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Le secret bien gardé du LOSC
L’une des raisons majeures des succès nordistes tient au modèle de recrutement, basé sur une "cellule de supervision" étoffée, digne des plus grands clubs européens.
Ce sont les hommes de l’ombre, un véritable commando de recruteurs auquel le LOSC donne le nom officiel de "cellule de supervision". Une petite quinzaine de salariés à plein temps, quasi-inconnus du grand public, qui sont les yeux du club en France et à l’étranger. Si Lille est souvent cité en référence pour la qualité de son recrutement et ses plus-values à la revente, c’est d’abord grâce à l’organisation mise en place autour d’eux. Un véritable "secret défense", dit même le président Michel Seydoux, qui voit là "une force essentielle" de son entreprise.
Là où les clubs français ont en général deux à trois salariés en charge du recrutement, plus un réseau de correspondants, le LOSC a misé sur une équipe très étoffée, à l’image de ce qui se fait à Porto ou Manchester United. "C’est un choix stratégique que nous avons fait il y a cinq ans. Cela découlait d’un constat : 95% des clubs voient forcément leurs meilleurs joueurs partir un jour, décrypte Frédéric Paquet, le directeur général adjoint. La base de la réussite, c’est le choix de l’entraîneur et la capacité à bien gérer les arrivées et les départs. Donc à bien choisir les joueurs qui rejoignent le club."
L’organisation repose sur trois piliers : Frédéric Paquet, Jean-Michel Vandamme (conseiller sportif du président) et François Vitali (responsable de la cellule de recrutement). Les deux premiers avaient démontré leur efficacité dans la détection et la formation des jeunes : Cabaye, Debuchy, Hazard… Lorsqu’ils ont rejoint le groupe professionnel, au départ de l’ancien directeur général Xavier Thuilot, ils ont proposé de mettre en place cette organisation inédite en Ligue 1. Y voyant le meilleur moyen de lutter avec les clubs à plus gros budget, Michel Seydoux leur a donné les clés.
L’avis du psychologue compte
Dans cette équipe, on trouve des anciens pros passés par Lille (Patrick Collot, Walquir Mota, Michel Titeca) ou non (Chérif Oudjani). Mais aussi des inconnus comme Anthony Gillot, le fils de l’entraîneur de Bordeaux. La plupart d’entre eux travaillent sur une zone géographique spécifique. Et traquent la perle à longueur d’année, en fonction d’une demande précise : poste, âge, profil… Le tout en collaboration avec les membres de la cellule vidéo, qui archivent toutes les données en images. "Dix à quinze personnes travaillent sur les plus de 16 ans. Et une dizaine de correspondants sur les 13-15 ans au niveau régional", explique Frédéric Paquet. "On passe beaucoup de temps à choisir le joueur, sportivement mais aussi humainement. On croise les avis de nos recruteurs pour être sûr de son talent, puis on rencontre son environnement, famille et proches. Nous sommes intransigeants sur les valeurs humaines. La plus importante étant le respect de l’effort." Pour les plus jeunes joueurs, le choix final se fait après consultation du psychologue, qui travaille à l’année avec le centre de formation. Dans tous les cas, Michel Seydoux a le final cut après accord de l’entraîneur, associé à toutes les étapes du processus.
Thauvin et Martin, les fausses notes
L’affaire Thauvin a rappelé qu’on ne connaît pas toujours bien l’homme derrière le joueur. Acheté à Bastia en janvier dernier, le jeune attaquant a filé à Marseille cet été sans jamais avoir porté le maillot lillois. Un bon coup financier (8 millions d'euros de plus-value), mais un échec de recrutement, reconnaît Paquet : "Nous n’avions pas évalué le risque d’un changement d’attitude. On cherche à minimiser le risque, mais rien n’est sûr à 100 % tant que le joueur n’a pas évolué au haut niveau. Il arrive que nous les prenions un peu tôt, pour être les premiers. Cela nous oblige à être patients."
Dans le groupe actuel, Idrissa Gueye, Djibril Sidibé ou Pape Souaré ont ainsi eu besoin de quelques années pour arriver à maturité. Parfois en allant trouver du temps de jeu ailleurs. "On prête nos joueurs à un entraîneur autant qu’à un club, explique Michel Seydoux. Si Souaré est allé à Reims, ou Gianni Bruno à Bastia, c’est parce que l’on savait qu’Hubert Fournier et Frédéric Hantz pouvaient les faire progresser. De même que si nous avons choisi René Girard comme entraîneur, c’est aussi pour ses qualités de post-formateur."
Le LOSC refuse pourtant de donner des leçons à ses rivaux : "On a visité une dizaine de clubs européens et brésiliens pour voir ce qui se faisait ailleurs. On a cassé les carcans pour aller vers ce qui nous semblait le plus efficace, mais on n’a pas réinventé la roue", tempère Paquet. Si cette organisation a permis de faire venir le défenseur danois Simon Kjaer, une révélation, et devrait bientôt voir s’épanouir Divock Origi, John Ruiz ou Soualiho Meité, elle n’exclut pas les fausses notes. Ainsi, Marvin Martin a été acheté à un prix trop élevé (près de 12 millions d'euros) pour ses performances actuelles. Et sa valeur s’est décotée. Une forme d’échec que la cellule de supervision, très coûteuse (plus de 3,5 M€) pour un club en difficulté financière, ne peut se permettre trop souvent.
Solen Cherrier et Olivier Joly - Le Journal du Dimanche
dimanche 22 décembre 2013