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Javier Pastore, histoire d’un « flop »
Deux ans après son arrivée au PSG, Javier Pastore n’a manifestement toujours pas convaincu une grande partie des commentateurs. Certains parlent même du « plus grand flop de l’histoire de la Ligue 1 » (RTL). Pourtant le joueur affiche une ligne de statistiques de belle facture et s’est imposé dans un effectif pléthorique et de haut niveau malgré son jeune âge et une pression médiatique nouvelle. Soyons honnêtes, si ce joueur déçoit, c’est avant tout parce qu’il paie le prix d’un transfert record, objet de tous les fantasmes. Ce diable de Stéphane Guy (Canal+) a même donné naissance au fils de L’Homme Qui Valait Trois Milliards en rebaptisant l’Argentin : « Javier Pastore, l’homme qui a coûté 42 millions d’euros ». Toute la question est donc de savoir s’il est pertinent de juger de la valeur d’un joueur à l’aune du montant de son transfert ?
Javier Pastore, un investissement : rendement ou rentabilité ?
42 millions d’euros, c’est un sacré montant. Presque le double du plus gros transfert de l’histoire du Paris-Saint-Germain quand celui-ci a décidé de faire revenir Nicolas Anelka au Parc des Princes. Nécessairement, les attentes sont importantes et le joueur a, en quelque sorte, un devoir de résultat. 42 millions d’euros, c’est un investissement dont la rentabilité (au-delà du rendement sportif) doit être mesurée en fonction de son coût. Le raisonnement est froidement financier et plutôt éloigné du sportif. Un raisonnement d’autant plus manifeste dans l’esprit de certains que sur la même période les investissements Marco Verratti ou Raphaël Varane font l’unanimité.
Alors oui, analystes financiers, nous sommes en droit d’attendre de Javier Pastore qu’il justifie la dépense. Comme la dépense est démesurée, les attentes sont disproportionnées. Néanmoins, se pose alors une tout autre problématique : à partir de quels indicateurs ou sur quels critères peut-on juger de la rentabilité d’un transfert ? Quand un club réalise plusieurs transferts durant le même mercato, doit-on considérer chaque investissement de manière isolée ou doit-on les regrouper dans un même portefeuille à placements plus ou moins risqués ? Ne peut-on pas non plus évaluer les externalités ou interactions d’un transfert sur les transferts concomitants au regard de la prise de risque ou de l’influence de l’un sur la valeur de l’autre ?
Si l’on s’en tient à ce raisonnement financier, ayons donc l’honnêteté d’aller au bout des choses. Afin de gagner en crédibilité et en audience sur le marché des transferts, le Paris-Saint-Germain se doit de réaliser un gros coup dans un mercato de l’été 2011 fermé et perturbé par la crise économique. Dans de telles conditions, il faut frapper fort. Concrètement, il devient stratégique de payer au-dessus de sa valeur sportive réelle un joueur pour faire montre de sa grande capacité financière mais aussi de ses ambitions sportives. Javier Pastore représente le produit idoine : jeune, talentueux, promis à un bel avenir, connu sans être médiatiquement omniprésent, tout juste élu meilleur jeune d’une Série A qui n’est pas vraiment pauvre en talent… A ce titre, la prise de risque du Paris-Saint-Germain est mesurée et cohérente, comme souvent avec les Qataris. Que n’ont-ils pas justement alors communiqué sur la concurrence d’un grand club comme Chelsea. Ce transfert est l’acte de naissance du Paris-Saint-Germain nouveau. Sans cette crédibilité nouvelle, le Paris-Saint-Germain aurait-il pu convaincre Salvatore Sirigu, Marco Verratti, Thiago Motta, Thiago Silva, Ezequiel Lavezzi ou encore Zltan Ibrahimovic de signer dans un club redevenu novice sur la scène européenne ? Les considérations ne sont pas purement sportives ; dès lors, l’analyse de la rentabilité du joueur ne doit pas se borner à celle de son rendement sportif.
Javier Pastore, c’est aussi de la rentabilité médiatique et économique. Au-delà du merchandising, des ventes de billets et d’abonnements ou de la conquête du marché argentin, le Paris-Saint-Germain a attiré l’œil des médias et l’œil des partenaires économiques. Javier Pastore, c’est la première marche vers la tornade médiatique Zlatan Ibrahimovic et l’ouragan David Beckham. C’est aussi de la rentabilité indirecte pour les médias qui ont, initialement, largement utilisé son image pour valoriser le championnat de France.
Sans oublier que l’achat d’un jeune joueur n’est jamais une dépense sèche. Si le Paris-Saint-Germain ne retrouvera jamais son argent sur les 20 millions d’euros dépensés pour Zlatan Ibrahimovic, il peut fortement valoriser l’actif Javier Pastore et espérer, à la revente, récupérer une grande partie de sa mise, voire réaliser une plus-value. Si le club parisien vend Javier Pastore 35 millions d’euros dans deux ans et qu’il a, entre temps, permis d’augmenter de nombreuses recettes, il aura été éminemment plus rentable qu’un joueur payé 10 millions d’euros et mettant un terme à sa carrière au club. Etant convenu qu’aucun joueur ne sera jamais aussi rentable que le divin Clément Chantôme, produit maison désormais valorisé en milliards d’euros.
Autant de paramètres très difficiles à quantifier et qui fondent indéniablement le montant du transfert de l’Argentin. Si l’on veut le juger sur ces « 42 millions » d’euros, alors faisons-le correctement.
42 millions d’euros, vraiment ?
Pour rester honnêtes, prenons le temps d’analyser ce montant de 42 millions d’euros. Au-delà de la mise en perspective que nous venons de réaliser, il convient de préciser qu’en réalité, ce transfert n’a, économiquement, rien de classique (les affaires sont, d’ailleurs, rarement classiques quand Maurizio Zamparini y est acteur).
En effet, ce transfert n’est pas aussi isolé qu’on le présente. Cet été là, le Paris-Saint-Germain a aussi fait l’acquisition de Salvatore Sirigu, gardien international italien, jeune pour le poste (24 ans) et avec une belle marge de progression. Un gardien qui vaut nécessairement bien davantage que les 3,5 millions d’euros officiellement versés à Palerme au titre de ce transfert (notons, sur ce point, que moins nombreux sont ceux qui mettent en avant le coût de ce transfert pour saluer l’excellent choix du club parisien).
La situation de Javier Pastore est alors complexe. Un peu à l’instar du cas de Carlos Tevez (entre autres), le joueur « appartient » en partie à Palerme et en partie à son agent Marcelo Simonian. Il s’agit donc de rétribuer différentes parties, qui n’ont nul besoin de vendre précipitamment et qui ont de l’appétit. Dans un montage peu clair où les sommes sont réparties dans plusieurs directions (Sportune parle de 15,5 millions d’euros pour Marcelo Simonian), une des solutions permettant de gonfler le montant a été de réduire celui du transfert de Salvatore Sirigu. Il est donc impossible de chiffrer le transfert sec de Javier Pastore indépendamment de celui de Salvatore Sirigu ni de le comparer avec un transfert classique où la discussion se limite à deux clubs. L’exemple du transfert de Carlos Tevez à Manchester City est, à ce titre, très évocatrice. Leonardo a, d’ailleurs, tenu à préciser dans L’Equipe qu’en aucun cas l’Argentin a coûté 42 millions d’euros.
Sans oublier non plus que le coût d’un transfert ne se borne pas à l’indemnité versée d’un club à l’autre. Il convient d’y ajouter non seulement les primes mais surtout le salaire négocié. Dans certains cas, un joueur coûte bien davantage en prime à la signature, primes sportives, salaires ou concessions sur les droits à l’image qu’en indemnité sèche de transfert. Sur ce point, Javier Pastore a, par exemple, bénéficié d’une prime et d’un salaire inférieurs à ceux de Diego Lugano.
Il semble donc très maladroit de marteler ce chiffre de 42 millions d’euros au point d’en faire un symbole voire une malédiction. Nul ne sait vraiment combien l’Argentin a réellement couté.
Des critiques sportives subjectives
En deux saisons au Paris-Saint-Germain, ce sont 80 titularisations pour 98 matchs et 25 buts pour 18 passes décisives. A titre de comparaison, en deux saisons à Palerme, c’étaient 71 titularisations pour 82 matchs et 15 buts pour 11 passes décisives. Pas de quoi crier au ballon d’or, pas de quoi non plus parler de « pire flop de l’histoire de la Ligue 1 » pour un jeune joueur arrivé d’Amérique du Sud à court de forme en 2011, qui a connu la blessure et qui a été baladé entre les couloirs et l’axe, entre la responsabilité offensive et le rôle de relayeur.
Non seulement le joueur n’a pas choisi ce statut à 42 millions d’euros avec toute la pression médiatique et sportive qui en découle ; mais encore, toutes ses performances sont scrutées et analysées (soyons généreux et osons le vocable) sous ce prisme en or massif. On a vite oublié qu’il a inscrit au Camp Nou un but qualifiant, à l’instant t, son club en demi-finale de Ligue des Champions pour la première fois depuis 18 ans (1-1) ou qu’il a inscrit un doublé à Montpellier l’année où les deux clubs se disputaient le titre (0-3). On a oublié ses passes longues lumineuses qui ont étiré et martyrisé les défenses adverses pour ne retenir que les domaines dans lesquels le joueur a pêché.
Comme tous les milieux offensifs argentins de la veine des Juan Roman Riquelme ou Lucho Gonzalez, il nous illumine par des gestes de génie et une vision hors norme avant de nous faire enrager par sa nonchalance d’apparence. Sauf qu’avec Javier Pastore, ça a pris une toute autre dimension médiatique : des interviews réalisées en langue étrangère, des compliments adressés au football italien dans un journal étranger… Effet loupe et procès d’intentions ont pris le pas sur l’analyse sportive et sur les réflexions objectives. Qu’un jeune joueur argentin passe de la Sicile à la ville la plus médiatique du monde sans préparation physique ni mentale n’a interpellé qu’une minorité d’observateurs (dont Cédric Rouquette) et n’a que rarement été pris en compte au fondement de jugements hâtifs et partiaux.
Par conséquent, il est plus pertinent de mesurer les performances de Javier Pastore de façon évolutive dans le temps. Nous pensons ici à ses statistiques d’une saison sur l’autre, mais aussi à son attitude et à sa capacité à digérer petit à petit la portée de son indemnité de transfert. Par exemple, il n’aurait pas été insensé de souligner combien le joueur a franchi un double cap physique et mental dans sa gestion des matchs et sa capacité à contribuer à l’effort défensif collectif.
Oui, une étiquette à 42 millions d’euros, ça représente beaucoup de devoirs. Mais ça génère surtout beaucoup d’attentes, de pression et de contraintes. Alors si l’on veut juger le rendement sportif de Javier Pastore au regard du montant de son transfert, ayons l’honnêteté de rappeler l’influence dudit montant sur ledit rendement.
Football n’est pas arithmétique
En conclusion, nous tenions à rappeler une évidence qui semble avoir perdu de sa vigueur : le talent a un prix. Ou plutôt, le talent n’a pas de prix. Les plus grands joueurs sont hors marché.
Dès lors que l’on ne peut pas mettre plus de onze joueurs sur un terrain, l’optimisation de la concentration de talent au sein des ces onze contraintes a un coût exponentiel et non proportionnel. Ainsi, un joueur A deux fois plus talentueux qu’un joueur B ne coûte pas deux fois le joueur B, mais trois voire quatre fois ce joueur B puisque que l’on ne peut pas remplacer ce joueur A par deux joueurs B sur la feuille de match.
Pour toutes ces considérations, nous pensons qu’il est malhonnête de porter un regard si sévère sur le rendement sportif de Javier Pastore. Sans affirmer ici qu’il a porté seul l’équipe sur ses épaules ou qu’il a réalisé deux saisons fantastiques, il convient de savoir raison garder.
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