« Le bon moment pour partir »
BRADLEY WIGGINS, troisième du chrono, hier, justifie son choix de tirer sa révérence au soir de Paris-Roubaix.
Et évoque les projets qui l’attendent.QUAND IL A DÉBOULÉ pour la première fois dans la salle de petit-déjeuner, où tous les coureurs se restaurent, Bradley Wiggins a immédiatement tourné les talons pour se réfugier à l’abri des regards et avaler son café seul dans un coin. Le matin de la première étape, le speaker lui a demandé à quel point le Tour du Qatar lui faisait frissonner la barbe et, en retour, il s’est pris un boomerang dans la mâchoire : « J’étais obligé de venir ici », a bougonné le Britannique.
Nasser, un commentaire? Nasser? « Wiggo » tel qu’en lui-même. De loin, un sale gosse arrogant. Et quand on approche de la bête, un type souriant, qui aime imiter les briefings de Paris-Roubaix de Marc Madiot et qui connaît son sport sur le bout des doigts.
À trente-quatre ans, le vainqueur du Tour 2012 est à un peu plus de deux mois de sa retraite sur route, qu’il prendra justement au soir de l’Enfer du Nord (12 avril).
« C’est marrant parce que le Tour du Qatar a été ma première course chez les pros, en 2002, glisse-t-il. Dans l’avion, j’étais assis à côté de Vandenbroucke, j’avais vu toutes ses victoires à la télé. Derrière moi, il y avait Museeuw. J’avais vingt-deux ans et j’étais en train de réaliser mon rêve. Vandenbroucke avait l’air d’un écolier, il ne mangeait pas ce qu’on lui servait, il faisait un régime. Il voulait regarder un film, mais Christophe Rinero, qui courait pour Oktos, défilait dans l’avion, du Stilnox plein la tête, bourré, et il voulait que Frank le suive, mais Lefévère, qui venait de reprendre Vandenbroucke dans son équipe, lui disait d’aller se faire foutre, il le protégeait… Je sais que pour moi la fin approche, alors je ne peux pas m’empêcher, je me remémore ce genre de choses. »
Avant de sombrer dans la nostalgie, le Britannique a toutefois encore du pain sur la planche. Il a passé l’hiver à travailler son explosivité sur le plat et à entasser du muscle sur sa grande carcasse (1,90 m). Depuis son titre du contre-la-montre à Ponferrada, fin septembre, il a ainsi pris huit kilos (il est à 80 kg, aujourd’hui). «Roubaix n’est pas un défi comme un chrono ou le record de l’heure. C’est tellement imprévisible, tempère-t-il. Au Qatar, je veux simplement finir la course sans pépins. Ensuite, il faudra passer les autres courses sans encombre, pour avoir une chance d’être à Roubaix. Finir au vélodrome, que ce soit comme vainqueur ou dernier, tout arrêter là, c’est tout ce que je veux. » Wiggo a senti qu’il était temps de mettre la flèche. « C’est le bon moment pour partir ; je ne voulais pas dériver lors des prochaines années, confirme-t-il. Ne pas être au Tour l’an dernier a été le tournant, réaliser que je ne courrai plus le Tour avec Sky... J’ai vraiment songé à partir, j’étais très en colère à cette époque (avant le Tour 2014). Mais tout recommencer à zéro autre part… Les personnes à qui j’ai parlé pensaient toutes qu’elles allaient embaucher le prochain vainqueur duTour. Mais, moi, je ne me sentais plus de revivre tout ce processus pour essayer de gagner à nouveau. J’avais d’autres objectifs, les Jeux Olympiques et tout ça. »
« L’ÉQUIPE ASTANA EST UN FOUTOIR »Il y aura en effet sa tentative de record de l’heure, en juin, au terme d’un bloc de huit semaines de préparation qu’il entamera après Paris-Roubaix. «Je ne veux pas me précipiter, annonce-t-il. J’ai longuement discuté avec Chris Boardman récemment. Je veux faire des tests de trente minutes au rythme du record, puis des quarante-cinq minutes à 55 km/h de moyenne, et là, je pourrai me rendre compte si je peux tenir encore un quart d’heure. Comme ça, quand je le tenterai, je saurai exactement ce que je peux réaliser. »
Bradley Wiggins se préparera alternativement sur les vélodromes de Manchester, où il habite, Londres, où il fera sa tentative, et Majorque, où il s’entraînera également sur la route. Il bénéficiera toujours de l’encadrement des Sky, notamment de son entraîneur, Tim Kerrison, mais il ne sera plus un membre de la formation britannique.
Le jour de sa tentative, il aimerait pouvoir porter le maillot arc-en-ciel (*), mais dans le cas contraire, il s’ affichera sous les couleurs de son équipe. Wiggins a en effet monté sa propre structure, Team Wiggins, dont il est le propriétaire, mais dans laquelle il n’engage pas ses deniers personnels. Ses représentants, l’agence XIX Entertainment, qui gère également les affaires de David Beckham, sont en train de chercher des partenaires commerciaux. « J’ai eu l’idée de monter cette équipe pour me concentrer sur les Jeux et quitter la route. Au départ, c’est pour faciliter le programme sur la piste, comme ça on peut tous s’entraîner ensemble. Ensuite, j’aimerais qu’on puisse débusquer les futurs grands talents, un peu comme le fait Axel (Merckx) en Amérique. Que cette équipe devienne une option très sérieuse pour les meilleurs Britanniques, plutôt que d’aller un an aux États-Unis avant de pouvoir rejoindre Sky. Sky s’est détourné de ça maintenant, ils sont devenus vraiment, vraiment élite. Ils n’ont pas de temps pour développer les jeunes talents. »
Alors qu’on le pensait prêt à fuir à jamais le monde du cyclisme, il semble enclin à s’y investir. « Mais pas dans le Pro Tour, corrige-t-il. Encore une fois, c’est dur de ne pas penser au passé, mais quand j’étais au Qatar en 2002, le cyclisme était tellement différent. Il y avait davantage de camaraderie, on se retrouvait tous dans le hall, équipes mélangées, maintenant tout est ségrégué. Personne ne se parle dans les ascenseurs. Mais le sport a aussi changé dans une bonne direction, même si le Tour va mettre du temps à se défaire de l’image du dopage. Les récents événements n’aident pas en revanche. J’adore Nibali, je suis un grand fan, mais malheureusement pour lui, son équipe Astana est un foutoir. Tant que certaines personnes ne seront pas bannies du sport, et on connaît les noms, la confiance ne reviendra pas. On a un nouveau président à l’UCI (Brian Cookson), je le comprends dans un sens, j’ai lu ses explications (pour le maintien d’Astana en World Tour), mais tu as besoin de quelqu’un qui prend des décisions difficiles et qui s’y tient. »