Comment un journaliste ayant étudié la philosophie, l’histoire de la religion et qui, a priori, n’est pas un grand fan de foot, peut-il faire une biographie sur Zlatan Ibrahimović; ?
(Rires) Non, c’est vrai, je ne suis pas un grand fan de foot ! J’ai joué quand j’étais plus jeune, mais j’ai arrêté de m’y intéresser au début des années 70. Autrement dit, je connais tout sur Cruyff ou Beckenbauer mais depuis… plus rien ! Après, en tant qu’écrivain, je suis avant tout intéressé par les belles histoires. L’histoire de personnes passionnantes, l’histoire des génies. C’est pour ça, par exemple, que j’ai écrit un livre sur le mathématicien Alan Turing. Et c’est pour ça, aussi, que j’ai choisi Zlatan. En Suède, il est plus qu’un simple footballeur. C’est le premier immigré qui rencontre le succès. Avant Ibra, il n’y avait pas de « Swedish dream ». Grâce à lui, on se dit que tout est possible.
Comment s’est déroulée votre première rencontre ?
Nous nous sommes rencontrés dans un hôtel, en Suède. La veille, il avait participé à une soirée dans une boîte à Milan. La première chose qu’il m’a dit, c’est : « David, est-ce que tu crois en Dieu ? » Ça m’a surpris, je me suis demandé s’il était croyant, s’il voulait parler de religion. Je ne crois pas en Dieu, mais je lui ai répondu que je ne savais pas. Après ça, il m’a dit : « Si tu ne crois pas en Dieu, tu ne crois pas en Zlatan » (il l’imite d’une grosse voix). J’ai répondu que, bien sûr, je pouvais croire en lui. Et il m’a balancé un « NON, car Dieu m’a envoyé à Rosengård (sa ville natale, ndlr) pour jouer au football ». J’ai pensé qu’il était fou, que c’était un mégalomane !
« Il voulait raconter sa vie comme il conduit ses Ferrari, à 320 km/h »
Ce qu’il est, non ?
Non, non, Zlatan est quelqu’un de très drôle ! Vous savez, avant de commencer à écrire le bouquin, j’ai fait énormément de recherches, j’ai lu beaucoup de livres sur le foot. Et, pour être honnête, j’ai trouvé ces livres très ennuyeux. Je veux dire… les livres sur Beckham ou Messi n’ont rien de transcendant, par exemple. Ils sont très répétitifs. Quand j’ai rencontré Zlatan, la deuxième fois, je lui ai dit que l’on ne pouvait pas faire quelque chose comme ça. Nous devions écrire un livre qui lui ressemble, quelque chose de sincère, de vrai. Il a adoré l’idée. Quand nous avons commencé les entretiens, il était vraiment honnête, il voulait raconter sa vie comme il conduit ses Ferrari, à 320 km/h. Les premières heures d’entretien étaient vraiment marrantes, j’avais des fous rires à chaque fois. Il était extrêmement drôle et…terriblement ironique ! Avec le temps, nos discussions ont donc évolué et nous avons commencé à parler de son enfance. C’est quelqu’un de très intelligent, qui analyse très bien les situations. Il a toujours été focalisé sur l’avenir, sur son prochain match. Mais là, pour la première fois, il a dû regarder derrière lui, dans son passé. Un passé dans lequel il y a des histoires très dures. À ce moment, il est devenu beaucoup plus sérieux, beaucoup plus grave.
Justement, parle-t-il facilement de son enfance ?
Ça a pris du temps, mais, avec ce livre, il avait l’ambition d’être honnête. J’ai l’impression qu’en me racontant son histoire, il voulait comprendre pourquoi il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Il a donc joué le jeu de la sincérité au maximum. Il s’est livré et a tenu à parler de la violence de sa mère, des problèmes de drogue de sa sœur ou de l’alcoolisme de son père. Zlatan aime terriblement son père mais il a compris qu’il devait raconter les détails, même si cela peut blesser. Au fil des entretiens, il y avait de plus en plus de détails comme lorsqu’il parle des bouteilles d’alcool qu’il y avait chez lui ou de son frigo vide.
Ce genre de révélations a dû vous rapprocher. Êtes-vous devenus amis ?
Non, je ne me considère pas comme l’un de ses amis. Helena (sa femme, ndlr) m’a dit qu’elle n’avait jamais vu deux personnes aussi différentes collaborer ensemble. Nous sommes opposés sur tout. Je ne pense pas que ce soit l’idéal pour créer une belle amitié, mais je crois que c’est fantastique pour écrire un livre car nous avons appris beaucoup l’un et l’autre. C’est une relation assez particulière car nous avons échangé durant une centaine d’heures. On a formé une très belle équipe. Zlatan est quelqu’un de très vif qui comprend les choses très vite. C’est aussi quelqu’un de très sensible qui ne supporte pas l’injustice. Je me rappelle qu’il avait été très marqué par l’attentat de Breivik, en Norvège. Ce jour-là, il m’avait dit : « David, raconte tout. Raconte comment m’a mère me frappait, comment mon père buvait et comment ma sœur se droguait. Mais raconte-le avec amour. »
Comment avez-vous fait la part des choses entre « sa » vérité et « la » vérité ?
Je n’ai pas cherché à savoir. Pendant six ou sept mois j’ai prétendu être Zlatan. J’étais lui. En tant qu’écrivain, vous ne pouvez pas juste le citer. Vous devez prendre certaines libertés même si nous venons de milieux différents et que ce n’est pas forcément évident. Zlatan l’a parfaitement compris.
Avez-vous eu l’impression de devenir son psy ?
(Rires) Je ne sais pas… C’est vrai que c’est rare de parler autant à quelqu’un. D’avoir l’opportunité de se confier et de raconter son histoire.
Le premier chapitre parle de Pep Guardiola, avant même d’aborder son enfance. Son expérience à Barcelone semble vraiment l’avoir traumatisé…
C’est vrai, ça peut surprendre. Mais je trouvais ça intéressant de commencer le bouquin différemment. C’est un épisode qui l’a vraiment marqué. Et puis, au moment de l’écriture, il venait d’arriver à Milan donc c’était encore frais dans sa tête. Le Barça, c’était son rêve. Son expérience à Barcelone ressemble étrangement à ses débuts à Malmö, quand il s’est retrouvé au milieu d’enfants très bourgeois. Il s’est senti marginalisé en Catalogne. Lui, le rebelle, au milieu des « élèves » parfaits du Barça. Du coup, il est redevenu le gars des banlieues qu’il avait été à ses débuts. Comme il le dit : « Tu peux sortir un mec du ghetto mais tu ne peux pas sortir le ghetto de ce mec ». Quelque part, Guardiola a détruit son rêve.
« Les Suédois avaient besoin d’une star égocentrique comme Ibra »
Comment est-il perçu chez vous, en Suède ?
Zlatan est très important en Suède. Nous devenons un pays de football grâce à lui. Avant son arrivée, les footballeurs suédois étaient très policés, très « propres sur eux ». Sur le terrain, ils étaient avant tout au service du collectif. Zlatan, lui, est arrivé en disant : « Je veux acheter une Lamborghini ». Dans un sens, on peut le comparer à Elvis. Lui aussi avait bouleversé les codes dans son domaine. Je pense que les Suédois avaient besoin d’une star égocentrique comme Ibra. Après, bien sûr, les Suédois ont toujours été divisés sur son cas. La moitié du pays est pro-Zlatan alors que l’autre moitié le déteste. Mais je crois qu’en découvrant son histoire, même ses détracteurs comprennent pourquoi il est comme ça, aussi arrogant. Zlatan se motive par la rage, c’est comme cela qu’il joue le mieux.
On a beaucoup critiqué son salaire à son arrivée en France. Quel regard porte la Suède sur ses revenus aujourd’hui ?
Il y a toujours de la jalousie, c’est normal. Mais je pense que la plupart sont fiers du parcours de Zlatan et de ce qu’il gagne. Les enfants des ghettos et les immigrés notamment. Ils trouvent de l’espoir dans son histoire, ils pensent que tout est possible. C’est positif.
Quels rapports entretient-il avec son sport ? On a du mal à l’imaginer sur son canapé à regarder des matchs de foot…
Jeune, il était obsédé par le foot mais c’est beaucoup moins le cas maintenant. Il ne regarde pas beaucoup de matchs et se déconnecte de ce monde une fois qu’il est rentré chez lui. Il recherche d’autres occupations. Il est relax. C’est quelqu’un d’obsédé qui peut jouer à des jeux vidéos pendant dix heures d’affilée ou décider de se mettre à la chasse en lisant des dizaines d’ouvrages à la suite, mais il est aussi très mature et sait prendre du recul.
Comment analyse-t-il sa carrière aujourd’hui ? A-t-il des regrets, notamment vis-à-vis de la Ligue des champions qu’il n’a jamais remportée ?
Je crois qu’aujourd’hui, il vit tout ça tranquillement. À une époque, la Ligue des champions était très importante pour lui, mais aujourd’hui, il est heureux. S’il ne la gagne pas, ce n’est pas grave. Il a déjà une carrière exceptionnelle même si, bien sûr, il espère toujours la gagner.
« Il est plus à l’aise avec les gens de la même trempe que lui »
Selon vous, voulait-il vraiment quitter Milan ?
Il adore la ville de Milan et lorsque je lui parlais, il me disait qu’il voulait rester. Mais vous savez, ces choses-là arrivent. Une chose est sûre, c’est qu’il ne jouerait pas aussi bien au PSG s’il n’était pas heureux. Il me disait souvent qu’on ne peut pas jouer si l’on n’est pas heureux. En comparant la situation actuelle à celle du Barça, je pense qu’il préfère jouer au PSG et être la star principale, plutôt qu’être une star parmi d’autres.
Faut-il forcément avoir le caractère d’un Mourinho ou d’un Capello pour bien s’entendre avec Zlatan ?
Il peut s’entendre avec tout le monde contrairement à ce que l’on peut penser, mais il est plus à l’aise avec les gens de la même trempe que lui. Il aime les entraîneurs très présents malgré le fait qu’il donne l’impression d’être une star indépendante qui ne veut rien entendre. C’est pour cela que son entente avec Mourinho ou Capello, des coachs assez autoritaires, a été excellente et que quelqu’un de plus réservé et porté sur la philosophie comme Pep a eu beaucoup plus de mal. C’est vrai qu’à travers ses amis, il va chercher des personnes, à l’image de Raiola (son agent), capables de dire « Va te faire foutre» quand ils le veulent. Mais globalement, si tu respectes Zlatan, il te respecte.
Comment imaginez-vous Zlatan une fois sa carrière terminée ?
Il m’a dit qu’il se voyait dans sa grande maison, à chasser et à fumer des cigares au coin du feu. Mais je ne le crois pas, c’est quelqu’un qui a besoin d’adrénaline. Il a besoin de choses nouvelles afin de mettre son esprit de compétition à l’épreuve. Je le vois bien en business man. Il a toujours pris du plaisir à négocier ses contrats et ses transferts. Ce n’est pas juste parce qu’il est très bon qu’il gagne autant mais aussi parce qu’il est un très bon négociateur. Son enthousiasme lorsque l’on aborde ces sujets montre qu’il aime ça autant que jouer, je pense qu’il finira dans le business d’une façon ou d’une autre.
Le livre est déjà un grand succès en Suède avec déjà 500.000 copies vendues…
Oui c’est un très grand succès, d’un point de vue critique mais également au niveau des ventes. Le plus touchant, c’est tous ces enfants qui se mettent à la lecture à travers ce livre. Il est même étudié dans les écoles. J’ai rencontré des profs qui me disaient : « J’ai donné plein de livres à mes élèves et ils ne les ont jamais lus, puis j’ai donné Zlatan, et ils l’ont lu cinq fois». On peut se rappeler de Zlatan pour tous ses buts mais, à mon avis, on doit surtout s’en rappeler comme celui qui a mis les jeunes Suédois à la lecture et qui leur a donné de l’espoir. Je serais très touché que les jeunes des banlieues françaises lisent ce livre et voient que l’espoir est possible.
Que n’avez-vous jamais dit sur Zlatan ?
Zlatan a été extrêmement honnête avec moi et ne m’a rien caché. Après, il y a certaines choses qu’il ne voulait pas rendre publiques, notamment certaines histoires très personnelles de sa famille ou des anecdotes sur certains joueurs de foot qui n’étaient pas directement liées à son histoire. Dans ce livre, il dit tout, mis à part la phrase qu’il a transmise à Guardiola lors de sa signature au Milan AC (rires).
Par Lucas von Dorpp & Grégory Blasco pour So Foot