COMMENT SE FAIRE ÉCULEREn moins de quatre minutes, le "Buzz" du Canal Football Club enfile les clichés comme un ministre de la Culture les erreurs de communication.
Nous devons présenter nos excuses à Canal Football Club et à ses responsables éditoriaux. En critiquant la séquence "Le Buzz" dans un article récent ("Liberté d'éructation"), il nous avait bêtement échappé qu'elle constituait littéralement un cas d'école, un exercice destiné aux écoles de journalisme, grâce auquel les élèves apprendront tous les travers que leur futur métier requiert. L'épisode de dimanche 18 octobre l'a bien montré, avec une accumulation forcément délibérée de ces bricolages intellectuels et de ces pensées pré-pensées auxquels les apprentis journalistes doivent se former.
Trois minutes trente de pure démonstration, une leçon en sept points.
1. Choisir un sujet éculé et faire semblant de le mettre en question:
• "Paris SG, inéluctable crise d'automne?"
2. Commencer avec une entrée dramatique sur fond de musique angoissante, en additionnant les poireaux et les carottes dans un style de rédaction de troisième:
• "Sur le Camp des Loges cette semaine, les premiers froids d'octobre. Hoarau à l'écart, Erding au ralenti, signe d'une attaque décimée. Peguy Luyindula au sol, terrassé par un jeune coéquipier aussitôt viré de l'entraînement. Tout cela n'a rien de très rassurant. Au-dessus de ce club, qui passe si vite d'un excès à l'autre, du blanc au noir, planerait-il une vieille habituée des lieux? [crescendo dramatique de la bande-son] La crise d'automne" (1).
3. Interroger des personnes qui sont parties prenantes du problème, afin d'être sûr de ne pas avoir de recul. Les laisser avouer qu'ils parlent d'un phénomène qui est largement une vue de l'esprit:
• Jérôme Touboul (L'Équipe) : "C'est pas un phénomène scientifique qui fait qu'on peut être certain chaque année que le PSG sera en crise pendant l'automne. Mais bon, ça s'est produit suffisamment de fois ces quinze dernières années pour qu'on y voie parfois un peu un clin d'œil de l'histoire".
4. Passer du coq à l'âne et d'un marronnier à l'autre en embrayant sur les "tentations" parisiennes qui dévoieraient les joueurs.
• "Et si la crise venait de l'air de Paris, qui peut transformer n'importe quel joueur, même le plus sage [image de Ronaldinho]?" L'expert digresse. Jérôme Touboul: "Pour peu qu'il y ait un bon début de saison, par exemple, il est courant que les joueurs prennent la grosse tête".
5. Passer de l'âne à la chèvre et du deuxième marronnier au troisième en embrayant sur la "pression" parisienne qui dévorerait les joueurs.
• "Autre explication, la pression des supporters, des médias. Malgré les blessures, inévitables après deux mois de championnat [images de banderoles et de graffitis], les Parisiens n'ont pas de droit à l'erreur".
6. Interroger des personnes qui sont parties prenantes du problème, afin d'être sûr de ne pas avoir de recul. Les laisser avouer qu'ils parlent d'un phénomène qui est largement une création de leur esprit:
• Arnaud Hermant (Le Parisien) : "Au Paris Saint-Germain, il y a souvent un problème de temps. On tente des projets mais on laisse pas mûrir [image de Charles Biétry]. Les médias sont tout de suite, et nous les premiers, en émoi. On s'interroge, on dit 'Ouh là là qu'est-ce qui se passe, est-ce qu'il ne va pas y avoir quelque chose?' et voilà".
7. Revenir sur la lubie de départ pour faire croire qu'on ne parle que de ça depuis le début, en insistant bien afin de l'aider un peu à se produire (2).
• "Ils en sont loin, c'est vrai. Mais échapperont-ils au syndrome? Depuis ce match contre Lille fin août, les Parisiens n'ont plus gagné. Trois nuls, une défaite à Monaco [image de Grégory Coupet]. Même si le club paraît plus stable que par le passé, méfiance".
* * *
"Et voilà", comme dit l'autre. On ne sait toujours pas si le PSG est plus sujet que d'autres clubs à un creux dans ses résultats automnaux (pour savoir cela, il faudrait se fader des statistiques et risquer de parvenir à une vérité décevante), ou bien s'il est juste meilleur sujet que d'autres clubs pour des journalistes ne reculant devant aucune porte ouverte et n'hésitant pas à traiter d'un phénomène avant même qu'il se produise.
http://www.cahiersdufootball.net/article.php?id=3364