Article intéressant de Kiplé magazine qui rend les choses un peu moins confuse pour les novices comme moi...
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La bonne étoile de YellOwStaR
APRÈS AVOIR ÉTÉ L'UN DES PLUS GRANDS NOMS DE « LEAGUE OF LEGENDS », SUCCÈS MONDIAL DES JEUX VIDÉO, YELLOWSTAR, 24 ANS SEULEMENT, VIENT D'ÊTRE PROPULSÉ DIRECTEUR SPORTIF DE LA SECTION ESPORTS DU PSG. PREUVE DE L'AMBITION DU CLUB PARISIEN DANS UN SECTEUR EN PLEINE EXPLOSION.
Cinq fois champion d’Europe, vice-champion du monde 2011 de League of Legends... YellOwStaR a fait partie du Team Fnatic, la meilleure équipe d’Europe.
À ses débuts, le gamer jouait devant une centaine de personnes et devait même amener son ordinateur personnel lors des compétitions. À la fin de sa carrière, le phénomène eSport explose et YellOwStar se retrouve en Corée du Sud à jouer devant 40 000 spectateurs.
À force de l'entendre dire « les jeunes », à force de l'écouter répéter qu'il est à la retraite, on a l'impression de parler avec un dinosaure. Un dinosaure de 24 ans. Mais quand on est un champion d'eSport comme Bora « YellOwStaR » Kim (pour ceux qui ne jouent qu'à Candy Crush, le eSport, c'est les compétitions de jeux vidéo), 24 ans, ça pèse : le champion du monde Fifa 17 (pour ceux qui ne jouent qu'aux petits chevaux, Fifa, c'est un jeu vidéo de foot), Lucas « DaXe » Cuillerier en a 16. Et oeuvre au PSG. Tout nouveau directeur sportif de la toute nouvelle section eSports du PSG, Bora s'occupe donc aussi de la jeune recrue parisienne, mais sa spécialité à lui, c'est League of Legends (pour ceux qui ne jouent qu'à Risk, League of Legends, c'est un jeu de stratégie par équipe dans un univers fantastique, lire l'encadré page 30). Et il en est lui-même une, de légende. « YellOw a été l'un des tout meilleurs du monde, confirme Marco Garnier, french community coordinator chez Riot Games, l'éditeur du jeu. Il a eu une carrière époustouflante, d'une longévité exceptionnelle. »
Quand on cumule les handicaps d'être français (l'eSport commence juste à prendre de l'ampleur en France) et encore plus vieux que Bora, on ne se rend pas forcément compte, mais YellOwStaR est une vraie star. Cinq fois champion d'Europe, cinq participations aux Mondiaux. Il a joué au Staples Center, la maison des Los Angeles Lakers, et au World Cup Stadium de Séoul devant 40 000 spectateurs. Des fans lui demandent des autographes et une maison d'édition lui a demandé un livre. Comment devenir un champion de League of Legends retrace sa carrière.
Elle a commencé quand il avait 2 ans. On s'en étonne. Il rigole. « Je jouais avec mon grand frère, Rathana. » Qui avait 4 ans et demi... Il rit à nouveau. « Dès mes 6 ans, c'est lui qui s'occupait de moi, raconte-t-il. Il était suffisamment autonome pour qu'on rentre à la maison tout seuls après les cours plutôt que de rester au centre de loisirs. On s'est mis aux jeux vidéo jeunes pour avoir une occupation. Mes parents travaillaient beaucoup. » En costume bleu marine avec pochette blanche et mocassins en cuir « c'est plus présentable » dans la chambre d'un Appart'Hôtel de Lyon où il est descendu comme consultant sur une compétition, il marque une pause et ajoute : « Ils ont un passé lourd que j'admire. »
Assis au bout de son lit défait, la main gauche à plat sur son genou, la main droite qui s'envole, YellOwStaR raconte, posément, Kunthea et Ren, Cambodgiens arrivés en France à 18 ans sans connaître la langue. « Ils ont fui le régime khmer, ils sont réfugiés politiques. Leur jeunesse a été difficile. Ils travaillaient dur dans les champs, sans avoir de quoi manger. Ils ont vécu le génocide, perdu leurs parents très jeunes. Quand ils nous racontent, je me demande comment il est possible d'avoir survécu. » Son père a perdu son nom dans la bataille. Une histoire un peu embrouillée de papiers qui manquent et de tutelle qui fait qu'à la fin, c'est un patronyme coréen qui a été accolé à leurs prénoms cambodgiens. « Mon père se souvient de notre nom d'origine. Moi, je l'ai oublié. »
Pas de pathos, pas de grandes envolées. Les mots sont simples, l'émotion invisible. Pas la fierté. « On a remarqué très jeunes qu'ils faisaient beaucoup d'efforts pour nous. Je suis fier de voir ce qu'ils ont réussi en partant de zéro. Je ne sais pas comment ils ont eu cette force, pour s'en sortir, pour toujours tout faire pour qu'on ne manque de rien. C'est génial. » Les décevoir ne pouvait pas entrer dans les plans. Et eux ne sont pas chauds pour que leur fils fasse carrière dans le jeu vidéo. Pourtant, en se mesurant à son frère, il réalise qu'il est plutôt doué. C'était chaque fois la même chose : « Il m'initiait, on commençait à jouer ensemble. Il ne progressait pas spécialement vite, je le dépassais et j'arrêtais de jouer avec lui ! » rigole-t-il.
« J'AI COMMENCÉ LES JEUX VIDÉO À 2 ANS AVEC MON FRÈRE DE 4 ANS ET DEMI. IL M'INITIAIT, MAIS JE LE DÉPASSAIS ASSEZ VITE ET J'ARRÊTAIS DE JOUER AVEC LUI ! »
Bora choisit League of Legends comme terrain de jeu. YellOwStaR comme pseudo. ``Yellow'' pour ses origines. Jaune. Sympa pour un Asiatique. Il éclate encore de ce rire dont il n'est pas avare. « J'ai toujours aimé faire des blagues, j'ai trouvé ça amusant. Et ``Star'', c'est parce que je voulais briller dans ce que je faisais. » Réussi. Pour ça, il lui a fallu travailler, beaucoup. Convaincre ses parents, surtout. D'autant que quand il commence, à 17 ans, le circuit en est à ses balbutiements. « Pour les tournois, on trimballait notre propre ordinateur, j'avais besoin d'une autorisation parentale et d'un responsable légal. Il fallait penser à tout, même à la chambre d'hôtel, et quand on est jeunes, au niveau des sous, c'est compliqué ! » se souvient un YellOwStaR version ancien combattant, qui a connu les primes de 50 euros. Aujourd'hui, les meilleurs gagnent des millions de dollars.
Avec les parents, le deal, c'est que YellOwStaR fait ce qu'il veut tant que Bora Kim a de bonnes notes. Du coup, il choisit des études faciles : médecine... « J'avais la vocation, assure-t-il. Je voulais bosser en neuro ou devenir chirurgien. Mais ça demandait trop d'investissement pour être compatible avec ma passion des jeux vidéo », sourit-il. Son année ratée, il se focalise sur League of Legends. Commence à voyager. Termine vice-champion du monde, en Suède. L'année suivante, il s'inscrit en biologie. « Enfin, sans conviction... », part en Corée. Ses parents commencent à se dire qu'il y a peut-être un truc. Son oncle
qui vit aux États-Unis plaide sa cause et celle d'un eSport qui explose là-bas. Alors, quand il reçoit un contrat pour passer pro, il y a quatre ans, Kunthea et Ren acceptent.
Bora quitte Athis-Mons pour Berlin, où se déroule le Championnat continental. Suivront les années de coloc avec la meilleure équipe européenne, Fnatic, dans une gaming house (sorte de centre d'entraînement). Une demi-saison aux ÉtatsUnis, aussi. Il est devenu capitaine, est passé d'attaquant à défenseur « pour le bien de mon équipe » , a perdu une chérie (ça peut arriver quand on s'entraîne jusqu'à quinze heures par jour) et 35 kg en huit mois. « Je me suis vu sur une vidéo et je me suis dit que ce n'était pas l'image que je voulais renvoyer. » L'ancien champion régional de taekwondo baisse les calories, augmente le sport et triomphe de son tour de taille.
On est en 2013 quand il se hisse vers les sommets. En 2016, YellOwStaR n'arrive plus à briller. « Ma motivation était la même, mais je sentais que l'exécution était moins bonne. Je n'étais pas au niveau auquel je voulais être. » Peut-être un peu d'usure aussi. Quand il a été invité à Quotidien, l'équipe de Yann Barthès a calculé qu'en sept ans de League, Bora a joué trois années effectives. « Ça fait beaucoup, oui... Arrivé à un certain âge, on se dit qu'on ne va pas éternellement rester joueur, on veut aller vers autre chose. »
C'est surtout le PSG qui est allé vers lui. « C'est un gros défi pour nous de se lancer dans l'eSport. Il nous fallait quelqu'un de son rang », explique Fabien Allègre, directeur de la diversification de la marque PSG. « YellOwStaR a cette carrière, ce regard aiguisé sur la performance, cette capacité à manager des équipes. C'est un gros bosseur, très professionnel. On avait aussi la volonté de travailler avec lui parce que c'est un garçon charmant. » Qui a tout à créer. « Ah oui, tout est à bâtir. Ce nouveau poste impose de gros challenges, beaucoup de pression et de responsabilités, je ne m'attendais pas à tout ça », confirme Bora. Son visage, aux airs enfantins quand il rit, se fige, sérieux. « Mais c'est une chance de débuter au PSG. La section eSports est déjà hyper pro, on va pouvoir faire appel à ce qu'ils maîtrisent déjà, en prépa mentale, en kiné, pour prévenir le mal de poignet et de dos... »
« CE NOUVEAU POSTE IMPOSE DE GROS CHALLENGES, BEAUCOUP DE PRESSION ET DE RESPONSABILITÉS, JE NE M'ATTENDAIS PAS À TOUT ÇA »
Le bien-être des joueurs fait partie de ses prérogatives. Tout comme la logistique (c'est lui qui a trouvé la gaming house dans laquelle vivra le PSG à Berlin, et dont il est allé récupérer les clés la semaine dernière) ou assurer la liaison entre l'éditeur du jeu, l'équipe et le club... Et le recrutement, surtout. D'un coach, d'un analyste, d'une équipe. La saison démarre en janvier et la période des transferts n'ouvre que le 23 novembre. Règlement oblige, il n'a pas le droit d'appeler directement les joueurs. Bora doit passer par l'intermédiaire de leur équipe, demander l'autorisation de leur parler et, attendre que leur contrat soit arrivé à terme pour les recruter. Alors, le téléphone de Bora chauffe... Jour, nuit, vive le décalage horaire. « Du coup, je n'ai pas une idée trop précise du volume de travail ! » sourit Bora. À la fin, ils seront sept. Cinq titulaires, deux remplaçants, en cas de blessure. « Pour qu'ils sentent aussi que, s'ils ne fournissent pas assez d'efforts, ils pourront être remplacés. » Pas de doute, YellOwStaR est bien passé de l'autre côté.
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LEAGUE OF LEGENDS, C'EST QUOI ?
C'est le jeu de stratégie par équipe en ligne le plus populaire. Une « game » (une partie) se joue à cinq contre cinq, sur ce qu'on appelle une arène. Le but est de détruire le bâtiment principal adverse. Chaque joueur a un poste attitré (par exemple, YellOwStaR a commencé « ad carry », attaquant, et s'est reconverti en « support », défenseur) et choisit un « champion », un personnage, parmi les quelque 130 existants, dont chacun a des aptitudes particulières. Selon les différences de niveau entre les deux équipes, une game dure entre trente minutes et une heure. Dans le monde, 100 millions de personnes y jouent. Un gamer pro touche de 40 000 dollars (37 000) à plusieurs millions. Et si on prend le eSport dans son intégralité, c'est 250 millions de pratiquants. En 2019, il devrait attirer 1,5 milliard de spectateurs et générer 1 milliard de revenus.