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Juan Pablo Escobar : « La vie avec mon père était épouvantable »
Le fils du patron du cartel de Medellin publie un livre pour expliquer combien la figure du trafiquant, dans une série comme « Narcos », est éloignée de la réalité.
PATRICK BÈLE
Le fils de Pablo Escobar, Juan Pablo, a voulu dire sa vérité sur la vie qu’il a partagée avec son père pendant seize ans dans un livre, Pablo Escobar, mon père (Éditions Hugo Doc, septembre 2017). Il cherche à y déconstruire le « personnage superpuissant » que, selon lui, toutes les fictions faites sur son père présentent, comme la série Narcos, diffusée sur Netflix. Il montre comment les activités criminelles de son père ont transformé les premières années de sa vie en enfer. II est aujourd’hui architecte à Buenos Aires.
LE FIGARO. - Vous avez beaucoup critiqué la série Narcos, qui raconte une partie de la vie de votre père, Pablo Escobar. Qu’est-ce qui vous choque le plus ?
Juan Pablo ESCOBAR. - Narcos, de Netflix, et la plupart des films qui ont été faits sur mon père contribuent à la glorification de ses activités criminelles. Cela a un effet épouvantable sur l’esprit de jeunes adolescents. Beaucoup finissent par penser qu’être Pablo Escobar est une bonne idée, comme devenir un super-héros. Je reçois sur les réseaux sociaux des messages disant « Je veux devenir Pablo Escobar ».
Votre livre est-il une tentative de rétablir la vérité ?
Je tente en effet de contrebalancer cet effet dévastateur. D’expliquer qu’il n’y a rien à gagner à devenir Pablo Escobar. La vie que nous avons vécue était épouvantable. Devoir fuir tout le temps, subir des attentats, être séparés souvent. Les activités criminelles de mon père ne m’ont pas permis de vivre ma jeunesse. Une fois, nous avons passé une semaine quasiment sans manger, vivant dans un appartement, entourés de millions de dollars en liquide que nous ne pouvions pas utiliser parce que nous ne pouvions pas sortir. Ces millions ne nous servaient à rien ! Quand je me suis installé à Buenos Aires et que j’ai pris pour la première fois un bus, vous ne pouvez pas imaginer l’impression de nouveauté que cela m’a provoqué.
Pourquoi avez-vous quitté la Colombie pour vous installer en Argentine après la mort de votre père, en 1993 ?
Nous sommes partis en Argentine car nous ne pouvions continuer à vivre en Colombie. Nous étions menacés. Tous les chefs de cartels nous réclamaient des dédommagements astronomiques pour se partager l’empire de mon père. Rester en Colombie, c’était la mort assurée. Nous avons dû changer d’identité car aucune compagnie aérienne ne nous acceptait. La France refusait le survol des avions de la Lufthansa si nous étions à bord. Comme si nous allions sauter en parachute pour envahir la France !…. Peu de gens nous ont aidés. J’ai ressenti un grand sentiment d’injustice de nous faire payer les crimes de mon père. Mais la plus grande injustice est venue de la famille de mon père. Nous avons eu la surprise de les retrouver du côté des ennemis de mon père, à réclamer de l’argent et des biens lors d’une réunion avec les responsables du cartel de Cali. C’est une déloyauté terrible. Des jugements colombiens démontrent les actes malintentionnés de cette famille contre nous : leurs intentions de voler nos biens, même les biens hérités de mon grand-père. Ils ont fait cela à la famille d’un frère qui leur avait donné tant d’argent, cadeaux, maisons, fermes, automobiles, voyages, bijoux et amour. Si je ne peux toujours pas vivre en Colombie c’est parce que j’ai refusé de faire ce qu’ils faisaient : s’allier aux ennemis de mon père.
Comment avez-vous appris la mort de votre père le 2 décembre 1993, tué par la police colombienne à Medellin ?
Une journaliste qui s’appelait Gloria Congote m’a appelé. Elle savait que j’étais mineur. Pourtant elle a enregistré notre conversation puis l’a diffusée à mon insu. Avec toute ma douleur, je lui ai répondu ce que je n’aurais pas dû : « Nous n’avons rien à dire pour le moment. Mais oui, je tuerai ces salopards moi-même. Je les tuerai de mes propres mains, ces bâtards. » Et le pays ne se souvient que de ces dix secondes, où un mineur, plongé dans la douleur, réagit à la mort de son père. Ces paroles ont été pour beaucoup dans le fait de ne pas pouvoir vivre dans mon pays depuis plus de vingt-quatre ans. Quelques paroles peuvent vous conduire à l’exil pendant vingt-quatre ans.
Vous avez souhaité rencontrer les enfants de Rodrigo Lara Bonilla, ministre de la Justice assassiné le 30 avril 1984 par votre père, et de Luis Carlos Galan, candidat à la présidentielle tué lui aussi sur ordre de votre père le 18 août 1989. Pourquoi ?
La rencontre avec les fils Galan et Lara s’est faite dans le cadre d’un documentaire, Les Péchés de mon père. Je leur ai écrit une lettre leur demandant pardon pour les dommages que mon père leur avait causés et dans lequel j’expliquais ma perspective, mon histoire et mes objectifs. J’ai rencontré des gens généreux avec un grand cœur, disposés à pardonner parce que tous ceux qui ont vécu la violence ne veulent pas qu’elle se répète. Les victimes et les agresseurs ont une chose en commun : ne pas pouvoir continuer à vivre dans cette violence.
J’ai cherché à rencontrer les victimes de mon père pour leur dire à quel point je regrettais le mal que mon père leur avait fait. En 2017, on parle de paix et de réconciliation en Colombie avec les accords de paix après la guérilla des Farc. Cela montre que nous avons été des pionniers dans l’idée de la paix et du pardon en Colombie avec les frères Galan et Lara. C’est l’unique manière d’assurer un futur à notre pays.
Qu’est devenue la fastueuse Hacienda Napoles, où votre père recevait les personnages les plus importants du pays ?
Je suis revenu seize ans après à l’Hacienda Napoles, qui représente la période la plus faste de mon père. Il y avait un aéroport, des avions, des voitures, des jet-skis, des motos, une vingtaine de maisons et un jardin zoologique. 1 700 personnes y travaillaient. J’ai vu un lieu bouleversé où une prison de haute sécurité côtoie un parc d’attractions. Il y a cinq hôtels, une partie du jardin zoologique a été conservée avec ses animaux. Récemment, les hippopotames ont même fait une incursion dans le village voisin. Les dinosaures que mon père avait fait construire sont toujours là, une sorte de « Jurassic Park ». Mais la maison est détruite. Et l’entrée est très chère pour une famille colombienne, c’est un business important, alors que mon père laissait entrer les gens gratuitement.
Je veux partager ce message en racontant mon histoire : il ne faut pas se laisser séduire par ce luxe ostentatoire, parce qu’à la fin on perd tout si on ne respecte pas les valeurs humaines et la loi. Mon père, en apparence, a eu beaucoup de réussite, avec un aéroport, des maisons et des gens qui venaient de partout le visiter, mais cela ne dure pas longtemps.
Cette vie qui, peut-être, fait rêver beaucoup de jeunes a été la période la plus courte de sa vie. C’est un business qui vous promet tout mais qui, finalement, vous fait tout perdre. Cela ne vaut pas la peine.