Les concessions de Canal Plus pour commercialiser beIN Sports
La filiale de Vivendi veut commercialiser la chaîne sportive, mais doit d'abord obtenir le feu vert du gendarme de la concurrence qui lui impose concession sur concession.
Le supplice de Canal Plus va bientôt prendre fin. La filiale de Vivendi va enfin savoir si elle peut ou non commercialiser beIN Sports. Car cet accord avec la chaîne sportive reste soumis à l'approbation de l'Autorité de la concurrence. L'anti-trust, après avoir promis un verdict pour fin avril, l'a repoussé, et va finalement se prononcer d'ici mi-juin, a révélé le Monde la semaine dernière.
Ce retard s'explique par les négociations entre la chaîne cryptée et le gendarme de la concurrence, plus âpres que prévues. Au fur et à mesure, la chaîne présidée par Vincent Bolloré a dû faire des concessions et en préciser d'autres. Mais cela ne suffit pas à l'Autorité de la concurrence, qui envisage d'infliger des obligations supplémentaires. Revue de détail.
1- une fausse exclusivité
À l'origine, la filiale de Vivendi voulait commercialiser beIN Sports en exclusivité, sur le même modèle que les autres chaînes distribuées en exclusivité par CanalSat (Eurosport...). En pratique, pour regarder beIN Sports, le téléspectateur aurait été obligé de s'abonner aussi à CanalSat ou Canal Plus, permettant ainsi de doper leurs abonnements.
Mais Canal a dû reculer sur ce point. Finalement, le téléspectateur pourra continuer à s'abonner à beIN Sports en solo, comme aujourd'hui. Le texte confidentiel des engagements proposés par la chaîne (cf. ci-dessous) stipule: "Canal Plus s'engage à rendre possible la souscription en stand alone par tout consommateur qui le souhaiterait. [...] beIN Sports sera vendue seule, via une offre de Canal Plus, si le consommateur en fait la demande, pendant toute la durée du contrat [soit 5 ans], et sera disponible dès le mois de juillet au prix garanti de 14 euros TTC par mois en 2016. Ce prix pourra ensuite faire l'objet d'une révision annuelle".
Initialement, la filiale de Vivendi voulait que cet engagement ne soit pas gravé dans le marbre, de façon à pouvoir changer d'avis ensuite, et à passer à une réelle exclusivité au bout d'un an par exemple. Ainsi, sa promesse initiale de commercialisation en solo de beIn Sports était ambiguë: il s'agissait d'une offre indicative et "non-contraignante". Et la chaîne, lorsqu'on l'interrogeait, refusait de sortir de l'ambiguïté et de clarifier ce point...
Las! Le gendarme de la concurrence s'est montré très attaché à ce que l'on puisse continuer à s'abonner à beIN Sports en solo. Il a donc demandé que cet engagement soit gravé dans le marbre, sans laisser la moindre ambiguïté. "Comme Michel Blanc dans les Bronzés, Canal Plus a essayé de conclure sur un malentendu. Mais le gendarme de la concurrence n'est pas une fille facile...", ironise un expert.
2- la vente par internet
Aujourd'hui, vous pouvez vous abonner à beIN Sports via un distributeur tiers: CanalSat, Orange, SFR Numericable, Free, Bouygues Telecom. Mais vous pouvez aussi regarder la chaîne qatarie sur ordinateur ou TV connectée en vous y abonnant directement: c'est l'offre beIN Sports Connect, proposée un euro moins cher.
Pour l'avenir, Canal Plus se propose de s'occuper aussi de cette commercialisation dite en "over-the-top" (OTT). Mais le gendarme de la concurrence n'est pas forcément d'accord, et envisage que cette commercialisation se fasse sans Canal Plus, mais toujours par beIN Sports. Précisément, jeudi 19 mai, il a proposé au secteur, dans le cadre d'un "test de marché", d'imposer un tel "remède complémentaire" formulé ainsi: "l'OTT serait exclu du périmètre" de l'accord.
3- la relation avec le client
Aujourd'hui, lorsque vous vous abonnez à beIN Sports via un distributeur tiers (CanalSat, Orange, SFR Numericable, Free, Bouygues), c'est ce dernier qui gère la relation avec le client (facturation...). En échange, la chaîne sportive verse une commission au distributeur tiers de 30% du prix HT.
En revanche, lorsque vous vous abonnez à Canal Plus ou CanalSat, ce sont eux qui gèrent la relation client: cela s'appelle l'auto-distribution. En échange, Canal verse une commission plus petite (20% du prix HT environ).
À l'avenir, Canal veut se charger lui-même de la relation avec les abonnés de beIN Sports. Mais, là encore, la chaîne cryptée a dû faire des concessions. Elle a promis qu'elle communiquerait quand même au distributeur le nom et l'email de l'abonné, indiquent ses engagements en date du 18 mai.
Mais cela ne suffit toujours pas au gendarme de la concurrence, qui envisage d'imposer en outre "un remède alternatif". Il permettrait au distributeur de conserver la relation client. Précisément, le distributeur pourrait acheter la chaîne sportive en gros, puis la commercialiser lui-même auprès de ses abonnés. "Canal Plus devrait rendre possible la distribution par des distributeurs tiers en stand alone dans le cadre d'une offre de gros faite par Canal Plus. Le prix de cette offre de gros devra être suffisamment attractif pour éviter toute compression de marge", indique le test de marché du 19 mai.
Victoire à la Pyrrhus
Au final, trois options sont possibles: l'autorité présidée par Bruno Lasserre peut soit refuser l'accord, soit l'approuver sans conditions, soit l'approuver avec conditions. Toutefois, un feu vert sans conditions semble exclu. Si feu vert il y a, ce sera sous conditions. Reste à savoir si l'accord gardera encore un intérêt après toutes ces concessions...
Au final, Canal Plus pourrait donc bien remporter une victoire à la Pyrrhus. Mais cela permettrait à tout le monde de sauver la face et de garder la tête haute. Vincent Bolloré pourra brandir ce feu vert comme un trophée, même si en réalité il aura bu le calice jusqu'à la lie. De son côté, Bruno Lasserre sortira par le haut de l'intense pression qu'il subit, Vincent Bolloré martelant que la survie de Canal dépendait de son feu vert...
Interrogés, Vivendi et Canal Plus n'ont pas répondu.
http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/le...rts-976345.html