peu tout, jouant par exemple le rôle de chauffeur. Celui-ci parlera ainsi de la femme de son frère, Laura, aujourd’hui mère des deux enfants du joueur : «Une fille sérieuse, qu’il a connue avant qu’il ne devienne célèbre et riche. Avoir un enfant jeune avec une femme que tu connais mal, ça peut casser ta carrière car tu peux divorcer et ne jamais voir ton enfant.» Voilà pour la vraie vie des stars du ballon. Dès lors, la mandature parisienne va se dérouler sur deux notes. La première : une vie un peu fluctuante, prenant parfois la foulée de l’inénarrable «Pocho» Lavezzi, vice-champion du monde avec l’Argentine en 2014 et «dont on ne se demandait pas quand il sortait, mais plutôt quand il trouvait le temps de rentrer chez lui» (un proche du vestiaire parisien). La seconde : des matchs parfois séduisants tant le joueur est fort avec le ballon mais une impression générale de surplace, comme si celui auquel les plus grands entraîneurs du continent promettaient un destin esseptionnel descendait subrepticement quelques échelons entre deux phases de progression.
Vingt-sept capes seulement avec la Squadra Azzura à 26 ans alors que pas moins de cinq sélectionneurs ont défilé sur le banc et que Verratti fut longtemps l’un des très rares milieux ou attaquants italiens qui évoluaient dans un top club européen : compte tenu de l’âge et des qualités (puissance, technique, sens du combat) du joueur, quelque chose cloche. Mais quoi ? Le seul à avoir ouvert publiquement le dossier fut Laurent Blanc, son coach dans la capitale entre 2013 et 2016. Il déplorait son indiscipline : les insultes aux adversaires - on a des témoignages sous le coude -, le corps arbitral harcelé et des prises de risque avec le ballon qui passent en Ligue 1 - où Verratti se promène - mais pas au-delà ; comme si ses qualités de maîtrise du ballon s’annulaient passé un certain cap. Récemment, dans l’Equipe, l’ancien joueur parisien Jérôme Leroy s’avouait déçu : six années pleines au Paris-SG et un joueur toujours incapable d’exporter son dribble 30 mètres plus haut sur le terrain, là où la prise de risque est permise puisque la perte du ballon n’y est plus potentiellement mortelle. Blanc s’est parfois félicité des progrès de son milieu, notamment sur la maîtrise de soi.
Et puis rien : il y a neuf mois, lors du 8e de finale retour de Ligue des champions 2018 face au Real Madrid (2-1 pour les Espagnols confortant le 3-1 de l’aller), «Petit Hibou» - il doit ce surnom à sa compagne, rapport à son regard, croit-on comprendre - a été renvoyé sous la douche par l’arbitre allemand pour protestation. Les supporteurs parisiens, qui l’adorent, plaident la passion, le trop-plein ; un défaut pour lequel les passionnés ont toujours beaucoup de mansuétude. Les journalistes, eux, voient un homme d’une franchise rare, un peu innocent dans un vestiaire autrement florentin ; petit bonhomme égaré parmi dans les méandres d’un club compliqué. Et c’est encore une limite pour laquelle les reporters ont pas mal de bienveillance.
Et Verratti évolue ainsi, d’indulgence en indulgence. Et il n’avance pas. Pourquoi pas ? Après tout, ça a aussi son prix. «On fait un métier qui est avant tout synonyme de plaisir pour nous, expliquait-il en 2015. Même si prendre des risques est plus marrant pour le joueur que pour un supporteur ou pour le club, parce que si on coûte un but… Il faut que le foot reste un divertissement car sinon, on perd la magie. Je n’ai donc pas peur de prendre des risques. J’aime ça, même s’il faut choisir le moment. C’est ma façon de jouer.»
«Prison dorée»
Un (super) joueur de cour d’école, en grossissant le trait : les entraîneurs s’en méfient mais les footballeurs eux-mêmes ont un grand respect pour ces gars-là, parce qu’ils vivent au plus près des origines - les un contre un dans la rue, balle au pied - et qu’ils les renvoient à une manière de pureté débarrassée de jeux de pouvoirs, des manipulations médiatiques et du marketing du football. Verratti n’en est pas tout à fait exempt quand même.
Durant l’été 2017, après avoir fait danser le club de la capitale via son manager pour forcer un départ à forte connotation existentielle (je plafonne), il avait été retourné par la direction parisienne et mis en demeure de virer son agent dans la foulée. Amer, celui-ci avait commenté comme suit l’affaire dans les colonnes de Tuttosport : «Les joueurs ne peuvent pas quitter le Paris-SG, le cheikh Tamin bin Hamad al-Thani [l’émir du Qatar, ndlr] a un potentiel au-delà de tout autre club. Les joueurs sont dans une prison dorée parce que les conditions salariales qui leur sont faites sont impossibles à retrouver ailleurs. En Ligue 1, le PSG est seul, dans un championnat de marionnettes.»
La prison dorée et la solitude d’un joueur qui navigue à vue, dans un biotope qui entretient à la fois son isolement et des défauts que le milieu avait pourtant identifiés dès le premier matin. Tout en en montrant juste assez pour faire se lever les foules les grands soirs : un coup à moitié vide, un coup à moitié plein.
Libe de mardi