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Rybolovlev, CDD ou CDI ?
La durée de l’engagement du milliardaire russe à Monaco, dont il est devenu propriétaire depuis 2011, intrigue. Et le changement de cap du club n’éclaircit rien.
QUELLE EST LA NATURE DE SON ENGAGEMENT ?
Le 23 décembre 2011, alors que Monaco est vingtième de L 2 et contre un euro, la société Monaco Sport Invest (MSI), liée à Dimitri Rybolovlev, devenait actionnaire du club à hauteur de 66,67%. Les autres 33 % restant sous le contrôle de l’ASMFC, représentant les intérêts de la Principauté. Un euro ? L’ASM était endettée, ses joueurs ne valaient rien et le club n’a pas de foncier. En échange, il s’était engagé à investir 100 M€ au minimum sur quatre ans. Cette somme a été dépensée depuis longtemps – il en est environ à 350 M€ – et il peut partir quand il veut. Pour évaluer les «risques» de son départ, encore faudrait-il savoir pourquoi il est là.
Son amour du foot est réel et il avait tenté de racheter Manchester United et le Dynamo Minsk, avant l’ASM. Le foot est une danseuse pour milliardaire et il en est un. Son besoin de devenir quelqu’un a dû jouer, comme sa volonté de protéger sa fortune de l’appétit de sa femme, avec laquelle il est en procédure de divorce, ou celle d’obtenir un passeport monégasque, lui offrant la sécurité de sa personne et de ses biens. Lui seul pourrait préciser si son engagement est stratégique ou passionné, et si, par conséquent, son départ sera rationnel ou irrationnel. Mais Rybolovlev se mure dans le silence.
POURQUOI S’INTERROGE-T-ON ?
Son fastueux projet, magnifié par les achats de Radamel Falcao et de James Rodriguez, en 2013, est descendu d’un étage l’été dernier, et cela n’a rien de cohérent, extérieurement. Une politique de jeunes a succédé à celle des stars, et les dernières recrues se nomment Wallace, Bernardo Silva et Tiémoué Bakayoko. Claudio Ranieri, aguerri aux ego des divas, a été remplacé par un inconnu du grand public, Leonardo Jardim, plus éleveur de poulains que driver de pur-sang. À ces indicateurs objectifs troublants se sont ajoutés les soucis personnels du président : un jugement dans son divorce qui pourrait lui coûter 3,5 milliards d’euros, et la maladie, une tumeur opérée aux États-Unis. Il n’est ainsi réapparu au stade Louis-II que mi-septembre, où il est plus triste sire que jamais les soirs de match. Un coup de mou accompagné d’un mauvais début de saison et d’une piètre qualité de jeu de l’équipe, auxquels il n’a pas été insensible. « Sa démotivation est visible » , assure un proche du Palais. Ses silences – il ne s’exprime jamais–et sa froideur renforcent l’image d’un homme opaque et calculateur. En interne, on justifie le changement de cap – comme il peut en arriver dans n’importe quelle entreprise– par la menace du fair-play financier et le manque de ressources (marketing et billetterie, notamment), sous-estimé au départ. Avant que les deux hommes ne dînent ensemble, le mois dernier, la distance qu’avaient prise le prince Albert et Rybolovlev n’était pas bon signe. Mais le fantasme faisant de Vladmir Poutine un obstacle entre le prince et Rybolovlev n’était qu’un… fantasme.
PEUT-IL PARTIR DANS LES DEUX ANS ?
Depuis trois ans, Rybolovlev n’a pas le sentiment d’avoir été beaucoup aidé. Le foot français a attaqué l’ASM sur ses avantages fiscaux et sociaux. Noël Le Graët a essayé de lui «soutirer» 200 M€. La LFP a saisi le Conseil d’État avant qu’un accord sur un versement de 50 M€ sur deux ans ne soit trouvé pour jouer en L1. Il pensait que son projet serait accompagné de nombreux sponsors, mais ces derniers ne se sont pas précipités, sceptiques sur sa personne autant que sur la viabilité de son engagement. Le gouvernement monégasque a refusé de contribuer pour moitié (25M€) au financement de la rénovation du centre d’entraînement de La Turbie, provisoirement à l’entière charge de Rybolovlev, et le fairplay financier de l’UEFA le menace d’une amende. Le stade Louis-II ne se remplit pas, les modifications qu’il voulait y apporter pour en développer les recettes sont impossibles en l’état et il a compris que les grands joueurs européens n’étaient plus affolés par la Principauté, où l’effet s’est estompé.
Ces contrariétés, qui peuvent expliquer pourquoi il a levé le pied, l’inciteront-elles à plier bagage? Ce n’est pas le sens de la restructuration permanente du club, destinée à optimiser ses ressources, et du travail au quotidien, décrit comme très serein par les clients du club.
En juillet, l’arrivée comme directeur général adjoint de Nicolas Holveck (en provenance de Nancy) – un homme qui a ses entrées à la Ligue– est la preuve que l’ASM veut se battre, avec sa nouvelle stratégie. Comme la création d’un club business pour les partenaires. Les relations avec le Palais se sont apaisées et la société qui gère l’activité économique de Rybolovlev en Principauté est décrite comme très active, preuve de son ancrage sur le Rocher. Pourtant, de nombreux témoins sont formels : « Personne ne sait pour combien de temps il est là, peut-être qu'il n'y a que lui et le Prince qui savent, et encore. » Rybolovlev continue de regarder dans toutes les directions : un éventuel adoucissement du fair-play financier, une éventuelle promulgation d’une proposition de loi monégasque, datant de décembre 2011, visant « à renforcer la sécurité juridique des résidents étrangers de Monaco », notamment en matière successorale. Ou mieux encore, une éventuelle naturalisation monégasque, aux nombreux avantages, comme celui de pouvoir devenir promoteur ou de ne devoir répondre que devant la justice monégasque.
D’après certains proches, Rybolovlev aurait fixé comme échéance 2016 pour savoir où en sont ces dossiers et prendre une décision sur son avenir. Au cours de leur dernier rendez-vous, le prince Albert aurait demandé au Russe qu’il s’engage, en cas de départ, à honorer tous les contrats en cours – et jusqu’à leur terme– signés sous son autorité. Ça ferait beaucoup d’argent. Dans un entretien prochainement diffusé à la télé, le prince aurait en revanche écarté l’hypothèse d’un départ de Rybolovlev, avant la fin de la présente saison. C’est déjà ça. Plus que les dossiers, ce sont sans doute les résultats de l’ASM, son parcours en Ligue des champions, l’engouement ou l’indifférence qu’elle provoquera, et son propre plaisir de propriétaire qui conduiront Rybolovlev à partir ou à rester.