Un dossier du site equipecyclistefdj.fr sur les profils de coureurs avec l'interview de Frédéric Grappe, Yvon et Marc Madiot. Ils abordent aussi le problème de la formation française :
Interview de Frédéric Grappe, entraîneur de l’équipe fdj.fr depuis quinze ans :Citation
Frédéric Grappe, qu’appelle-t-on le profil du coureur ?
Le profil, c’est la classification des coureurs en de grandes catégories. On les connaît : les grimpeurs, les rouleurs, les sprinteurs et les grimpeurs/rouleurs. La notion de coureur complet ne me paraît pas devoir être employée souvent. Parce qu’il est très rare de savoir sprinter vite en étant grimpeur/rouleur. A moins de s’appeler Eddy Merckx ou Bernard Hinault. Il y a aussi de grands sprinteurs qui savent rouler vite. Enfin, il y a la catégorie qui n’entre dans aucune de ces castes. Ce sont les coureurs dont les capacités sont inférieures à la moyenne et qui pourtant savent tirer leur épingle du jeu en menant des échappées ou en faisant un très bon travail d’équipier.
Comment détermine-t-on la classification d’un coureur ?
La première chose est de déterminer la cylindrée, donc sa capacité en VO2 Max, sa capacité de consommer un grand volume d’oxygène. C’est la donnée qui va permettre de dénicher les futurs champions même si ensuite, dans le processus, entre un nombre important de données. Une grande VO2 Max est la base mais n’est pas suffisante pour faire la carrière d’un champion. Puis on va tester la capacité de l’effort en solitaire, la capacité du coureur à définir une stratégie de l’effort. C’est une notion très importante. Ensuite, on va tester l’explosivité en effectuant des tests de sprints. Entre en jeu la fibre musculaire.
Fibre musculaire qui relève de l’inné ?
On peut dire que pour tout coureur cycliste, 40 à 50% de son potentiel relève du génétique. De l’immuable. Le reste, c’est 50% de travail. Son morphotype, la manière dont il est bâti va déterminer son champ de compétence : la longueur de ses membres, son fessier, des données qu’on ne peut pas bouger. Kenny Elissonde a un morphotype et on ne va pas lui demander de rouler en tête de peloton. Ça ne correspond pas ! Laurent Mangel, c’est l’inverse.
Comment déterminer à partir de la VO2 Max et de la fibre musculaire, le profil du coureur ?
Beaucoup de VO2 Max, c’est beaucoup de fibres lentes. Il y a des coureurs puissants capables de rouler contre la montre et qui vont aller vite au sprint. Marcel Kittel par exemple, Thor Hushovd quand il était plus jeune. Arnaud Démare peut appartenir à cette catégorie. Il a un gabarit, il est puissant et il va vite. C’est ce qui peut faire de lui un coureur de classiques mais c’est lui qui va décider de la suite de sa carrière. Avec le temps, un sprinteur perd toujours de son explosivité. C’est jeune qu’un coureur atteint son plus haut niveau d’explosivité et comme il s’exprime dans l’insouciance, qu’il n’y a pas de charge de travail, il n’y a pas d’usure mentale. Après c’est une question d’évolution mais c’est insidieux. Conscient de cette donnée, le coureur anticipe et ne subit pas le changement, il pilote la machine. Sinon, il est mis devant le fait accompli.
Cela signifie que les données physiques, de celles qui définissent le profil, évoluent ?
Il faut que le coureur soit tout le temps conscient de son potentiel physique et mental. Ensuite, divers éléments vont influencer sa carrière, ses choix de carrière. La performance est liée à de multiples choses mais il y a cinq grands modèles. 1) Le modèle nutritionnel ; 2) le modèle mental de l’ordre du stress ; 3) le modèle d’entraînement ; 4) le modèle social ; 5) la notion de plaisir. Le champion représente la synergie des cinq points.
En rentrant dans les détails, il est clair que nous manquons de rouleurs en France ?
Oui c’est une vraie faille de notre système de formation français. La capacité de rouler, il faut la travailler très rapidement, dans les catégories de jeunes, très rapidement pointer l’importance de la stratégie de l’effort et stocker des expériences. Plus un coureur va le faire jeune, plus il a de chance d’être meilleur chez les pros. En France, on est à côté de la plaque. Dans la catégorie des DN1, les espoirs disputent trois contre la montre par an. Il en faudrait un par mois de plus de 25 kilomètres. Chez les pros, on essaie de compenser en demandant à tous nos coureurs de faire les contre la montre à bloc mais il y a un grand retard à la base.
Et c’est vrai que peu de coureurs, en France, goûtent à cet exercice ?
Et pourtant beaucoup d’entre eux en ont le potentiel. Je n’aime pas quand un coureur botte en touche et ne le fait pas à fond. Peu importe le résultat et la place dans le classement mais cet exercice fait apprendre sur soi, il permet d’apprendre à gérer beaucoup d’éléments à la fois : le matériel, la météo, le vent, l’alimentation et la gestion des soucis personnels. Et c’est un effort gratifiant parce qu’il s’agit d’un investissement personnel de moyen et de long terme. Le profil, il s’agit seulement de l’explorer.
C’est l’exercice type de gestion de l’effort ?
Il y a deux types d’efforts : l’effort passif et l’effort actif. L’effort passif c’est être dans les roues, passer 95% du temps en réponse aux autres. Il faut donc savoir produire de l’action, passer le plus de temps possible à être productif dans l’action. Quand vous travaillez, vous progressez et vous rendez service à votre équipe.
De tous les profils, il semble qu’il y en ait un absolument naturel, c’est le grimpeur ?
On en revient au morphotype. Plus c’est lourd au-dessus des jambes et plus c’est difficile de grimper. Un petit fessier, des fibres lentes donc une bonne VO2 Max = un bon grimpeur. Après, il faut aimer la montagne, la rêver. Un Thibaut Pinot est heureux surtout en montagne et parfois je lui dis qu’il en fait trop. Regardez les grimpeurs, les Thibaut, les Contador, ils sont heureux en danseuse. Leur capacité à balancer le vélo à gauche et à droite sans être énergétiques… Et ça leur permet un transfert d’énergie. D’ailleurs Froome l’a compris. L’an dernier il ne se mettait pas en danseuse. Cette année, il a dû le travailler parce que dans la première étape du Critérium du Dauphiné, il était capable de se mettre en danseuse pendant 30 secondes.
Mais lui entre dans la catégorie des rouleurs/grimpeurs ?
Ce qui signifie qu’il régule… Dépenser 400 watts sur le plat revient à lutter contre la résistance de l’air. 400 watts en montagne revient à lutter contre la gravité et ce n’est pas pareil. Passer de l’un à l’autre est une question de coup de pédale, de braquet. L’inertie est différente, le muscle travaille différemment. Et il faut le travailler jeune. Autant le contre la montre que la montagne.Nous y revenons, avoir le profil est important mais seul le travail permet d’en tirer parti.
Interview d'Yvon Madiot, en charge du recrutement des jeunes :Citation
« Quand je détecte des coureurs, c’est l’œil qui me guide mais je dois vous donner une state. Cette année, nous avons suivi 9 coureurs espoirs et moi, au coup d’œil, il y en a 7 qui me plaisaient. Après une série d’examens physiques menés par nos entraîneurs, la « machine » a dégagé ces 7 mêmes coureurs !
« L’œil, donc reste important. Et fiable. Physiquement, je regarde comment le coureur pédale, l’allure, la longueur des jambes. Le visage aussi parce que tous les grands coureurs ont une gueule. Et je m’attache à l’association nom-prénom.
Pour moi, l’association Jimmy Casper, ça sonnait bien et ça allait bien à un sprinteur. Il y a eu Sandy Casar. Pour les coureurs d’aujourd’hui, j’ai tout de suite tilté pour les Arnaud Démare, Kenny Elissonde, Nacer Bouhanni…
« Ensuite il y a les courses deux courses qui me servaient de révélateur et malheureusement, elles n’existent plus. C’était la Loire-Atlantique espoirs et le Tour du Haut-Anjou. Pas des courses super dures mais vous pouvez regarder le palmarès, ça ne trompe pas ! C’est dans le Haut-Anjou, par exemple, que j’ai découvert Yoann Offredo et que j’avais remarqué Tejay Van Garderen.
« Aujourd’hui, ce que je recherche le plus c’est le grimpeur, parce qu’il est rare. En France, il manque des courses de grimpeurs. Il y a la Ronde de l’Isard mais c’est moins dur qu’avant. Il me manque l’équivalent du Tour du Val d’Aoste par exemple, trois ou quatre jours de course en haute montagne…
Evidemment, il y a l’œil mais il y a les résultats et généralement ça concorde.
Il y a pour moi trois critères cruciaux : 1) les qualités physiques, 2) les qualités mentales, 3) l’aspect, qu’il ressemble à un coureur.
Quand le coureur est choisi, qu'il poursuit ses études, il entre à la Fondation FDJ et, c’est une nouveauté, il est suivi par les entraîneurs de l’équipe comme les professionnels.
Je le répète, le souci aujourd’hui est qu’il y a peu de courses pour les évaluer. J’ai bien 2 ou 3 grimpeurs mais où les voir en action ? C’est la même chose pour les rouleurs. Il n’y a pas de contre la montre et nos jeunes prennent énormément de retard par rapport aux anglo-saxons pour qui cet exercice est culturel. En France, il y a Sylvain Chavanel, Jérémy Roy qui se sont spécialisés. Il y a Johan Le Bon qui fut l’un des meilleurs jeunes mais a cessé de le travailler quelques temps. Il le travaille de nouveau mais l’occasion de s’évaluer est rare.
C’est un vrai problème. Thibaut Pinot, en passant pro, avait beaucoup de retard. Aujourd’hui il le travaille de plus en plus, il comble une partie de son retard mais il est parti de loin. Pour bien faire, il faudrait 10 contre la montre de plus de 25 kilomètres par saison chez les espoirs. En ce moment, ils ont trois championnats (France, Europe, Monde). C’est insuffisant.
L’an dernier, j’avais un espoir qui a disputé le championnat de France et il m’a dit le soir être content d’avoir fini un contre la montre aussi long !
Nous, de notre côté, on peu changer la donne et leur demander de travailler la discipline mais il n’y a pas de courses ! Comment appréhender la préparation mentale et physique dans ces conditions ?
Tout ça pour dire que trouver des profils de grimpeur, des profils de rouleur, c’est difficile en France.
Sinon, mais c’est un autre aspect de la détection, je recherche désormais des gabarits, parce que pour aller chercher des watts, il faut du physique. Kenny Elissonde est une exception ! Donc, je cherche des coureurs de 1,80 m – Froome montre qu’on peut être grand et être tous terrains – avec de bonnes pattes et qui soient capables d’encaisser des jours de course. En fait, ce boulot est intéressant parce que nos besoins changent souvent… »
Interview de Marc Madiot :Citation
« Depuis 1997, nous voulons des coureurs de classiques/sprinteurs et des spécialistes des courses par étapes. Chaque année, toutefois, tout dépend de ce que nous propose le vivier. Il peut y avoir de grandes cuvées de sprinteurs(coup sur coup Nacer Bouhanni et Arnaud Démare) puis d’autres de grimpeurs et je dois dire que tous mes collègues cherchent la même chose. Là-aussi il y a concurrence… »
Et depuis des années, Marc fait entièrement confiance à son frère Yvon qui a carte blanche dans le processus de détection. « Lui et moi sortons de la même école, nous sommes issus du même moule, rappelle Marc, et en général c’est coordonné. Et nous savons que le temps est long entre le premier regard d’Yvon sur un coureur et le moment où il va passer pro. Pour X raisons, on peut le perdre. A cause de la concurrence, à cause de l’échec du coureur que nous suivons souvent depuis les cadets. Ces dernières années, je lui disais avoir besoin de routiers-sprinteurs parce que j’en ai toujours eus. Là, j’aimerais bien avoir des rouleurs mais ça ne court pas les rues ! »
« De toute façon, chaque pays a son profil type, poursuit Marc. En Belgique, il y aura surtout des routiers-sprinteurs. Chez les Anglo-Saxons, il y aura des rouleurs. En France, et ce n’est pas l’idéal, on forme des baroudeurs. Dans 80% des courses du calendrier des jeunes, il y a au moins une côte. Pour un organisateur une course qui n’est pas dure n’est pas une course. Ce n’est pas bien pour les sprinteurs, ce n’est pas assez dur pour les grimpeurs et ça devient une anomalie. Pour compenser, je pourrais inciter des jeunes à aller sur piste mais avec la féderation française, c’est la garantie qu’ils soient bloqués pendant quatre ans, de ne pas pouvoir les utiliser quand je le voudrais et de les voir employer un matériel autre que le mien. Ce n’est pas intéressant mais nous pouvons néanmoins les inciter à travailler sur la piste. Comme nous les avons souvent encouragés à faire du cyclo-cross. »
Ce que dit Marc Madiot sur la détection des jeunes, il le dit pour le recrutement de fin saison. Quand il s’agit d’épaule ses leaders. Les sprinteurs ou les grimpeurs.
« Aujourd’hui, il me faudrait un ou deux bons bestiaux, capables de rouler en plaine et longtemps. Et il me faudrait deux rouleurs-grimpeurs pour avaler des cols devant leur leader mais cette option peut être remplacée par une autre l’année prochaine… »