Citation
Au travail, le dépistage d’usage de drogues peut-il être imposé ?
Habituellement réservés aux contrôles routiers ou aux compétitions sportives, les dépistages inopinés d’usage de drogues et d’alcool pourraient prochainement faire leur entrée dans les entreprises. C’est, en tout cas, ce à quoi aspire la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), qui a saisi en ce sens le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Déjà sollicité en 1989 sur ce sujet, ce dernier avait à l’époque
rendu un avis extrêmement restrictif, ne tolérant qu’un recours exceptionnel pour les seuls postes qui comportaient de grandes exigences en matière de sécurité, en précisant qu’il était «juridiquement et éthiquement interdit de procéder à des examens ou tests systématiques lors de toute embauche ou de tout examen périodique, sans distinction suivant les emplois postulés ou occupés.»
Une fin de non-recevoir qui, aujourd’hui, n’est plus d’actualité. En déclarant qu’il ne s’opposait pas à «un
dépistage médical de l’usage des produits illicites au travail», le comité a ouvert la porte à l’extension de l’usage des tests en milieu professionnel, ajoutant même qu’il était «souhaitable et justifié pour les postes de sûreté et de sécurité». Si dans sa saisine, la Mildt se focalisait sur les substances illicites, avec en ligne de mire le cannabis, le CCNE a tenu à intégrer dans sa réflexion l’alcool et l’abus de médicaments psychotropes, qui s’avèrent dans les faits bien plus problématiques que le «pétard.» «Nous avons pu constater que ce sont davantage les drogues
licites qui posent problème», explique Claude Burlet, l’un des rapporteurs du texte. A l’appui de cette
prise de position, le CCNE indique que 10 à 20 % des accidents de travail déclarés seraient liés à la prise
d’alcool et que 10 % des salariés seraient des consommateurs réguliers ou occasionnels de produits illégaux,
cannabis en tête. Par ailleurs, une étude réalisée en 2006 par Michel Niezborala, médecin du travail, montre que 20 % des salariés ont recours à un médicament pour être «en forme au travail», que 12 % en prennent sur le lieu de travail pour «traiter un symptôme gênant» et que 18 % en utilisent «pour se détendre au cours d’une journée difficile».
Mais c’est moins cet étalage de données – dont certains disent que les interprétations sont sujettes à caution – qui a incité le CCNE a revoir sa copie que l’apparition «d’éléments nouveaux». A commencer par l’évolution du commerce international et des exigences d’une concurrence mondialisée. «Pour certaines entreprises travaillant à l’étranger ou à l’exportation, les contrats stipulent que le personnel doit être indemne de toute consommation d’alcool ou de drogue. Bien entendu, si les clauses ne sont pas respectées, le contrat est perdu», avance Claude Burlet. Il est apparu d’autre part au CCNE que les mentalités avaient évolué, et que la réception des contrôles du type éthylotest «pour le bien de la société » était désormais bien reçue, tout comme l’ont été les contraintes liées à la loi anti-tabac. «Les notions de responsabilité individuelle et d’obligation de ne pas nuire à autrui ont beaucoup progressé ces dernières années», assure Claude Burlet.
Le texte du CCNE va plus loin : «Cette évolution des esprits explique sûrement pour une large part l’acceptation
par la société de la mise en oeuvre par les pouvoirs publics de dispositions contraignantes, qui auraient sans doute été jugées, il y a un demi-siècle encore, comme gravement attentatoire aux libertés individuelles.» Si la France est restée en marge de l’usage de tests au travail, dans certaines entreprises, les postes dits «à risques» peuvent actuellement justifier la mise en place de dispositions autorisant des tests inopinés de détection de
consommation d’alcool ou de produits illicites. Par exemple, la SNCF a dressé la liste des emplois susceptibles
d’être soumis à un contrôle surprise, et EDF a autorisé les responsables des centrales nucléaires à procéder à des éthylotests. A la notion de postes «à risques», le Comité a préféré retenir celle «de sûreté ou de sécurité», qu’il définit comme «tout poste exigeant une vigilance particulière».
Impossible d’en préciser la liste, la conception d’une telle fonction variant d’un secteur à l’autre. Aux entreprises
donc, de les recenser dans le cadre d’une négociation collective. Médecins, traders ou informaticiens en charge de données sensibles pourraient ainsi être visés. «Ces mesures doivent être étendues à l’ensemble du monde professionnel dans les secteurs privé et public», ajoute Claude Burlet. A noter que pour être effectifs, ces contrôles devront être inscrits au règlement intérieur, dans les contrats de travail et être annoncés aux salariés au
moment de l’embauche.
Direct Matin
Bad news